La France d’avant-guerre, la Libération de Paris, les stars, les vedettes et les petites gens des années 1930 à 1980, l’agence photo Rue des Archives a tout ça en stock, scanné et légendé. Une agence photo qui se porte bien ! Bénéficiaire, elle a été vendue, le 6 mars 2015, au britannique Bridgeman Art Library.
A la suite de la démission le 17 février 2015 de Catherine Shepard de l’agence photo Rue des Archives , société par action simplifiée au capital de 40 000€ qu’elle a fondée, la société a changé de présidente. C’est Victoria Bridgeman, 43ans, PDG, fille de Harriet Bridgeman, fondatrice de la société Bridgeman Art Library basée à Londres, qui a pris les commandes par l’achat de toutes les actions détenues à 50/50 par Catherine et Darius Shepard.
« Depuis sa création en 1972 par Harriet Bridgeman, la Bridgeman Art Library travaille avec des musées, galeries, collections et artistes pour offrir aux professionnels de l’image la plus importante ressource d’images d’archives et d’œuvres d’art ouvertes à la reproduction. » lit-on sur son site web https://www.bridgemanimages.com/fr/
Bridgeman est un acteur majeur du marché de la reproduction d’œuvres d’art. Il y a deux ans, la société londonienne a repoussé une offre de rachat proposée par Getty Images pour rester une société familiale et prospère.
Rue des Archives, une histoire riche
Darius Shepard, 62 ans, français d’origine américaine, né dans le Michigan, directeur et jusque là propriétaire de l’agence Rue des Archives, nous accueille 3 bis rue Pelleport dans le vingtième arrondissement de Paris où l’agence est installée depuis septembre 2013.
Locaux vastes et clairs, multiples écrans Apple, l’ambiance est à la sérénité.
C’est Catherine Shepard qui a créé le 15 septembre 1992, avec un apport de 25 000 €, l’agence Rue des Archives dont le premier nom fut Archives Photos.
« Catherine Shepard ? Une femme entreprenante qui travaillait à France 2 dans le service de revente des images d’actualité » explique Darius son mari. « Elle avait également une autre société pour assister les tournages de films, l’obtention des permis de tourner et gérer les moyens de production. »
« Le nom de la société à l’époque est Archives Photos. C’était une société qui revendait les images américaines de Pictorial Parade, célèbre fonds très hollywoodien.. »
La société Archive Holdings NYC a créé Archives Photos en 1990 à New York par la fusion des fonds Pictorial Parade (créé en 1935) et Frederick Lewis Stocks (créé en 1938). Archive Holdings NYC a été l’associé des Shepard de 1992 à 1998.
« En 1995 » raconte Darius Shepard « Archives Holding NYC a vendu son agence américaine à Kodak. A l’époque, Kodak, qui prenait du retard dans les appareils photo, s’intéressait au contenu. »
« Tout le monde en cherchait. Bill Gates a racheté en 1995 le fonds Bettmann qu’il a enterré dans les mines de sel. C’était les débuts des CD et DVD. Tout le monde cherchait du contenu. Kodak était dans la course à l’image. Ils ont payé relativement cher Archives Photos, qui avait quand même 100 000 photos numérisées, mais dans une qualité obsolète aujourd’hui. »
« Kodak a revendu deux ans après à Getty… /…
Ce n’était pas leur objectif, alors ils nous ont donné nos parts. »
« Nos parts d’Archives Photos, dont le capital était pour moitié détenu par les américains, sont passées chez Kodak puis ensuite chez Getty images. »
Getty images a acquis pour 183 millions de dollars Archives Photos, la société de New York qu’elle a intégrée dans la collection Hulton Getty sous forme de filiale. « Getty était intéressé par le fonds américain. Du fait de cet achat, ils se sont retrouvé avec un fonds français dont ils ne savaient pas trop quoi faire » précise Darius Shepard.
« Ce n’était pas leur objectif, alors ils nous ont donné nos parts. La seule contrepartie étant le changement de nom de l’agence. En juillet 1998 nous avons changé le nom de l’agence pour Rue des Archives à la place d’Archives Photos. J’estimais que c’était très important de garder le mot archives dans le nom de l’agence. Getty n’était pas trop gourmand, assez gentil… Ils ont accepté. »
Getty images avait déjà fait une aussi curieuse opération. Alors qu’il avait hérité du fonds français Giraudon fondé en 1887 avec le rachat en 2000 du Groupe Visual Communication (VCG), ils l’ont cédé en 2001à Bridgeman images dont Giraudon a longtemps été le correspondant en France.
Avec la reprise de Rue des Archives et du fonds de l’Agence d’illustration pour la presse (AGIP) de Robert Cohen, Bridgeman enrichit son importante collection photographique avec un trésor de la photographie humaniste.
Il y a 3 millions de photos dans le fonds AGIP,
mais seuls 5 à 10% méritent un tirage.
