
Entre 1991 et 2015, Thomas Haley a réalisé pour l’agence Sipa de nombreux reportages en Israël et Palestine. Depuis des décennies la situation est tragique et encore plus aujourd’hui suite au 7 octobre 2023. Raison de plus pour réfléchir sur le passé.
Je n’ai pas pu résister à l’envie d’aller en Israël / Palestine pour couvrir ce jour historique, le vendredi 23 septembre 2011, jour où Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, devait prononcer son discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies et probablement, personne ne le savait avec certitude, s’il allait demander la reconnaissance d’un État palestinien indépendant.
Je ne pensais pas qu’il se passerait quelque chose d’extraordinaire, mais on n’est jamais sûr… La photographie ne pardonne pas aux absents. D’un autre côté, j’étais sûr que si je restais à Paris, la chose la plus raisonnable à faire, je le regretterais.
Je n’arrêtais pas de penser à une photo que j’avais prise devant la porte de Damas à Jérusalem le 13 septembre 1993, lorsque Yassir Arafat et Yitzhak Rabin s’étaient serré la main sur la pelouse de la Maison Blanche, scellant ainsi leur engagement à l’égard des accords d’Oslo. Pour la première fois, les Palestiniens pouvaient arborer librement leur drapeau sans craindre d’être arrêtés ou abattus par les forces israéliennes.
Ainsi, près de 20 ans plus tard, un autre moment crucial pour les Palestiniens sur le chemin semé d’obstacles et malheur depuis tant d’années, cette fois-ci, d’être reconnus comme un peuple avec un État indépendant à part entière. Au cours de ces vingt années, la colonisation israélienne du territoire palestinien s’était poursuivie sans entrave (les accords d’Oslo prévoyaient le gel de toute construction de colonies dans les territoires occupés), la population de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est avait doublée. La stratégie Israélienne de « facts on the ground », c’est-à-dire l’établissement d’une réalité physique sur le terrain, risquait de préempter toute possibilité d’un État palestinien viable.
Donc, ce vendredi 23 septembre promettait d’être une journée chargée. Le président Abbas devait s’exprimer devant l’Assemblée générale vers 18 h 30, heure locale. Un grand écran avait été installé dans le centre-ville de Ramallah afin que les Palestiniens puissent se rassembler pour écouter leur président.
Avant cela, vers 12h30 ou 13h, une cinquantaine de journalistes, étrangers et locaux, photographes et équipes de télévision, attendaient à l’entrée, côté palestinien, du point de contrôle de Qalandia. Le dernier chant du muezzin provenant d’une mosquée voisine a signalé la fin de la prière ; et comme une horloge, les garçons palestiniens ont commencé à sortir des ruelles avec, au début, seulement une poignée de pierres et quelques cocktails Molotov, pour défier les soldats israéliens. Il s’agit d’un véritable rituel de résistance.
Ce que je n’avais pas prévu, et j’aurais dû m’en douter, c’est la présence écrasante des médias, bien plus nombreux que les lanceurs de pierres. En fait, il était évident que notre présence incitait dans une large mesure les jeunes Palestiniens à agir. Nous n’avons pas créé l’événement, mais nous l’avons certainement transformé. Les jeunes Palestiniens, assoiffés d’attention et désireux d’exhiber leur bravoure devant les caméras, se sont prêtés au jeu.
Ceux qui portaient des drapeaux ou tout autre accessoire susceptible de donner une valeur visuelle savaient que cela attirerait l’attention des photographes et des caméramans ; les faiseurs d’images tombaient parfois les uns sur les autres dans leur tentative d’obtenir la photo d’action déterminante, essayant d’isoler le seul lanceur de pierres palestinien de la masse des médias qui se rapprochaient de tous les côtés.
Nous, les photographes, nous sommes toujours à la recherche de cette image emblématique pour décrire ce à quoi elle ressemblerait si nous étions seuls, en essayant d’exclure tout ce qui gêne dans la composition de notre réalité du moment. Je ne suis pas à l’abri de ce désir de réaliser cette grande photo d’action, mais il arrive un moment où l’on devient également conscient de cette réalité qui va au-delà de nos désirs et de notre ambition personnelle et je me demande si ce n’est pas à ce moment-là que nous devenons moins efficaces en tant que photoreporters ?
Alors que j’observe de loin, avec un certain dédain, les jeunes photographes se précipiter sur cette photo, je suis également conscient que je ne l’aurai pas. Peut-être trop fier, trop intellectuel, je suis de moins en moins disposé à m’abaisser à de telles singeries irréfléchies.
En fin de compte, on doit se demander, qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que cela signifie ? Quel est le sens de cette image ? Représente-t-elle la réalité du moment ; sans aller jusqu’à se demander si elle représente la Vérité ! J’étais plus sûr de moi il y a 20 ans qu’aujourd’hui. Ce que je me demande, c’est si je suis ou non un meilleur photographe ?
PostScriptum
L’historien Israélien, Ilan Papé, a dit : si on veut comprendre le 7 octobre, il faut retourner à 1948 et à la Nakba, « le catastrophe », quand 750,000 Palestiniens ont été chassés de leurs terres. Il faut aussi lire La guerre de cent ans contre la Palestine : une histoire de colonisation et de résistance, de l’historien Rashid Khalida.
Ceci de Peter Beinart { https://peterbeinart.substack.com/ } que je ne saurais trop recommander : « Les Palestiniens savent mieux que quiconque ce qu’il faut faire pour que les Palestiniens cessent de se battre contre Israël. Et les Palestiniens n’ont cessé de répéter que les Juifs israéliens ne seront pas en sécurité si les Palestiniens ne le sont pas. Et les Palestiniens ne peuvent pas être en sécurité s’ils ne sont pas libres. » – Peter Beinart,
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