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Je devais devenir secrétaire sténo-dactylo, selon les enseignants de mon lycée. Je suis devenu journaliste. C’est dire que durant des années, avant l’informatique, les machines à écrire ont été mes amies. Billet publié dans le mensuel Secrétaire d’aujourd’hui en décembre 1977.
« Machin ! », « Machine ! ». C’est comme cela que nous nous appelions à l’école primaire. Machine de mon enfance où êtes-vous ?
Je peux la tutoyer. Il n’y en eut finalement qu’une qui compta pour moi. Une Hermès vert d’eau à la peau granuleuse encapuchonnée dans sa boîte métallique : elle était portable. Portable vous parlez !
J’avais dix ans quand elle entra dans ma vie. Pourtant elle a bien voyagé à travers les âges. A 10 ans je martyrisais son clavier. A 16 j’écrivis avec elle mes premiers poèmes. A 18, nous fîmes ensemble un essai sans suite de roman. A 20, c’était en mal 68, elle n’avait pas le caractère voulu. Trop petit pour les mots d’ordre de la révolution. C’était la machine de ma mère. Je la quittai.
Bien sûr, j’en connus d’autres. J’ai croisé dans mon adolescence de lycéen, de futur secrétaire, de ces Japy de bureau, imposantes, de ces Ollvetti modernistes et même quelques américaines plutôt défraîchies. Elles n’ont guère compté pour moi, bien qu’elles m’aient appris les subtilités de la frappe à dix doigts.
Ma deuxième machine, l’autre – celle avec laquelle je vous écris – je l’ai épousée. C’est, si je puis dire, une machine par alliance. En 1969, elle arriva dans ma chambre d’étudiant en même temps que mon épouse. Ma femme la tenait de son frère, qui la tenait d’on ne sait qui…
C’est une machine qui vient de loin. Elle a traversé la Méditerranée. C’est une machine des colonies, un produit français d’outremer qui a du caractère.
Introduite dans mon univers sous un prétexte falacieux : taper un mémoire de fin d’études… Je peux le dire aujourd’hui devant elle : ce ne fut pas le coup de foudre. D’ailleurs peut-on raisonnablement avoir le coup de foudre pour une Japy Script qui doit dater des années 50 ?
Mais au fil des lettres, et surtout au fil des articles – j’étais devenu journaliste – j’appris à l’apprécier. Elle a les touches larges, le caractère assez gros qui convient à ma vue et une certaine douceur de frappe qui, j’aime à le croire, tient à ses origines. Et puis…
Et puis j’ai aujourd’hui fait tant et tant de choses avec elle que nous sommes devenus inséparables. Des rédactions enfumées, aux montagnes de Savoie en passant par la Corse, je l’ai traînée dans toutes mes aventures professionnelles.
Il suffit que le mot « reportage » clignote dans ma vie pour qu’elle trouve tout naturellement sa place dans la poussière de ma voiture, derrière le dossier de mon siège. Là, bien calée, elle en a vu du pays…
Il y a quelques années lassé de sa couleur terne, j’ai fait comme ces « fadas » de voiture de sport que je mérpise tant. J’ai entrepris de la décorer à grand renfort d’autocollants
Les étapes sont maintenant marquées sur son capot comme autant de tatouages sur le corps d’un légionnaire. Quand même je n’aime pas coller n’importe quoi sur ma machine.
A gauche, il y a deux logos jaunes. A droite, La Vie, Oise puis Savoie. Sur son chariot : GRRR ! Chaque mot compte. C’est comme avec une amie. Il suffit d’un mot, d’un seul pour que renaissent les souvenirs.
Un mot et quel mot : écrire !
- Edouard Elias
« Cette voix que j’ai entendue ici,
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