660 pages, 430 photos de 250 lieux. L’Histoire de l’humanité, c’est « Champs de bataille », un livre monumental dédié aux millions de millions de morts de toutes les guerres, de tous les camps. Yan Morvan a consacré dix ans de sa vie à devenir « l’œil du soldat ». Sublime.
Yan Morvan n’a jamais fait dans la demi-mesure. Des blousons noirs aux dealers, des accros du sexe à la guerre Iran-Irak, de Beyrouth à ces champs de batailles, il s’immerge. Il plonge dans les brimborions de nos sociétés, arpente les trous noirs de l’Histoire.
Il a fait sienne cette phrase de William Blake, qu’il a mise en exergue de son livre de souvenirs « Reporter de guerres » (Ed. La Martinière 2012)
« La route de l’excès
mène au palais de la sagesse. »
Par-dessus tout, Morvan veut comprendre, tout comprendre !
A Beyrouth, auquel il consacrera son prochain ouvrage, il est l’envoyé spécial resté le plus longtemps « sur le terrain ». Il travaille alors pour l’hebdomadaire américain Newsweek via l’agence Sipa press à laquelle il a collaboré vingt ans. A Beyrouth, justement, en pleine guerre il avait déjà eu une idée folle : tirer le portrait de combattants sur la ligne de front à la chambre 4×5 inches. Dingue !
C’est au début des années 2000 qu’il m’a parlé de son travail sur les « Champs de bataille de l’humanité »… En 2003, à Los Angeles, Yan avait acquis chez Sammy’s, un marchand bien connu des photographes, une Deardoff, une chambre en bois. Un appareil photo mythique des années 50. Une armoire normande qui accepte d’insoler des films de 20 x 25 cm.
L’idée de réaliser un reportage avec cet outil digne de la guerre de Sécession relève de quelques tendances masochistes. Yan explique que les dernières boites de film coûtaient 700 €… Ce qui en comptant également le développement du film – mais pas les tirages de lecture – amenait le clic à 50 € ! Il faut réfléchir avant de « shooter ».
C’est pourtant avec cette Deardoff que Yan Morvan s’est mis dès 2004 au travail : Alésia, Azincourt, la Normandie, la France d’abord. Il commence « petit bras » comme il dit, par le moins loin, le moins cher en frais de reportage qu’il paie de sa poche. Il fait « 1000 kilomètres pour 4 clics qui me coûtent plus cher que l’essence ». Puis c’est l’Europe…
Mais c’est également la crise de la presse, la crise des commandes, la folie numérique… Personne ne se bouscule alors pour passer des commandes aux photographes, même ceux plus que confirmés.
Yan, fils unique, a commencé tôt à lire et à rêver. Il s’est passionné pour le Far West, pour l’aventure, pour la guerre du Pacifique où Buck Dany a fait des merveilles dans les cases de Spirou avec son copain Sonny Tuckson. Le Pacifique appelle Yan, il y va avec sa chambre, à ses frais, grâce à une bourse du Centre national d’arts plastiques tombée à point pour donner le top départ.
L’épopée aurait pu s’achever là car ce ne sont pas « les japs attaquent » mais les huissiers. Yan a des dettes et, bientôt les huissiers sont à la porte… Même l’opérateur coupe l’Internet. Heureusement, il ne manque pas de points Wifi, place Clichy.
Yan est nerveux. C’est une période difficile. D’autant plus que la parution de son livre « Gangs Story » (voir nos articles) lui vaut quelques ennuis judiciaires. Qui plus est, il ne rencontre pas un grand intérêt pour son pharaonique projet mémorial. L’époque est aux gagne-petit frivoles, pas à l’exubérance passionnée, surtout si elle s’applique à du sérieux.
C’est à ce moment là, à l’été 2011, que Yan est présenté par Jean-Jacques Naudet, propriétaire de L’œil de la photographie, à Vera Michalski, qui possède plusieurs maisons d’édition et qui a créé, en 2010, avec Marco Zappone, les Editions Photosynthèses. Vera est séduite par le projet de Yan. Elle l’aide en prenant en charge les frais de reportages et l’édition d’un livre qu’elle veut de la plus belle qualité possible. « On a commencé à négocier. J’avais déjà fait 60 batailles… Fin 2011, j’ai signé le contrat. » précise Yan.
Pendant les quatre années suivantes, Yan va pouvoir se consacrer entièrement à son projet et courir 190 champs de batailles, d’Amérique, d’Asie, de Russie, de Libye etc… En tout il aura photographié dans 35 pays.
« Il y avait des batailles que je voulais… Bien sûr, il y a les très connues – une cinquantaine – mais il y a les autres batailles, celles qu’on n’étudie jamais mais qui sont fondamentales. Par exemple la bataille de Sadova en 1866. C’est la mère des guerres mondiales. » s’enflamme Yan.
« La Prusse contre l’Autriche…/… Les Prussiens battent à plate couture les Autrichiens. Les mêmes Prussiens font la guerre de 1870 qui entraînera la 1ère guerre mondiale puis la seconde. Des batailles comme celles-là sont la genèse de tous les ennuis du monde. »
L’idée de ce livre ? « La guerre est l’intervalle entre deux paix. Les guerres se préparent. Elles n’arrivent pas comme cela par hasard… » commente, Yan, le ton un peu las.
