
L’actualité n’a pas beaucoup de talent en ce début 1965 : l’URSS livre des fusées sol-air au Nord Viêt-Nam, le Shah d’Iran échappe à un attentat. Les gros titres de la presse sont pour les grèves tournantes à Peugeot et chez Berliet à Venissieux. On se passionne pour le prochain match de l’équipe de France de football contre la Yougoslavie. Et, top de l’actu : le mariage de Sylvie et Johny !
Le jeudi 4 février 1965, près d’un millier de journalistes français et étrangers assistent à la nouvelle conférence de presse du général de Gaulle à l’Elysée qui débute avec une demi-heure de retard, et comporte une nouvelle de taille : le général de Gaulle préconise le retour à l’étalon or pour les échanges internationaux et non plus le dollar et il affirme la vocation du plan pour la conduite de l’économie du pays.
Comme on imagine son initiative est « diversement » appréciée aux Etats-Unis qui ont besoin de tous leurs dollars pour mener à bien lda guerre du Viêt-Nam. Cette fois, ce sont des marines américaines qui y sont envoyées. Les violences raciales après les assassinats de Malcolm X à Harlem et du révérend James Reeb en Alabama agitent d’autre part les Etats-Unis. Au Caire, Nasser est élu président avec 99,99 % des voix. De quoi faire rêver les candidats aux élections municipales françaises…
Le 14 mars 1965, comme à chaque résultat d’élections, branle-bas de combat dans toutes les radios et à la télévision. Europe n°1 et France Inter démarrent à 19 h 30, Radio Luxembourg (RTL), une demi-heure plus tard, Radio Monte Carlo (RMC) à 22 heures. Chacun y met toutes ses forces : 150 personnes mobilisées à l’ORTF. Onze villes de France en liaison directe avec les studios d’Europe n°1, Marseille, Lyon, Grenoble, Strasbourg, Rouen, Château-Chinon, Bordeaux, Cahors, Toulouse, Rennes, Le Havre. Quinze voitures en province, six à Paris, dix-huit techniciens en province, quinze à Paris. Sur Radio-Luxembourg qui donne aussi les résultats, à minuit multiplex avec Gaston Defferre à Marseille, Lecanuet à Rouen, Pisani à Angers et Pflimlin à Strasbourg. Chaban-Delmas à Bordeaux, Pradel à Lyon, Guy Mollet à Arras, Médecin à Nice sont élus ou réélus au premier tour. Mais au soir du 15 mars, les résultats indiquent que les gaullistes ne sont pas parvenus à leurs fins. A Marseille – qui tient la vedette – Gaston Defferre est en ballotage face au professeur gaulliste Comiti.
« A NE PAS OUBLIER LE 15 MARS ! »
Tous les journalistes se sont couchés au petit matin de ce lundi, à 4 heures, où les premiers commentaires politiques ouvrent tous les journaux. Mais l’équipe d’Europe n°1 ne se repose pas ce lundi soir.
Chacun de ses membres a soigneusement conservé l’enveloppe grenat où une phrase en caractères gras et en majuscules a été imprimée : « A NE PAS OUBLIER LE 15 MARS ! » suivie d’une précision en italiques « car les contrôleurs du Théâtre ne vous laisseront pas entrer sans billet et nous ne pourrions pas offrir de cadeau sans ce bon » ! Europe n°1 fête ce soir-là au théâtre des Champs-Elysées à 20 h 30, ses dix ans. « Les corbeilles » est-il encore précisé, et les « premières loges » sont attribuées aux « anciens de 1954-1955 », « l’orchestre », puis le « premier balcon » sont occupés par ordre d’ancienneté. Eurpe n°1 aurait pu choisir de célébrer son anniversaire le 1er janvier ou bien le 3 avril, date du vrai démarrage avec la publicité, mais le 15 mars a été choisi parce que c’est la date d’entrée officielle de Sylvain Floirat à Europe n°1.
Au programme de cette soirée historique Bourvil et Louis de Funès dans « Le Corniaud », Jean Harold face à l’actualité de 1955-1965, les souhaits d’anniversaire du Président, Raymond Devos, Gilbert Bécaud, accompagné par Raymond Bernard et son orchestre, en avant-première de son récital à Moscou, et, bien-sûr, le souper d’anniversaire servi par Potel & Chabot dans l’Atrium, au rez-de-chaussée, et le Foyer, au premier étage.
