Lucas Dolega finit par nous rejoindre. Un trio harmonieux se forme. Nous retrouver au fin fond du Congo nous change de nos habitudes prises lors des manifestations parisiennes. Nous sommes jeunes, inexpérimentés et avons soif d’expériences fortes.
Seul Rémi Ochlik a connu des situations de violence intense en 2004 lors de la chute d’Aristide en Haïti. Ce premier reportage l’avait fait connaitre à Visa pour l’image. Mais depuis il n’était pas vraiment retourné sur le terrain de guerre. On sent déjà en lui une evie irrépressible d’être là où ça chauffe. A l’époque il a déjà créé son agence IP3 press, avec deux anciens de Wostok Press l’agence où nous avons débuté dans le métier.
Lucas Dolega lui, après avoir travaillé au sein de la rédaction texte du Nouvel Observateur, commence à piger pour l’agence internationale EPA. Chaque soir nous nous retrouvons autour de la moindre connexion internet qui nous permet d’envoyer une sélection de nos photos auprès de nos diffuseurs respectifs. Une compétition amicale se crée. Chacun compare ses photos, on raille celui qui a foiré son cadrage sur telle ou telle scène, on admire celui qui a réussi à choper une lumière intéressante, un point de vue osé. On s’encourage mutuellement, l’oeil toujours aux aguets d’une scène qui nous aurait échappé et que l’autre aurait saisi avec son appareil. Nous visitons d’autres camps de réfugiés plus au nord, à Kibati, Rutshuru…
« Mon premier rendez-vous avec la mort vient d’avoir lieu »
Alors que l’on roule en direction de la ville de Kanyabayonga, sur la route nous croisons une patrouille de soldats de l’armée congolaise. Ni une ni deux nous sortons de la voiture et nous incrustons avec eux. Les militaires ne semblent pas gênés par notre présence. Au contraire ils s’amusent de se faire photographier. On dirait des gamins. Nous les suivons jusqu’à quitter la route. Pris dans cette chance de pouvoir être à leur côtés, nous en oublions complètement de prévenir notre chauffeur et nous retrouvons sur un étroit sentier au milieu des magnifiques collines de la région. Nous verrons plus tard comment retrouver notre guide, et continuons de nous enfoncer au coeur des ces vallées. La marche dure près de 3 heures. A la première pause, nous sommes épuisés, nous ruisselons de sueur. La rythme est effréné, le poids de nos appareils photos commence à devenir douloureux. Sans eau ni nourriture, ni aucune préparation, nous réalisons qu’il n’est finalement pas sérieux de continuer de les suivre dans ces conditions.
Nous décidons de laisser les soldats mais n’avons aucune idée de la manière de retrouver notre chauffeur ! Les soldats en rigolent, et l’un d’eux nous annonce que notre voiture nous attend non loin de là, juste derrière la colline ! Aucune idée de la manière dont notre chauffeur s’est débrouillé, mais sa présence nous rassure. Sur le retour, fenêtres ouvertes pour abaisser la chaleur qui atteint facilement les 35 degrés à l’ombre, une odeur persistante nous parvient. Rémi fait arrêter la voiture, persuadé qu’il s’agit de l’odeur d’un cadavre. Nous venons de visiter un poste de garde abandonné précipitamment, où trainait des restes de mitrailleuses hors d’usage. Clairement des combats ont eu lieu ici. Cette odeur que je découvre pour la première fois est âcre et écoeurante. Rémi et Lucas veulent à tout pris savoir d’où elle vient. On se met à chercher dans la brousse. Nous nous sommes arrêtés pourtant au milieu de nulle part. Très rapidement nous tombons sur les restes d’un cadavre qui semble humain, mais en l’état de décomposition très avancée. Je regarde cette substance humaine désintégrée, comme fondue avec le sol. N’ayant aucune info dessus, il nous est difficile d’émettre des hypothèses. Pourtant notre imagination en déborde.
Nous remontons dans la voiture. Mon premier rendez-vous avec la mort vient d’avoir lieu. Les jours passent et le cessez-le-feu semble s’installer durablement. Au bout d’une dizaine de jours dans le pays nous sentons qu’il est temps de rentrer, aucune commande, aucune vente, et surtout la presse est déjà passée à un autre drame, une attaque terroriste a lieu le 26 novembre à Bombay contre le Taj Mahal Palace. Nous découvrons cette actualité sur l’écran de télévision de notre hôtel, la mine déconfite. Le Congo n’intéresse déjà plus la presse, nous rêvons de nous rendre directement en Inde, mais nos finances ne peuvent nous le permettre. Fin de l’histoire, nous rentrons
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20 ans de photographie
et le site du photographe : https://www.corentinfohlen.com/
Les tirages des images présentées sont en vente en Fine Art, signé, en format 20×30 cm, au tarif de 180 euros au profit de mon chauffeur et ami haïtien Wood. Pour cela contacter : fohlencorentin@gmail.com
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