En 1974 et 1975, alors que j’ai quitté l’agence de presse Fotolib, je suis devenu une petite année chroniqueur à la rubrique « Radio-Télévision » de Libération, jusqu’au jour ou une assemblée générale décida un soir de supprimer la page. C’était l’époque ou il fallait « casser sa télé » ! C’était pourtant l’époque ou à la télévision française des magazines comme « Satellite » ou « Panorama » donnait à voir le monde avec un tout petit peu plus de liberté.
Publié in Libération du 8 février 1975
Ils sont installés au troisième étage de Cognacq Jay. Deux bureaux marqués « Satellite ». L’un est celui de Jean-François Chauvel, la porte en est fermée. L’autre porte le carton du générique de l’émission. A l’intérieur, les deux bureaux n’en font qu’un. Dans celui du « patron » trois personnes téléphonent… Chauvel va de l’un à l’autre. Comment pourrait-il avoir un bureau ?
La rédaction de « Satellite » rigole. L’ambiance est au sourire ironique et à la provocation verbale… On cultive le mythe du grand reporter avec soin. Le téléphone sonne. On téléphone beaucoup. Dans chaque conversation une station de ligne aérienne est citée. Inévitable dans un magazine de « grands reporters ». Sur un coin de bureau, un jouet significatif : un Boeing miniature. Il y a autant de mythes collés aux chaussures des grands reporters, que de boue des rizières. Peut-être est-ce là ce que Jean-François Chauvel appelle dans son livre « L’esprit de l’aventure ». Peut-être est-ce là, un lien indispensable à une telle équipe.
Pour faire chaque semaine un magazine d’actualité comme « Satellite », il est indispensable d’avoir une équipe qui tourne rond, qui se comprend à demi-mot. Et comme Bigeard, dont il nous a montré le portrait jeudi soir, Jean-François Chauvel sait manier la fronde et l’ordre.
«Vous auriez vu comme il a envoyé chier le directeur de cabinet du ministre !»
« Quand il n’aime pas l’émission d’un autre, il lui dit en riant. Les gens se fächent. »
« Oui, il est de droite, enfin il a un esprit que l’on qualifie de droite. Mais il n’y a presque pas de gens de gauche qui travaillent avec lui … »
« Allo Schoen… (ndlr: Pierre Schoendoerffer) Jean-François à l’appareil… tu n’es pas encore crevé ? Comment 20 minutes ! Il réduit comme une peau de chagrin ton Bigeard. Bon, si tu trouves qu’il est bien comme cela, marchons… »
Et le sujet roulera comme cela sur le télécinéma… Un portrait à coups de serpe et d’ombre d’un Bigeard héros de bande dessinée qui parlant de la bataille d’Alger dira : « Deux blessés par bombe ! Vous rigolez… ». On rit jaune en pensant aux milliers de disparus. Et il ne suffit pas de déclarer : « Nous étions des cons… des cons sympas » pour effacer le tableau.
Les muscles de Bigeard, les soldats sans chemises, les paras du peuple, l’armée réconciliée avec la nation, ces belles paroles dont nos militaires en tenue léopard ont abreuvé le contingent des années soixante c’est ailleurs que nous le voyons.
Dans le reportage du Portugal de Dominique De Roux et Pierre André Boutang, il y a une image sur laquelle la caméra aurait dû s’arrêter. Place du Rossio en plein coeur de Lisbonne, les militaires ont pris position pour empêcher le rassemblement d’une manifestation du MRPP. Face à eux, les manifestants scandent « Impérialistes hors du Portugal » et tout d’un coup l’un d’entre eux passant devant un parachutiste lui sourit. Cela Pierre André Boutang a oublié de le montrer comme il n’a rien dit sur la campagne de dynamisation des campagnes. Il est vrai que ce n’était pas le sujet demandé… Mais avec Dominique De Roux, il prépare un dossier sur le Portugal que nous verrons en mars.
Il reste que ce sujet faisait bien le tour des événements portugais du mois de janvier même si la vision qui nous en a été proposée était bien « française ». Le PS, le PC, le MFA, Jean-François Chauvel n’apprécie guère, ces militaires qui vont dans les campagnes. Ses préférences vont à un Spinola ou à un Othello de Carvalho. De Lisbonne, il oublie d’envoyer l’image la plus frappante : un militaire et un civil bras dessus, bras dessous.
A rebrousse poil de Jean-François Chauvel
Edition Olivier Orban 1975
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