« Il y a 3 millions de photos dans le fonds AGIP, mais seuls 5 à 10% méritent un tirage. 90% sont soit des doublons, soit des images sans intérêt ou des reportages du jour sur des sujets sans valeur historique. »
« Au début de l’activité d’AGIP, le fonds est riche en illustration. On est en 1936,1939. Robert Cohen n’a pas beaucoup de possibilité d’accéder aux personnalités. Il connaît encore peu de monde et commence par « le grand froid à Paris, « les amants des bords de Seine »… Ce n’est pas Doisneau, ni Ronis, mais ce sont des sujets à la Doisneau et comme Ronis. »
« C’est un petit fonds d’illustration qui est très apprécié par nos clients. Heureusement, ce sont des sujets qui résistent au temps. Il y a aussi dans ce fonds des correspondances venues de l’étranger, du Japon ou d’Italie, d’Allemagne, des États-Unis… »
« Ce fut une époque où les agences disposaient de cinq à six jours pour écouler leur actualité. On diffusait les photos par le train. L’acheminement était rapide pour la province, deux jours, et cinq pour l’étranger. Au début à Rue des Archives nous utilisions Federal Express qui mettait deux jours entre les Etats-Unis et l’Europe. »
« Vers 1995 on a essayé d’accélérer le processus pour couvrir la remise des Oscar. On louait un hélicoptère qui attendait le photographe. Les pellicules allaient directement au laboratoire et on les scannait à raison de cinq minutes par image. Ensuite, les fichiers étaient envoyés par une ligne spécialisée et, à l’arrivée, les photos étaient imprimées pour diffusion. Les photos prises à 4h du matin étaient disponibles à midi le lendemain dans les rédactions. De nos jours il y a des appareils photo avec modem intégré donc c’est instantané ! »
« A partir des années 2000,
la photographie est en plein boom grâce à l’Internet. »
« Plus de photos sont numérisées, plus elles sont vues. Et, c’est notre cas, nous avons toujours beaucoup numérisé. Et puis, c’est le changement de siècle, avec les évocations du siècle passé… Une période très faste. Nous avons connu une croissance de 15 à 20% par an, ce qui nous a permis de poursuivre la numérisation du fonds. ».
« Au début nous avons commencé à fournir à nos clients des photos numérisées à travers une société qui s’appelait Images on line. (ndlr : un concurrent de PixPalace). Le client devait posséder une clé USB pour se connecter sur un serveur contenant de 50 000 à 60 000 images. Ensuite, les agences ont chacune créé leur propre site web. Rue des Archives possède son propre serveur. Ce qui est plus rare. Je suis très friand de technologie. »
« Actuellement nous avons 200 000 images numérisées, légendées en pleine propriété et nous avons également 800 000 images en dépôt vente provenant d’environ 35 sources »
A côté du fonds d’AGIP, Rue des Archives propose des photographes spécialisés tels que Gérald Bloncourt, très connu pour son implication en Haïti et pour son travail politique et humanitaire, « Une photo de Pierre Mendès- France ou de l’abbé Pierre ? C’est souvent Bloncourt » précise Darius Shepard.
« Michel Sima, c’est son fils qui m’a donné son fonds. Après-guerre son père s’est mis à photographier tous ses copains artistes. C’est grâce à lui que nous avons Picasso avec le fameux hibou qu’il a trouvé pour Picasso. C’est devenu une icône. Nous avons également les photos de René Saint-Paul avec ses portraits d’Albert Camus, Jean Dieuzaide, Raymond Cauchetier et ses photos de la « Nouvelle vague », les archives de CinéStreet sur le cinéma français et celles de Paul-Emile Victor. Il y a aussi Lettelier de Paris Match sur lequel le journal maintient certaines exclusivités. »
A cela s’ajoutent les collections Tallandier (plus de 100 ans d’archives d’un éditeur français), Grégoire (« vieux papiers »), Bourgeron (fonds sur la psychiatrie), CCI-Charmet et Varma (illustrations, cartes postales), CSFF (cinéma français), etc.
« La difficulté avec les fonds d’archives
c’est qu’ils n’ont pas de valeur, ils sont une valeur. »
« C’est à Berlin, l’an passé, lors de la conférence annuelle des agences, qu’un dirigeant de Bridgeman s’est rapproché de moi pour discuter. J’ai 62 ans, j’aime bien ce que je fais, mais il y a une fin à toute chose. J’ai décidé de rester à l’agence comme directeur pendant deux ans, mais j’ai vendu toutes mes parts. »
« Les agences qui vont se développer dans l’avenir sont des sociétés qui pourront avoir une offre très large pour négocier des contrats tout en haut de la chaîne hiérarchique des groupes de presse. Corbis, Getty sont dans cette position et ont accès aux directeurs de ces groupes de presse. Ils concluent des contrats d’achat prioritaire pour des montants intéressants. C’est peut-être un prix faible par image mais ce sont des montants très importants. »
« Rue des Archives a un chiffre d’affaire qui tourne autour de deux millions d’euros et le prix de la vente a été fait sur une base comptable. La difficulté avec les fonds d’archives c’est qu’ils n’ont pas de valeur, ils sont une valeur. »
« On peut regarder le chiffre d’affaire, le rendement de certaines photos, mais en fait, on ferme les yeux et on se base sur le chiffre d’affaire. » Ce qui de l’avis de plusieurs professionnels autorise un prix de vente de l’agence Rue des Archives autour d’un million d’euros au minimum.
« Huit personnes travaillent à Rue des Archives, huit avant la cession, huit après. On s’est fait reprendre dans de bonnes conditions. On est repris par une agence spécialisée Beaux arts donc il n’y a pas de doublon. Ils ont besoin de nos connaissances. »
Michel Puech
La suite : 2/ Mais qui est Robert Cohen, le fondateur de l’agence photo AGIP
Allez plus loin
CA et Résulats de Rue des Archives (source infogreffe)
Clôture / CA / Résultat
31/12/2013 1 858 659 € 381 527 €
31/12/2012 1 955 228 € 381 859 €
31/12/2011 1 988 490 € 483 658 €
31/12/2010 1 996 973 € 380 484 €
Liens
Rue des archives, site officiel :
Bridgeman Art Library, site officiel :
Autres liens sur le sujet
Archives Photos & Pictorial Parade chez Getty images: http://www.gettyimages.fr/search/2/image?collections=arp&excludenudity=false&family=editorial&page=2&phrase=Pictorial%20Parade%20Archive%20Photos%20&sort=bestDernière révision le 21 août 2024 à 12:00 pm GMT+0100 par
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