Comme nous l’avions annoncé le 22 novembre dernier, le projet de fermeture du bureau de l’AFP à Nicosie (Chypre) provoque d’importants remous sur place. L’inquiétude des 70 salariés de ce bureau, et celle de leurs familles les ont conduit à une grève de deux jours. Un avertissement que la direction doit entendre. Nous publions ici, le communiqué des grévistes, avec notre soutien.
Une soixantaine d’employés de l’AFP seront en grève jeudi 19 et vendredi 20 décembre pour réclamer l’abandon du projet de fermeture du bureau régional Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena), basé à Nicosie depuis 1987.
Composée de journalistes expérimentés originaires d’une vingtaine de pays, l’équipe gère en trois langues (français, anglais, arabe) le flux d’informations en texte, photo et vidéo, et travaille en synergie avec les bureaux de la région, permettant un traitement de l’information rapide et efficace.
Elle couvre une actualité très complexe et très sensible dans une région explosive quasi quotidiennement en “dominante” depuis des décennies.
Artisan du projet, le directeur de l’information de l’AFP, Phil Chetwynd, justifie cette fermeture, prévue dans environ trois ans, en invoquant deux principales raisons : Chypre manque d’attractivité pour les recrutements et ce pays (GMT+2) n’est situé sur aucun des trois fuseaux horaires désormais privilégiés par l’agence (Washington, Paris, Hong Kong), dans le cadre du système de “follow the sun” (appelé « global shift » à l’AFP) adopté par des médias concurrents.
Le Comité de crise à Nicosie voit, lui,
des arguments “infondés, faux ou contradictoires”.
Le problème du recrutement et de la mobilité à l’AFP dépasse de loin le seul cas de Nicosie. Pour les journalistes de statut local, le manque d’attractivité du poste peut aussi s’expliquer par le niveau des salaires proposés. Quant à résumer l’intérêt d’un bureau régional à un fuseau horaire, cela nous parait un argument léger au regard des enjeux éditoriaux.
A défaut d’être dans le monde arabe –autre argument de la direction–, le bureau régional de Nicosie se situe à proximité immédiate du Proche-Orient. Chypre constitue, en outre, un pays stable et sûr sur le plan de la sécurité. Cet Etat membre de l’UE et de la zone euro offre une solide garantie au niveau du respect de l’Etat de droit, et de toutes les libertés qui l’accompagnent, notamment d’expression. Ceci n’est pas le cas des autres pays de la région.
L’île méditerranéenne constitue ainsi, pour les journalistes de l’AFP qui y sont basés et ont couvert des conflits sanglants depuis tant d’années, mais aussi pour leurs proches, un havre de paix, à partir duquel ils peuvent travailler avec sérénité sur des sujets extrêmement délicats.
Le plus déconcertant dans ce projet est qu’il prévoit que la rédaction soit démantelée et dispersée principalement entre le Liban, pays en faillite qui vient d’être le théâtre d’une guerre, les Emirats, régulièrement épinglés par des ONG de défense des droits de l’homme, et Paris, où le coût de la vie -tout comme à Dubaï-, est bien plus élevé.
La direction de l’AFP, une société dont une part significative des recettes provient de l’Etat, se dit même prête à ne pas lésiner sur les moyens financiers pour mener à bien ce projet, alors même qu’elle balaie les revendications salariales à Paris en arguant d’un budget contraint.
Elle ne voit aucun problème non plus à relocaliser la moitié des salariés à Dubaï, connue pour être une ville énergivore, peu respectueuse de l’environnement, alors même que le socle éthique de l’agence prévoit “la mise en place d’une stratégie responsable et durable pour réduire son empreinte carbone”.
Elle prend en l’occurrence une décision en contradiction avec les recommandations émises l’an dernier par un groupe de travail qu’elle avait elle-même constitué pour étudier les perspectives d’évolution du réseau régional de l’AFP. En plus de prendre le contre-pied de ces conclusions, la direction de l’AFP n’a pas non plus tenu compte des multiples objections des syndicats parisiens et a refusé de fournir une étude de faisabilité aux employés de Nicosie.
La direction assure vouloir trouver des solutions “humaines” pour ses salariés, dont beaucoup ont fait leur vie à Chypre et ne peuvent en partir pour de nombreuses raisons personnelles. En attendant, la perspective d’une telle fermeture met en suspens la vie de plus d’une centaine de personnes.
Le Comité de crise, élu par les employés de Nicosie, a reçu le soutien de l’intersyndicale à Paris, du syndicat des journalistes à Chypre, de la Fédération internationale des journalistes, et de la Fédération européenne des journalistes.
Le Comité de crise de Nicosie