
Pendant plus de cinquante ans, Alan Adler a consacré sa vie à l’entretien et à la gestion de cabines photographiques à Melbourne. Immortalisé des milliers de fois pour vérifier le bon fonctionnement des appareils qu’il entretenait, il avait pris l’habitude de conserver les images ainsi obtenues.
C’est l’histoire d’un homme passionné, témoin d’une époque où les cabines photographiques jouaient un rôle important dans la vie quotidienne. Né en 1932, Alan Adler ne se destinait pas à une carrière dans la photographie. Dans les années 1970, il est propriétaire d’une petite épicerie, mais les affaires ne sont pas vraiment florissantes. Confronté à des difficultés financières, il cherche une nouvelle activité et tombe par hasard sur une opportunité qui changera le cours de sa vie: l’achat de deux cabines photographiques. À l’époque, elles étaient omniprésentes dans les gares, les centres commerciaux et les rues animées des grandes villes australiennes. Notre homme comprend rapidement leur importance. Ces cabines permettent aux passants d’obtenir en quelques minutes des portraits instantanés, qu’il s’agisse de souvenirs personnels, de photos d’identité officielles ou simplement d’un moment de spontanéité capturé sur papier glacé. Fasciné par leur mécanique complexe et leur fonctionnement, il se lance dans leur entretien et leur réparation, un travail qui demande patience et savoir-faire.
Avec le temps, Adler acquiert de nouvelles cabines et finit par en gérer jusqu’à seize à travers Melbourne, dans des lieux très fréquentés comme la gare centrale de la métropole. Chaque jour, il fait la tournée de ses machines, collectant l’argent, remplaçant les papiers photo et les produits chimiques nécessaires au développement des images. Mais son rôle ne s’arrête pas là. En bon artisan, il répare lui-même les mécanismes défectueux et s’assure que tout fonctionne parfaitement. C’est ainsi qu’il commence à se prendre en photo, non pas par vanité, mais pour tester la qualité du rendu des ses appareils. À chaque passage dans une cabine, il réalise des autoportraits, n’hésitant pas à faire des grimaces à l’occasion ou fermant les yeux pour se protéger de l’éclat du flash, afin de vérifier l’éclairage, le contraste et la netteté de l’image. Ce qui n’était au départ qu’un simple contrôle technique devient peu à peu une habitude. Sans trop s’en rendre compte, il réalise et conserve des milliers de clichés de lui-même, retraçant ainsi, année après année, l’évolution de son propre visage.
À mesure que les années passent, Alan Adler devient une véritable légende locale. Clients habitués, travailleurs de la gare et passants curieux le reconnaissent et lui adressent un sourire lorsqu’ils le croisent. Mais c’est sa collection unique d’autoportraits qui attire l’attention des photographes et des historiens de l’image. Ces milliers de clichés, pris à intervalles réguliers pendant plus de cinquante ans, forment une archive visuelle peu commune. Ils témoignent du vieillissement inexorable du personnage, des changements de mode et même des transformations techniques des cabines elles-mêmes. À travers ces images, on voit défiler les décennies: les années 1970 et les larges cols de chemise, les années 1980 et les coiffures volumineuses, puis l’arrivée de la couleur dans les années 90 et ainsi de suite. Avec l’essor de la photographie numérique et des selfies, l’intérêt pour les cabines traditionnelles décline peu à peu. De nombreuses ferment, remplacées par des solutions plus modernes et automatisées. Mais Adler s’accroche à son métier avec détermination, malgré les difficultés croissantes liées à la rareté des pièces détachées et aux coûts de maintenance toujours plus élevés.
En décembre 2024, Alan Adler s’éteint à l’âge de 92 ans, laissant derrière lui un témoignage photographique rare qui couvre plus d’un demi-siècle et lui conférant, ce qui n’est pas rien, le titre d’homme le plus photographié d’Australie.
- Alan Adler
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