Ce n’est certainement pas un mince exploit que d’avoir pu convaincre Josef Koudelka d’accepter de se livrer sur sa vie et son travail lors des longs et nombreux entretiens qu’il a eu avec Melissa Harris entre 2014 et 2023. L’autrice a réalisé la seule et unique biographie autorisée du photographe réputé, à juste titre, très avare de commentaires, fuyant les entretiens, débats ou discours et s’attribuant lui-même le surnom de « Mr No ».
Josef Koudelka nait en 1938 en Bohème-Moravie dans l’actuelle Tchéquie et connaitra l’annexion par les troupes allemandes, dix ans plus tard la prise du pouvoir par les communistes puis l’invasion soviétique en 1968. Trois événements marquants qui l’ont amené à farouchement vouloir rester maitre de son destin. Il a peu de besoin, sais être solitaire, sera longtemps une sorte de vagabond sans domicile, farouchement attaché à une ascèse pétrie de liberté. « C’est très bien de ne rien posséder car où qu’on aille, on trouve toujours davantage. » Cela lui vaudra d’ailleurs un autre surnom dont le créditeront ses confrères de Magnum, « Saint Josef ». Pour autant, l’homme n’est pas un sauvage, ses images montrent un travail en immersion au plus près de son sujet, en empathie avec les autres. Si l’autrice a su faire parler ce taiseux, elle est également allée à la rencontre de celles et ceux, famille, amis, collègues ou collaborateurs qui ont compté dans son histoire et pouvaient lui apporter un autre éclairage. Le livre est un long cheminement dans la vie intime et créative de Koudelka, traversant les grands thèmes de son œuvre : les Gitans, l’invasion de Prague en 1968, le théâtre, l’exil, les murs, les ruines.
L’ouvrage est illustré de quelques photos iconiques mais surtout de reproductions de documents personnels (carnets, agendas,…) et de photos intimes à la façon d’un d’album de famille. Au fil des pages, on croise de grands acteurs de l’histoire de la photographie qui joueront un rôle déterminant dans sa carrière: l’ami Cartier-Bresson, Elliot Erwitt qui l’a fait entrer chez Magnum, les deux éditeurs Robert Delpire et Xavier Barral avec qui il nouera une longue collaboration.
Il ne s’agit pas d’un livre de photographies à proprement parler, mais c’est l’histoire à cœur ouvert d’un des plus grands photographe du XXe siècle au style caractérisé par une quête obsessionnelle de perfection et une approche très particulière de la photographie. Initialement axée sur les individus rencontrés, son œuvre évoluera vers les paysages ruinés marqués par l’empreinte humaine. Cette transition reflète son intérêt croissant pour l’impact de l’homme sur la nature, tout en conservant une esthétique où le déséquilibre apparent cache une recherche d’harmonie. Koudelka s’efforce de capturer l’essence de ses sujets à travers des compositions méticuleuses, souvent influencées par des artistes classiques comme Cézanne ou Mantegna. Sa maîtrise de la lumière, des ombres et de la perspective donne à ses images une force visuelle inégalée. Il documente méthodiquement son travail dans ses carnets où il consigne ses observations et ses réflexions sur son processus créatif. Son style reflète aussi sa philosophie de vie: transformer les éléments négatifs en quelque chose de positif, que ce soit dans la photographie comme dans son existence personnelle. Loin de se limiter à une approche documentaire, il invente ses sujets à travers son regard unique, conférant une dimension intemporelle et profondément humaine à son art.
Josef Koudelka, Next (Melissa Harris / Delpire éditeur / 18,5x24cm / 352 pages / 42€)
- Marc Riboud
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