En 1990, Luc Bernard Chiche (1947-2002) alors membre de l’équipe de L’Evénement du Jeudi publie aux Editions Le Centurion, un pavé de 755 pages titré « Europe n°1 , la grande histoire dans une grande radio ». Le résultat de trois ans d’un travail acharné et minutieux, qui ne le rendra pas riche. Cette incroyable somme n’a jamais été rééditée. Nous en publions ici des extraits avec l’accord de l’ayant-droit.
Le mercredi 5 février 1975, c’est officiel, Jacques Chirac remanie son gouvernement. Pierre Lelong, le secrétaire d’Etat aux PTT, brocardé par Europe 1 pour avoir qualifié d’idiot le travail des postiers, cède sa place à Aymar Achille Fould. Yvon Bourges remplace Jacques Soufflet à la défense, épaulé par le général Bigeard; Norbert Segard devient ministre du commerce extérieur et Jean-François Deniau, secrétaire d’Etat à l’agriculture.
Un vrai tournant dont France-Inter ne se remettra jamais !
Mais ces nominations n’intéressent que très modérément les journalistes d’Europe 1, ils ont sous les yeux les résultats d’un sondage, autrement plus important, celui mené par le CESP , centre d’études et supports de publicité, après la crise traversée par Europe 1 et la grève qui a longuement affecté France-Inter, RTL arrive en tête avec 27,1% devant Europe 1 26,5%, remarquablement stable. France-Inter, en revanche, s’est effondré : 19,1% contre 26% lors du sondage précédent, près de deux millions d’auditeurs perdus. C’est la première fois, depuis que la concurrence de la radio existe que les postes périphériques devancent la radio d’Etat écoutée, elle, sur toute la France, ce qui n’est pas le cas des périphériques….-.Un vrai tournant dont France-Inter ne se remettra jamais !
Rue François 1er, on n’est, bien sûr, pas mécontent de ce CESP, mais les « capitaines portugais » fument un peu plus nerveusement que d’habitude, leurs Churchill et leurs Monte-Christo n°4 en prenant connaissance des détails d’une autre enquête (IFOP). Ils se félicitent de la bonne image d’Europe 1 qui arrive en tête des radios pour la qualité de ses informations et son style moderne de présentation de l’actualité, mais ils se regardent interloqués quand ils apprennent que près de la moitié des auditeurs ne s’est pas aperçu qu’il y avait une crise à Europe 1 … Ce n’est pourtant pas faute d’en avoir parlé à l’antenne, les éditoriaux de Kahn et tous ces communiqués syndicaux, même Mougeotte qui a avoué: « Oui, c’est vrai Europe 1 a été malade…
Les gros cigares s’éteignent, se frippent et puis se rallument.
– « Ce n’est pas tout, il faut préparer le journal de 19h… »
Jean-Claude Dassier a remplacé Etienne Mougeotte qui continue ses interviews politiques. Au menu de ce soir, le tirage au sort du prochain tour de la Coupe d’Europe de football où Saint-Etienne reste qualifié, le plan de soutien à l’économie de Jean-Pierre Fourcade, l’enlèvement du président de la démocratie chrétienne allemande Peter Lorenz par la bande à Baader, et puis un document, à passer absolument, – du saignant, ironise un fait-diversier du poste -, le témoignage de l’avocat Benachenou, qui a été sévèrement tabassé l’après-midi même par la brigade anti-gang dans le café Le Thélème. Une bavure des hommes du commissaire Leclerc, machonne-t-il, en dépliant France-Soir, ça a même fait la manchette…
Et pour les copains, il raconte l’embrouille, comment par un tuyau, les policiers ont été mis au parfum d’un règlement de comptes, entre deux bandes, celle des Zemmour et celle des Lyonnais, comment – pourquoi on ne sait pas et on ne le sait toujours pas aujourd’hui – Un inspecteur est entré, a crié : Police, et les coups de feu ont fusé de partout. – Légitime défense a plaidé l’anti-gang, on a relevé deux morts dont l’un des frères Zemmour, et surtout des innocents ont été frappés dont l’avocat. Enfin, c’est ce qu’on dit. Tout est expliqué là-dedans sourit encore, le fait-diversier, en tapotant un petit bobineau.
Une chance, Europe 1 a été prévenu et Dominique Fillon, le motard du poste, qui habite à 150 mètres du Thélème était sur le pas de sa porte quand le téléphone sonna . Résultat : l’avocat en sang sortait à peine du café que la moto d’Europe 1 arrivait. Le document brut! Tous les reporters savent bien que c’est ce qu’on attend d’eux.
Enregistre et tais-toi !
Michel Pollaco est vivement félicité parce qu’il a enregistré l’inattendu dialogue d’un préfet anti-conformiste, Jacques Gandouin avec deux petits gangsters en cavale, preneurs d’otage d’une famille entière près du Mans. Du très crue!
« Tu vas te faire piquer, con, tu seras pas le premier, con, allez, sors, viens par là, petit… »
Très bon, tout ça… Drôle et positif, le préfet sauve même les otages. Mais quand Poniatovski, le ministre de l’intérieur, limoge son préfet et que l’envoyé spécial d’Europe 1 témoigne en sa faveur dans France-Soir rien ne va plus!
