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Photojournaliste indépendante depuis 2004, année de son arrivée en Afghanistan, Véronique de Viguerie, photographe parmi les plus primées de la profession, n’a eu de cesse de s’investir humainement, professionnellement sur tous les conflits en cours des vingt dernières années, notamment au Yémen où elle fût détenue pendant un mois par les Houthis. Une expérience vécue pour lui donner une raison de plus d’aller témoigner et partager la liberté retrouvée du peuple syrien, trop heureux de la chute de la dynastie sanguinaire des Bachar-el-Assad père et fils.
La question ne se posait pas pour vous, il fallait-il prendre le chemin de Damas le plus vite possible ?
C’était pour moi une évidence car pour une fois c’était une bonne nouvelle pour des centaines de milliers de gens. Il le fallait.
Pas de contrôle ou de difficultés particulières vers Damas ?
Non, nous y sommes allés avec François de Labarre de Paris-Match en passant par la Turquie et le Kurdistan syrien puis de Homs à Raqqa sans aucun contrôle. La chute de Bachar a eu lieu un dimanche et nous sommes arrivés le mercredi suivant. D’abord le nord de la Syrie puis le jeudi Raqqa et le vendredi on arrive à Homs. On y suit la prière du vendredi et on retourne dans la capitale le soir même et y restera jusqu’au dimanche. Je crois beaucoup que le HTC (Hayat Tahrir al-Cham, Organisation de libération du Levant) mis en place par son leader Abou Mohamed al Joulani est sincère dans l’application d’un islam modéré, très tolérant, avec un discours plutôt rassurant. Mais, dans ses troupes, il y a aussi des radicaux qui peuvent lui créer des problèmes et mettre à mal cette liberté retrouvée euphorique. Joulani a très bonne réputation depuis qu’il avait autorisé les écoles mixtes en 2023, mais il n’a pas libéré la Syrie tout seul et il faudra voir comment évoluent ses rapports avec les djihadistes, sachant qu’il a déjà échappé à plusieurs tentatives d’assassinat.
Avez-vous pu discuter avec quelques femmes sur la nature de leur espoirs légitimes pour l’avenir immédiat ?
Pas autant que je le souhaitais car c’était vraiment une ambiance de fête et ce n’était pas le moment. Nous ne ressentions aucune envie de répondre à des questions qui risquaient de gâcher ces instants retrouvés et cette ivresse très populaire.
Avez-vous pu accéder aux camps de détention des femmes et enfants ?
Avec la complicité d’une des directrices d’un de ces 2 camps qui rassemblent plus 6000 femmes et plus de 1000 enfants chacun, nous avons pu y accéder. Ce sont un peu des prisons à ciel ouvert. La directrice nous disait que depuis le départ précipité de Bachar-el-Assad, les femmes dans le camp se voilaient à nouveau de plus en plus, parce qu’elles pensaient être libérées très bientôt. Au même titre que les autres prisons qui ont été ouvertes par le HTC.
Dans ces camps-là, surtout celui-ci qui est à Al-Hol réservé aux étrangères, ce ne sont que des femmes et des enfants qui viennent de partout dans le monde, France, Italie, Tchétchénie. Et c’est un camp qui est « ultra dur », c’est-à-dire que les femmes y ont reconstruit un califat. C’est le seul endroit durant les 15 jours passés en Syrie, où nous avons dû mettre notre gilet pare-balles pour pénétrer à l’intérieur. Mais nous n’avons pu nous avancer que de quelques mètres, car les gamins ont commencé à nous jeter des pierres. La directrice nous a confirmé qu’ils avaient tué un représentant de la Croix Rouge il y a deux ans. Plus personne ne veut y aller parce que c’est trop dangereux. Ils y vont une fois tous les six mois, en véhicules blindés pour faire une espèce de bilan. Et lors du dernier en octobre, la directrice, nous a aussi avoué avoir découvert le corps d’une femme enterrée.
Pour quelle raison ?
Probablement parce qu’elle ne se pliait pas assez aux règles imposées. Dès que vous arrivez vous êtes accueilli par des jets de pierres et des insultes criées par ces gamins nés dans le califat. Ils n’ont accès à rien, pas de portable, pas de télé, pas de jeux, rien de rien. Ils n’ont évidemment pas de nationalité leurs pères étant morts ou en prison quelque part, Tous ces gamins qui sont sacrifiés deviennent une vraie bombe à retardement, car ils ont grandi dans la haine absolue de l’Occident et de nos valeurs, ce qu’on leur rend bien en les laissant totalement à l’abandon.
Selon vous la Turquie est aussi à la manœuvre de manière déterminante ?
La Turquie est certes derrière le HTC, mais il y aussi des milices en Syrie qui ont déjà repris des villes aux Kurdes avec une violence très meurtrière. Et la directrice, avait un discours très clair sur les camps ou sur la prison, : « Ecoutez, nous cela fait depuis 6 ou 7 ans qu’on s’occupe de ces camps et de ces prisons, alors si vous nous obligez à devoir nous battre tout seuls contre la Turquie, bien évidemment qu’on va lâcher les camps et vous vous en débrouillerez ! »
Avez-vous eu le sentiment que les minorités chrétiennes, druzes, alaouites, chiites et kurdes, sont en situation de se fédérer ou, au contraire, de se retrouver en opposition renouvelée ?
Je crois qu’ils sont encore dans une phase d’attente, c’est-à-dire en espérant le mieux et en n’imaginant pas encore le pire. Mais avec cependant pas mal de méfiance et de retenue. En tout cas, le HTC et ses hommes ont eu, vis-à-vis des minorités, une politique qui s’est bien passée mis à part à certains endroits. Car il y a des survivants qui vivent aujourd’hui dans la même rue que leurs bourreaux qui les ont torturé et qui sont souvent coupables de la mort de leurs proches. Mais je crois qu’il y a une volonté de la part du peuple syrien et de ceux qui soutiennent le HTC que tout se passe bien. Par exemple à Damas, dès le premier vendredi après la chute de Bachar-al-Assad, des gens ont ouvert des bars avec de l’alcool, pour donner l’exemple et il y a vraiment un engouement hyper optimiste pour l’avenir. La jouissance de la liberté retrouvée était manifeste, enfin pouvoir rire, sortir, tous les gens étaient dans la rue, les voitures klaxonnaient, c’était vraiment enivrant !
Peut-on espérer le retour programmé, à très courte échéance d’une véritable démocratie, même sous obédience religieuse ?
Déjà je ne sais pas ce qui va se passer du côté des kurdes, ce qui représente un tiers du pays, Est-ce que le territoire qu’ils contrôlent va être séparé du reste du pays? La Syrie va-t-elle devenir un état fédéral ? Les Kurdes sont musulmans, mais plus libéraux. S’ils n’arrivent pas à se faire une place dans le gouvernement ou à participer aux prochaines élections, ça va être problématique. Des concessions de part et d’autres seront nécessaires. Attendons, mais l’espoir est flagrant de voir vraiment se mettre en place une réelle volonté de mener à bien la politique d’un changement de régime tant attendu. Est-ce qu’il y en aura les moyens ? C’est toute la question.
- Véronique de Viguerie
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