Ça faisait bien longtemps qu’elle m’intriguait cette cabine de photographie installée dans une rue pentue du vieux Montmartre, un peu à l’écart du grand flux touristique qui s’abat sur la butte à longueur d’année.
Intrigué non pas par la chose en elle même, l’équipement restant encore assez familier dans la ville, même s’il est surtout cantonné dans les administrations, centres commerciaux, stations de métro et gares. Non, ce qui me surprenait, c’est que, de jour comme de nuit, été comme hiver, il y a toujours des gens à attendre patiemment leur tour pour soulever le petit rideau bleu ciel et prendre place sur le mini tabouret, parfois à deux voire plus.
On peut parfois compter des dizaines de chalands, majoritairement des jeunes gens venus du monde entier, alignés sur l’étroit trottoir, attendant sagement que la place se libère ou que la machine crache sa bande de photos noir et blanc au bout de quatre minutes. Une population certainement attirée par le côté vintage de la bête, sachant qu’elle entend par là tout ce qui a plus de 20 ans d’âge. Ce qui vu les prix affichés dans les boutiques qui se bousculent sur ce créneau, me fait salement regretter d’avoir flanqué à la poubelle des choses parfaitement hideuses mais qui, alchimie du temps, se sont transmutées en or. On se bouscule donc devant ce « Fotoautomat », comme nommé sur l’enseigne lumineuse surplombante. Une référence au nom allemand de l’appareil car l’initiative nous vient d’Allemagne et plus précisément de Berlin où est née l’idée il y a presque 25 ans avant d’atterrir à Paris en 2007. Eddy Bourgeois et Virginie Voisneau s’emparent du concept qui a pour objectif de donner une seconde vie à ces drôles de cabines qui sont une sorte d’antithèse du smartphone que tout le monde a dans la poche. C’est argentique, il y a une sorte de rituel, c’est long à délivrer comme si, à une époque où tout doit aller le plus vite possible, attendre devenait une nouvelle vertu.
« Ça a commencé comme ça… Ole et Asger restauraient des photomatons noir & blanc depuis déjà un moment quand je les ai rencontrés à Berlin en 2006. Ils avaient fondé “ Photo Automat ” 7 ans auparavant, possédaient un petit atelier en dehors de la ville où ils remettaient en service ces vieilles bécanes promises à la destruction. lls proposaient pour seulement 2 euros un authentique tirage argentique noir et blanc. 24/24H, 7 jours sur 7, les cabines, soumises aux pires conditions climatiques, livrées aux plus sobres usagers d’après minuit… ne s’en portaient pas plus mal ! Les systèmes mécaniques et électriques entièrement revisités et fiabilisés n’empêchaient pas les automates de manger une photo de temps en temps… C’est à cette époque que l’on a initié le projet d’installer une photo cabine à Paris. Foto Automat a donc ouvert son atelier à Chartres et en septembre 2007, le photomaton argentique noir & blanc à l’ancienne faisait son grand retour en France ! D’abord au Palais de Tokyo, puis au Point Ephémère, au Jeu de Paume, à la Maison rouge, à la Cinémathèque française… »
Au sortir de leur atelier, les cabines sont entièrement restaurées, de nouveau fonctionnelles et bénéficient chacune d’un habillage personnalisé qui fait qu’il n’y en pas deux pareilles. Après les RIP d’Arles ou le Musée d’art brut de la Halle Saint-Pierre, outre Montmartre, on peut les trouver notamment au Palais de Tokyo, aux galerie Lafayette, au Printemps Haussmann ou au Lieu Unique à Nantes. Partout, le succès est au rendez-vous dans une atmosphère conviviale et joyeuse car l’expérience n’est pas solitaire et toujours partagée avec son béguin ou des amis. Aux dires des amateurs, on apprécie le côté physique de la chose, spontané, sans droit à la retouche, la trace d’un moment partagé avec sa meilleure amie ou son boy friend, où même les images ratées sont une précieuse source de plaisir et de rires.
En attendant la sortie des images, on patiente en scrutant son smartphone qui sera utilisé, quand on aura la bande de papier en main, pour la photographier et poster ça sur son Instagram. C’est une sorte de boucle argentico-numérique où le tangible redevient immatériel mais l’acte n’effacera pas le souvenir et la charge émotionnelle que porte ces quelques centimètres carrés de papier. D’autres initiatives de ce genre ont vu le jour un peu partout dans le monde : Etats Unis, Canada, Grande Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne, Pays Bas, Finlande, Singapour, Australie et même Ouganda. Alors, à l’heure des selfies et des smartphones archi dominants, longue vie à ces témoins de l’histoire de la photographie et de la culture populaire détenteur d’un charme que le numérique ne saurait égaler.
Le site de Fotoautomat
Un site sur les cabines photographiques dans le monde
- Fotoautomat
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