Les 87 « piliers d’Europe » entrés entre 1954 et 1964 reçoivent une montre-bijou en or de Monsieur Lip, faite pour la broche, le sac ou le sautoir des dames ; comme pour le gousset des hommes. Une tombola clôt la soirée avec à gagner : deux Renault R8 Major et un magnifique collier de perles sélectionné par le comité de la Perle de culture… Les participants à cette mémorable soirée ont un drôle de sourire qui illumine leurs regards… Et les 87 piliers, que j’ai retrouvés, vous exhibent prestement la précieuse Lip en or, gravée à l’effigie d’Europe n°1 et de leur nom. Il n’y a que la mort finalement qui vous sépare définitivement d’Europe n°1…/…
La bourse « Yé-Yé »

Un événement surtout retient l’attention des jeunes auditeurs de Salut les Copains : le mariage de leurs deux idoles, Johnny Halliday et Sylvie Vartan. Toutes les gazettes ne cessent d’évoquer leur idylle, et puis les amoureux se sont déclarés publiquement, il y a un an déjà, au micro d’Europe-midi.
Entre les deux tours des élections municipales, l’exploit du cosmonaute soviétique Léonov – il est le premier à sortir dans l’espace – détourne un instant l’attention de la classe politique avant le sprint électoral final du dimanche 21 mars. Toutes les radios diffusent résultats et commentaires qui confirment l’échec gaulliste. L’UNR ne gagne que la mairie de Poitiers, passant de 24 à 25 municipalités de plus de 30 000 habitants. La rapidité d’intervention des radios fait merveille comme chaque soir d’élections. Un à un les leaders de tout bord viennent s’expliquer. Hubert Dudebout est élu à Grenoble. Gaston Defferre conserve l’hôtel de ville de Marseille et polémique avec Alain Peyrefitte sur la conduite de l’ORTF pendant la campagne.
Le Journal Télévisé change de patron, Raymond Marcillac cède sa place à Edouard Sablier au bout de deux ans de règne, mais c’est la suppression de « la caméra qui explore le temps » qui fait scandale : Alain Decaux et André Castelot refusent de poursuivre leur émission sans Stellio Lorenzi, sanctionné par Claude Contamine pour le rôle actif qu’il a tenu lors de la récente grève des réalisateurs. Privés de leur programme favori les téléspectateurs ne désesrtent pas pour autant le petit écran. Après qu’ait rententi le populaire générique de l’Eurovision, ils découvrent une tout jeune blonde. Elle chante en français mais elle porte les couleurs du Luxembourg dans ce grand prix de l’Eurovision. On avait déjà appris à connaître France Gall avec son « sacré Charlemagne », mais cette fois, elle est définitivement reconnue, grâce à sa chanson primée « Poupée de cire, poupée de son » (écrite par Serge Gainsbourg) et immédiatement sur toutes les lèvres.
Jacques Paoli reçoit Johnny et Sylvie de retour de leur voyage au Mexique et aux Etats-Unis, et leur demande :
– Quand on parle de vous, doit-on dire les copains Sylvie et Johnny ou autre chose ?
– Jusqu’à présent, on a dit qu’on était copains. Maintenant on peut dire qu’on est presque fiancés.
– C’est une information ! Vous ne l’aviez jamais vraiment avoué.
– C’est à dire qu’on ne nous a pas tellement laissé le temps.
_ Sylvie, acceptez-vous Hohnny pour fiancé ?
– Oui !
– Johnny, acceptez-vous Sylvie pour fiancée ?
– Bien sûr…
– La cause était entendue. Et ce n’est pas une invention, conclut Jacques Paoli.
Ce 22 mars 1965, tout ce que la terre compte de paparazzis fouine désespérément pour découvrir le lieu secret du mariage tant attendu qui doit se passer dans la plus stricte intimité… Tu parles ! Une indiscrétion de dernière minute vend le pot aux roses. C’est alors une indescriptible cohue de toute la presse dans le petit village de Locomonville. Le sergent Halliday en habit épouse Sylvie.
La veille sur Europe n°1 Frank Alamo fait sa rentrée dans un spécial « Musicorama ». Il n’y a pas un an ce fils d’industriels – son père fabrique et vend les téléviseurs Grundig – était totalement inconnu. Cinq disques en seize mois deux tubes « biche, ô ma biche… » et « Mademoiselle Maillot 38-37 », l’air qui a rendu folles les demmoiselles des PTT, prétend la presse… – en ont fait une valeur montante de la bourse yé-yé.