Mougeotte et Villeneuve n’apprécient pas que Pollaco engage ainsi le poste. Enregistre et tais-toi ! Le directeur de l’information tient tellement à cette sorte d’obligation de réserve qu’il en notifie sa rédaction par une circulaire officielle. Vétilleux, il veille d’un oeil jaloux au respect de l’image d’Europe 1.
François Ponchelet revient du Viet-nam, avec dans son sac, des dizaines de documents. Mais comme les communications ont été coupées avec Paris, au moment de la chute de Saïgon, ce n’est qu’avec un mois de retard que les auditeurs écoutent toute une journée, ces images sonores inédites dont la dernière interview du général Minh; c’est bien bête, se dit-il, de ne pas faire un disque de ce reportage. A2, la filiale d’Europe 1 n’en veut pas, trop peu rentable… « Expression Directe » une petite société d’extrème gauche accepte de risquer le coup, mais Etienne Mougeotte refuse. C’est sous un pseudonyme que François Ponchelet signe son document .
Après Saïgon, c’est Phnom-Penh,
après Phnom-Penh, c’est Beyrouth,
après Beyrouth, c’est quoi ?
Les Khmers rouges, la guerre civile au Liban, les territoires occupés d’Israël…, n’y a-t-il aucune raison d’espérer ? Si … Le Portugal qui fait l’apprentissage de la démocratie, et, ce matin, à 8h, Stéphane Paoli est en direct de Lisbonne pour les premières élections libres. Stéphane, c’est le fils de Jacques ! Les Paoli, une vraie dynastie d’Europe 1. Il y a aussi les Duroy. Après Albert, Nicolas, l’animateur de nuit. Les Abraham à la programmation, une vraie tribu, Mychèle, Albert et Joseph. Et puis ceux qui se sont connus et aimés. Anne Sinclair et Ivan Levaï. Philippe Gildas qui a attendu six ans avant de se déclarer à la blonde Maryse qui faisait les yeux doux à un autre journaliste du matin. Mais non, on vous dira pas le nom, c’est pas France-Dimanche ce bouquin, seulement qu’Europe 1 soit une grande famille, qu’on s’y reproduise même, vous ne trouvez pas ça, signifiant, vous ?
Donc, ce jour-là, Stéphane le fils de Jacques est interrogé, en direct, par Jean-François Kahn : « Quel temps fait-il à Lisbonne ? » Le « petit Paoli » lève les yeux : « Il fait incroyablement bleu dans le ciel et dans le coeur des portugais pour ce premier matin de liberté. » Stéphane Paoli arrive de la télévision et découvre les charmes du reportage radio, sa légèreté avec, juste un nagra à l’épaule, sans le fil à la patte de toute une équipe…
« Le PS portugais sort vainqueur de ces élections avec 38% des voix, le PDP en obtient 26% et le PC, 18%. » Bien merci Stéphane Paoli, coupe Kahn qui enchaîne, et puis, aussi, dans ce journal un dernier écho de l’enterrement du communiste Jacques Duclos. Patrice Louis, son nouveau second, (Olivier de Rincquesen promu, anime les week-ends matin avec Viviane Blasel), a conservé pieusement dans ses archives, le commentaire qu’il fit de ces obsèques, non pas que son analyse relevât des trésors d’invention stylistique mais il eut les honneurs de L’Humanité, fait rarissime, il est vrai, qui méritait bien ce soin d’entomologiste.
Le PC n’a jamais aimé Europe 1 qui le lui rend bien. Une divergence de fond ! Certes, tous deux savent qu’ils sont condamnés à composer, mais leur guerre connait régulièrement des accès de fièvre. Comme – justement – en 1975 où André Wurmser « allume » Kahn et le poste. Objet de ce ressentiment : les interdictions administratives que voudrait imposer aux militants politiques Jacques Chirac.
Un premier ministre qui dégaine plus vite que son président. Le western Chirac-Giscard commence. La nouvelle journaliste du service politique d’Europe 1, Catherine Nay y forge ce style vachard mais enlevé qu’on lui connait aujourd’hui. Arrivant de L’Express, confrontée au rythme infernal de la radio, au début elle croit mourir.
« Mon Jules, raconte-t-elle, me souffle effaré : Raccroche, t’as vieilli de 15 ans. »
L’horreur ! Mais les impératifs d’horaires dopent cette capricorne d’1m 77, qui dépasse d’une tête tous ses confrères. Une fonceuse. Ah ! Il fallait voir le regard des hommes politiques engoncés dans leur costard trois pièces quand ils l’ont vue arriver en mini-jupe avec Irène Allier et Michèle Cotta, envoyées spéciales à l’Assemblée National de l’hebdomadaire de JJSS. Le vrai précurseur quant au recrutement féminin dès 1968. Au Palais-Bourbon, il y avait bien Danièle Brème et Suzanne Gauthier, mais, des femmes journalistes, spécialisées dans la politique, on n’y était pas habitué. Alors, on baptisa ces trois puncheuses d’Express-Girls .
« Succès assuré si vous n’êtes pas trop bête et pas trop laide » souffle Catherine Nay.