Pendant des années, entre 1971 et 1975, j’ai collaboré à « Vu et entendu », une charmante rubrique du quotidien La Croix sur les choses de la vie… Des décennies plus tard, voilà un témoignage qui étonnera les milléniums. Oui, à l’époque, on pouvait se faire réveillé par une voix humaine ! Publié in La Croix du 31 mai 1975
Le doigt court sur le cadran… un, zéro. Un temps, une tonalité rugueuse dans l’écouteur, puis un.. puis trois… Ça sonne, une fois, deux fois, plus quelquefois.
« Allô, ici le Réveil. »
« Bonsoir, Monsieur, Je désire être réveillé… »
Le lendemain matin.
Le téléphone sonne, un bras ensommeillé décroche.
« Il est 6 heures, Monsieur. »
Clac. C’est fini, il faut sortir du lit.
La machine tourne rond, chaque soir et chaque matin. Le service public fonctionne. La voix est anonyme, métallique, électromagnétique. Pourtant… Un soir.
« Je désire être réveillé à 6 heures… Non à 5 h 15. »
« Comme vous voulez, Monsieur, vous savez, pour mol, c’est pareil. »
Une phrase de plus, quelques mots volés au travail mécanique et nous nous parlons.
« A partir de demain, vous n’entendrez plus notre voix. Quand vous appellerez le Réveil, vous n’aurez plus le central de votre quartier, mais celui de la rue des Archives. Là-bas, ce sera l’usine. Mille réveils par nuit au moins. »
La voix, en parlant, s’échauffe, de plus en plus humaine.
« Ici, on ne pouvait plus assurer le service. Il y a dix ans, nous devions faire 30 réveils chaque matin ; aujourd’hui. nous en sommes à 400. »
« Ici, nous étions bien. Nous sommes trois Jusqu’à minuit et deux toute la nuit. C’est un petit bureau… Nous nous arrangeons entre nous. »
C’est leur dernier soir, l’équipe qu’ils formaient va se scinder. Trois partent pour faire le 13, mais deux s’en vont.
« Je suis de ceux qui panent. Vous savez, dans l’administration, nous sommes des pions. Il faut se sownettre ou se démettre. Mais je regrette, car icl nous essayions d’arranger les choses… Là-bas, je ne pourrais pas parler. Ce sera anonyme et je suis contre. La voix devient plus ferme. Ici, quand un nouvel abonné arrive, nous essayons d’être affable… Mais on ne doit pas. Il y a des formules rituelles que nous devons respecter, faute de quoi, grâce aux écoutes, l’administration nous dresse des procès-verbaux. »
Ils sont maintenant deux sur la ligne, qui se coupent la parole pour apporter une précision, se faire bien comprendre.
« Pourtant, il y a des râleurs… »
« Oui, mals l’avocat qui a écrit pour dire que nous avions bien travaillé… »
« On m’a fait remarquer que j’avais dépassé le cadre de mes fonctions. »
« C’est vra1, li y a les annuaires qui sont bien faits, mais les gens préfèrent nous demander le rensclgnement de vive voix. »
« Nous le 11 nous sommes un service public… Je me demande si on ne l’oublle pas. »
La conversation a duré longtemps. Beaucoup plus longtemps qu’une demnnde de réveil l’exige. Nous sommes presque devenus amis. Le lendemain, pour être réveillé, j’ai appelé l’usine de la rue des Archives en composant le 10, tonalité 13. Ainsi va la vie.
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