Le bombardier américain Enola Gay à Tinian, dans les îles Mariannes, avant sa mission de bombardement atomique à Hiroshima, au Japon, en août 1945. Des images comme celles-ci sont marquées pour la suppression en raison du nom de l’avion. Phoro : Armée de l’air américaine
Le bombardier américain Enola Gay à Tinian, dans les îles Mariannes, avant sa mission de bombardement atomique à Hiroshima, au Japon, en août 1945. Des images comme celles-ci sont marquées pour la suppression en raison du nom de l’avion. Phoro : Armée de l’air américaine

Le Pentagone, sous la directive du décret du président Donald Trump visent à éliminer les initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), il s’est lancé dans une purge massive des images d’archives. Plus de 26 000 images de toutes les branches de l’armée ont été signalées pour être supprimées. On estime que le total des images condamnées pourrait atteindre jusqu’à 100 000 ! 

On s’attendrait à ce que cet effort, cible des images menacant la sécurité nationale,  photos de technologies classifiées, d’opérations ou de renseignements sensibles. Mais non. Le vrai danger ce sont les photographies de personnel militaire et parfois même d’équipement qui ne correspondent pas au récit spécifique et étroitement défini par le gouvernement. Un récit qui s’accroche, avec une détermination à toute épreuve, à la vision d’hommes blancs hétérosexuels pour représenter les forces armées américaines.

Il s’agit d’un ménage qui expose une vérité souvent chuchotée, mais rarement reconnue : quand les gouvernements se sentent menacés par des images, ce ne sont pas les pixels qu’ils craignent, mais la vérité que ces images révèlent.

Les images sont beaucoup plus que des instants figés ; ce sont des fragments de la réalité, des témoignages visuels qui survivent aux aléas des régimes et des changements de politique. Les images sont de puissants rappels que l’histoire est plus nuancée et diversifiée que ceux qui sont au pouvoir pourraient l’admettre.

Lorsque les pouvoir tentent d’effacer ces fragments de réalité,

il ne s’agit pas simplement d’une attaque contre l’Histoire,

mais d’une attaque directe contre la liberté de parole et d’expression.

Dans la ligne de mire de cette purge se trouvent non seulement des images de minorités et de femmes, mais aussi celles qui perturbent la mythologie d’une armée monolithique. L’inclusion d’images mettant en scène du personnel LGBTQ+, des membres de minorités ou des jalons révolutionnaires présente une vérité qui dérange : l’armée américaine n’est pas – et n’a jamais été – une entité singulière et homogène. C’est un melting-pot, une force complexe et dynamique renforcée par sa diversité.

L’ironie est palpable. Pour une institution qui s’enorgueillit de sa force et de sa résilience, elle apparaît étonnamment fragile confrontée à l’image de sa propre diversité. Quelle force militaire est assez vulnérable pour se sentir mis en danger par des photographies de ses propres héros quand ils ne correspondent pas à un moule particulier ? C’est une absurdité qui cache une insécurité plus profonde, un aveu que le contrôle de la narration visuelle est aussi important, sinon plus, que le contrôle du champ de bataille.

Il y a une longue histoire des régimes qui réécrivent l’histoire en effaçant des images. Des dirigeants soviétiques effacés des photographies, aux manipulations numériques modernes, la tactique reste la même : contrôler l’image, contrôler le récit.

Dans un monde où l’information circule librement et où le visuel est souvent plus persuasif que le texte, une telle démarche est un signe de désespoir. C’est une reconnaissance que ce que voit le public façonne ce qu’il croit. Et si ce qu’ils voient est la vérité complète et sans fard ; celle d’une armée remplie de personnes de toutes races, sexes et orientations, cela menace la réalité organisée par ceux qui sont au pouvoir.

Révisionnisme historique

Des photographies comme celles-ci sont purgées pour les archives militaires américaines afin de satisfaire un agenda politique. Les aviateurs de Tuskegee ont participé au combat au printemps 1943. Ils ont d’abord piloté des P-40 comme celui d’ici. (Photo de l’armée de l’air américaine)
Des photographies comme celles-ci sont purgées pour les archives militaires américaines afin de satisfaire un agenda politique. Les aviateurs de Tuskegee ont participé au combat au printemps 1943. Ils ont d’abord piloté des P-40 comme celui d’ici. (Photo de l’armée de l’air américaine)

La suppression de ces images révèle  également un élargissement du révisionnisme historique. Il ne s’agit pas seulement de supprimer des photographies, mais d’effacer les histoires qu’elles racontent : la bravoure des aviateurs de Tuskegee, les réalisations révolutionnaires des femmes soldats, l’héroïsme silencieux des membres des minorités qui ont servi leur pays malgré les préjugés.

Il ne s’agit pas seulement d’images de diversité ; Ce sont des images de patriotisme, de courage et de progrès. Ce sont des morceaux d’Histoire qui nous appartiennent à tous. Ces hommes et ces femmes méritent autant, que n’importe quel autre membre actif de l’armée, d’être représentés dans les archives nationales. C’est une insulte à leur engagement, à leur dévouement et à leur mémoire.

En fin de compte, il ne s’agit pas seulement d’une lutte pour les images, mais pour l’Histoire elle-même. Lorsque les images disparaissent, les histoires, les leçons et les progrès durement acquis qu’elles incarnent disparaissent également. C’est un précédent dangereux, qui suggère que la véritable menace pour ceux qui sont au pouvoir n’est pas du tout extérieure : c’est la vérité indéniable capturée dans ces images mêmes, qu’ils cherchent à effacer.

Première publication en anglais

 

Paul Melcher