
C’est une collection de photographies de façades de Love Hotels japonais, réalisée en 2023, lors d’un voyage en voiture entre Tokyo et l’Île de Shikoku. Le photographe François Prost dresse ici un portrait vernaculaire du Japon, fait de bords de routes ordinaires, d’enseignes défraîchies et de façades colorées, assez loin des clichés habituels qui collent à l’image du pays.
De l’urbanisation outrancière des grandes mégalopoles aux campagnes agricoles ordonnées, les paysages urbains défilent à travers le prisme des façades de ces établissements emblématiques de la culture populaire japonaise, prévus à l’origine pour offrir de l’intimité aux couples nippons dont les rapports amoureux n’étaient pas toujours bien vécus au sein du foyer familial, souvent de petite taille. Les Love Hotels proposaient ainsi une extension de chambre, dédiée à l’acte de chair, loin des considérations familiales. Un projet qui comptabilise plusieurs centaines d’images et s’inscrit dans le droit fil de travaux identiques réalisés précédemment sur des devantures de lieux festifs: After Party, Gentlemen’s Club, Discoteca ou Club Ivoire.
Entretien avec François Prost
Vous travaillez en série et faites beaucoup d’images. C’est difficile de s’arrêter?
Où est-ce qu’on s’arrête, où est-ce qu’on place le curseur ? C’est vrai que j’ai peut-être une approche un peu scolaire mais aussi un peu rassurante, parce que j’ai un cadre de contrainte budgétaire et de temps qui fait que je ne pars pas dans tous les sens et qu’à un moment je dois m’arrêter. Sinon, je pourrais peut-être continuer pendant plusieurs mois.
Pour le projet « Love Hotel », je suis parti un peu moins de trois semaines au Japon et tout ça est très préparés avec beaucoup de repérage en amont. En fait, c’est très organisé.
Comment vous faites vos repérages ?
Avec Google Maps en fonction d’endroits où j’ai envie d’aller. Sans cet outil, ça pourrait se faire, mais ça me prendrait beaucoup plus de temps. Je repère quelques lieux qui me paraissent intéressants, autour desquels j’organise un itinéraire. Pour cette série, je suis parti à Tokyo pour une exposition et on m’a demandé si j’étais intéressé pour développer un projet sur place. L’idée m’est venue assez naturellement dans la continuité de précédents projets que j’avais fait, notamment aux Etats-Unis, sur des façades de clubs de strip-tease. Ces hôtels sont des lieux très spécifiques à la culture japonaise, donc je trouvais ça intéressant. J’ai organisé un périple de deux semaines et demie en partant de Tokyo jusqu’à Shikoku.
Ce travail s’inscrit donc dans la continuité de précédentes séries sur les lieux de divertissement ?
Tout à fait. J’ai commencé avec une première série en France qui s’appelle After Party, qui documentait des façades de discothèques. Assez vite, des gens m’ont dit « Ah tiens, c’est marrant, on a l’impression que c’est aux Etats-Unis. » Je me suis fait la réflexion que ce serait intéressant d’aller aux Etats-Unis revenir un peu à la source culturelle de l’inspiration de ces endroits, même si en France, bien qu’influencé par la culture américaine, ça reste aussi un peu français, par les références, par les codes. J’ai commencé des recherches mais j’étais un peu déçu par les résultats et je me suis rapatrié sur les clubs de strip-tease, ce qui était plus intéressant, un peu comme dans un film de Tarantino. Donc oui, à chaque fois, ce sont des lieux de loisirs, mais qui, en même temps, permettent de documenter les paysages et la société du pays. Ça va raconter ce que les gens sont prêts à voir et accepter de ces façades dans un espace public. Ça renseigne aussi sur les conventions, les symboles, les noms, les couleurs, les codes graphiques.
Dans la continuité de ces séries, ça serait quoi ce qui pourrait coller à votre démarche ?
Je reviens du Mexique où j’ai photographié des clubs de strip-tease et j’aimerais bien aller au Brésil où il y a pas mal de love hotels aussi, mais dans un genre un peu différent. Après il y a aussi une thématique qui m’intéresse, celle des adult stores aux Etats Unis, en gros des sex-shops. Il se trouve que ce sont aussi des endroits de rencontres gays, surtout quand ils sont dans des coins perdus. Ça raconte des histoires de vie, de rencontres comme dans les discothèques. C’est ça que je souhaite montrer par l’architecture et la typologie de ces lieux où beaucoup de gens ont des souvenirs de jeunesse, ces premiers moments d’émancipation en tant que jeune adulte dont on se souvient toute sa vie.
Finalement, vos images racontent nos sociétés.
Tout à fait, ça raconte un pays, une culture et une société par les particularités qu’on retrouve sur les façades, soit par les noms, soit par les éléments de décors, soit par l’architecture et par le paysage environnant.
Exposition « Love Hotels », galerie du jour Agnès b., Paris, jusqu’au 18 mai 2025.
Le site de l’artiste
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