Le livre commence avec les guerres de l’Antiquité. Celle de Jéricho, relatée dans la Bible, celle de Troie et celle de Leuctres, chère au cœur de Yan Morvan. L’armée Thébaine développe un mouvement stratégique innovant qui prend les Grecs au dépourvu. Cette manœuvre dite de « la droite refusée » sera utilisée par Napoléon à Arcole, puis par l’armée nazie dans les Ardennes.
« C’est une bataille générique » explique Yan. Il est retourné trois fois dans la région de Béotie (Grèce), avant de trouver l’endroit où 10 000 grecs ont péri en 371 avant Jésus-Christ.
Le photographe a beaucoup de difficultés pour retrouver certains champs de bataille. « Avec des cartes, des plans, des livres, le GPS…. Pas simple à trouver. » Des surprises aussi.
La célèbre bataille des Pyramides (21 juillet 1798), Napoléon contre les forces Mamelouks commandées par Mourad Bey, immortalisée par la toile d’Antoine-Jean Gros, s’est déroulée à Embabech, une banlieue du Caire d’où les pyramides sont assez éloignées ! « C’est une cité tenue par les Frères…. Même avec une chambre je peux dire que j’ai fait vite pour shooter la photo » s’exclame en riant Yan qui ajoute « Napoléon c’est fort en propagande ! »
« Le pont d’Arcole ? Un tableau sublime. Mais le pont d’Arcole c’est un pont en bois qui fait sept mètre de long…/… L’Alma ? C’est un cours d’eau qui doit faire 60 cm de large ! La fameuse bataille du pont d’Alma ! ».
« Le pont du Garigliano (29 décembre 1503) celle-là je la voulais ! C’est mon coté con : le chevalier Bayard tout seul qui sauve l’armée française… Je la voulais ! Je l’ai cherché ce pont ! Et quand je l’ai trouvé, c’était un petit pont minable en béton dégueulasse. » Il rit.
Outre les difficultés financières puis celles des localisations, Yan Morvan a rencontré des difficultés plus sérieuses. A Benghazi, en Libye, il a eu peur. Il rit aujourd’hui de ce qui aurait pu devenir une prise d’otage. « Ils ne rigolent pas les gamins de 12, 14 ans quand ils ont une kalach dans les mains. »
A Diên Biên Phu, plus amusant, il est arrêté, conduit dans une base militaire en attendant un gradé venu d’Hanoi qui confirme, qu’avec sa chambre en bois, le photographe n’est pas un espion qui communique par satellite ! Par contre dans le Sinaï, arrêté par l’armée égyptienne… . « Ça craignait vraiment. Le moindre des maux, c’était cinq ans de prison…. »
Yan Morvan est intarissable sur ses batailles. Dans l’entretien qu’il m’a accordé pour WGR, il raconte ses « Champs de bataille » avec fougue. Excellent photographe, il est également un conteur qui captive son auditoire, en évoquant ces batailles historiques, en correspondant de guerre. Il est sur le champ de bataille et il nous entraîne avec lui.
Et tout cet enthousiasme, cette énergie, cette passion, il les a mis pendant dix ans au service de tous ces soldats tombés sur les champs de bataille.
Si l’Histoire c’est aussi les récits d’histoires, il y a une chose qui ne ment pas, c’est le lieu où les faits se sont déroulés.
En photographiant ces champs de bataille, Yan Morvan réalise un exceptionnel reportage où la vérité hurle que des millions de vies ont disparu là. C’est un fait.
De chaque champ de bataille, Yan en connaît l’Histoire. Il nous la livre bataille par bataille à chacun des cahiers historiques du livre de l’Antiquité à nos jours. Le livre est une somme. Dans sa version luxe, c’est un chef d’œuvre d’artisanat. La qualité du papier, de l’impression, sans parler de celle des images est exceptionnelle. La version courante est à la hauteur. L’éditeur a eu la bonne idée de le vendre à un prix remarquable où il ne gagne rien. Un vrai mécénat.
Au-delà de tout cela, voir les photographies de tous ceschamps de bataille à travers les âges, m’a plongé dans une profonde interrogation. Le même genre d’impression que l’on peut ressentir au Mémorial des reporters de Bayeux. Pas de cimetière, mais une évocation formidable des disparus.
Arrivé sur le motif, Yan sait où chaque corps d’armée est positionné. Il observe, choisit son camp et s’installe. « Je suis Hans Smith ou Pierre Martin, le deuxième classe de base, et je suis dans ce trou, voilà ce que je vois. C’est l’œil du soldat. »
Michel Puech
Ecouter l’entretien avec Yan Morvan par Michel Puech sur WGR
Pour aller plus loin
Le livre
Champs de bataille de Yan Morvan
660 pages – 430 images – 250 champs de bataille
Format édition courante 26 x 32 cm – 69 euros
Format édition luxe 30 x 37,5 cm – 450 euros
Tirage de tête – 90 exemplaires avec un tirage original – 800 euros
L’histoire de chaque champ de bataille est retracée à travers des notules à la fin des 7 cahiers.
Site de l’éditeur : http://editionsphotosyntheses.fr
L’exposition
Du 7 au 22 novembre 2015, dans le cadre du festival Photo Saint-Germain, une exposition de 12 tirages extraits du corpus d’images qui constitue l’ouvrage sera présentée au 13, rue de l’Abbaye dans le 6e à Paris. Commissaire d’exposition : Marco Zappone
Tirages cibachrome de Roland Dufau http://www.rolanddufau.com/
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