Il est également l’invité cette semaine-là de l’émmission « Dans le vent » pendant laquelle Hubert le soumet au « Jeu de la vérité ». Eh ! Oui, avant de devenir le must de TF1, présenté par Patrick Sabatier, « le jeu de la vérité » est né sur Europe n°1. Marie-France Brière qui réalisait l’émission d’Hubert n’a fait que reprendre l’idée – elle ne s’en cache pas – en l’adaptant pour la télévision.
Le minitel n’existe pas en 1965 (ndlr : ni l’Internet). Mais déjà les auditeurs envoient à Europe n°1 les questions qu’ils souhaitent poser à l’invité du jour. Sur « 1640 mètre grandes ondes », pas de joker comme à la télé pour venir en aide à la vedette qui refuse de répondre mais un gage… Pendant la première heure les gages sont réalisés en studio. Mais c’est après vingt et une heure que tout se corse, quand la star du jour est abandonnée en pleine rue (suivie d’une voiture téléphone d’Europe n°1) avec la plus impossible des missions.
C’est ainsi que Frank Alamo dont le plat favori est la pomme de terre doit se avaler une platrée de purée avant de disputer – il adore aussi la natation – un cent mètres contre la nageuse Kiki Karon. Comme c’est après la purée, M. Maillot 38-37 faillit bien ce jour-là disparaître dans les flots. Hubert pousse le supplice jusqu’à demander à Kiki Karon de ne pas nager trop vite au début puis d’accélérer. A peine Frank Alamo fait-il surface que d’autres questions l’assaillent… Le plus étonnant est que quasiment tout le showbiz de l’époque – – accepte l’épreuve ce qui donne un aperçu de l’esprit bon enfant qui règne alors.
Un autre soir, on peut voir Jean Marais en costume de Britannicus déclamer sur des skis dans les jardins enneigés des Champs-Elysées tiré par la voiture émettrice d’Europe n°1 ou Dick Rivers, avec un micro-émetteur caché, devoir se débrouiller, lâché dans un immeuble en blouse grise, béret et lunettes pour livrer à des gens qui n’en veulent pas des bottes de pailles. Enrico Macias, se déhanche tant bien que mal sur un vélo « home-trainer » pour faire tourner à la bonne vitesse son disque « mon port d’attache »… Autre performance du jeu des gages : Sheila et Françoise Hardy disputent une course de patins à roulettes sur les trottoirs de l’Olympia. Insouciance et futilité ?
Europe n°1 est un terrain de choix pour comprendre la France de 1965 : toute aussi attentive à la classe politique obnubilée par la prochaine élection présidentielle de 1965 qu’ouverte aux goûts des teenagers, fans des yéyés, des Beatles des Stones et de la pop-musique. La station de la rue François 1er ratisse large – audience oblige – et témoigne de l’incroyable fracture de la société française. Pendant que la SFIO se réunit et que la Convention nationale libérale désigne son candidat présidentiable Pierre Marcilhacy, les jeunes spectateurs de « Musicorama » réclament les Stones sur la scène de l’Olympia en frappant dans le mains 1,2… 1,2,3… 1,2,3,4,… sur le rythme qui accompagnera plus tard le slogan de Mai 68 . Personne n’y prend garde, quelle erreur !
Le très gaulliste hebdomadaire Carrefour se plaint au contraire de ces yéyés générateur d’un « monde bête, bête, bête …/… Jadis, ils se tournaient vers l’héroïsme dont l’armée leur offrait un noble exemple. Dans la société moderne dévirilisée ils en sont réduits à des divertissements de derviches hurleurs. (…) Les Beatles sont déjà dépassés. Ils ont des concurrents : les Rolling Stones (…) qui braillent plus forts qu’eux. »
Hubert, qui est dans l’intimité de toutes les stars du moment, sans cesse à Londres où la pop-musique, la mini-jupe et Carnaby Street font – en grande partie – la mode à Paris, obtient de Mick Jaeger, quatre mois avant son impression le disque souple de ce qui sera le tube historique des Stones : « Satisfaction » passe d’abord sur Europe n°1.
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Un lecteur nous précise : « Je vous signale une erreur dans l’article, le père de Frank Alamo fabriquait des téléviseurs sous son nom Grandin et non Grundig qui était une marque allemande. »