La vente de Corbis à Visual China Group permet à Getty Images et aux Chinois d’avoir la main sur 200 millions de photographies, le plus important fonds photographique de l’histoire de l’humanité. Mais qui à la main sur quoi ? Et, à qui est cette main ?
Je vous résume les épisodes précédents : le vendredi 22 janvier 2016, Visual China Group est le premier à annoncer son rachat des actifs de Corbis hormis le domaine « Entertainment » auquel est rattachée l’agence Splach.
Une semaine plus tard, la cotation de Visual China Group (VCG) est suspendue pour dix jours à la bourse de Shenzhen (Chine). En raison des fêtes de la nouvelle année du singe, la cotation devrait reprendre le 15 février prochain. Que va-t-il se passer ?
L’achat chinois, mal vu par le marché chinois ?
Sans boule de cristal, un petit topo boursier s’impose pour tenter de comprendre ce qui va se passer la semaine prochaine à Shenzhen et le possible impact sur les photographes et leurs archives.
Au début de l’année, la bourse de Shenzhen et les autorités chinoises ont pris une décision pour éviter un krack boursier : dès qu’un titre baisse de 7% dans un trait de temps (en quelques minutes), la cotation est automatiquement suspendue par un ordinateur.
Introduit le 4 janvier 2016, ce système, qui se déclenche automatiquement par un simple jeu d’ordinateurs, a été levé quelques jours plus tard. Les autorités décident maintenant au cas par cas, en examinant les situations, de suspendre ou de ne pas suspendre une cotation : c’est ce qui est arrivé à Visual China Group.
Les inconvénients induits par le blocage de cotation sont importants : les investisseurs institutionnels et les arbitragistes ont pris l’habitude d’anticiper les baisses car elles sont génératrices de blocages et de fuites. Autrement dit, les investisseurs, analystes et arbitragistes souhaitent à tout prix sortir d’un titre avant sa suspension de cote.
En voulant éviter des baisses, les autorités les ont accélérées et amplifiées…. C’est fréquent sur les marchés du capitalisme. C’est plus amusant, de voir le Parti communiste chinois le faire.
La seule interprétation logique de la suspension de Visual China Group, c’est la mauvaise perception par le marché de la transaction de VCG avec Corbis. Le titre en a subi les conséquences.
Mal perçue par qui ? Qui est « le marché » en Chine ? Une chose parait acquise, les associés de VCG, qui sont à peu près les mêmes, ou les parents de ceux de ChinaFotoPress (CFP) ont de bons appuis dans les pouvoirs chinois. Sans cela, impossible de devenir un acteur dans le monde de l’information et de la communication.
Les chinoiseries de Getty
Visual China Group est né début 2014 d’une opération financière (backdoor) pour prendre le contrôle de la société Far East Industrial cotée depuis 1985 à la bourse de Shengzen. Le document qui publie l’approbation de l’opération par la China Securities Regulatory Commission (CSRC) note que VCG est associé avec ChinaPhotoPress, TungStar, Shijue.me et – last but not least – Getty Images China !
Dans un document boursier, daté d’août 2013, relatif aux activités et business plan de VCG, Getty est cité à maintes reprises y compris dans les montages financiers.
Le lecteur peut se douter que les informations financières provenant de documents en chinois ne sont pas d’une clarté absolue pour un Wallon-Rouerguat! Il ressort toutefois clairement que Getty Images détenait en 2005 des parts dans ChinaFotoPress, probablement autour de 20%.
Ces parts chinoises ont été évaluées à 12 millions d’USD en 2011 au moment où Getty a échangé ses parts chinoises contre des parts dans une société, VCG Holdings, domiciliée à Sovereign (Iles Caïmans). Les parts Getty dans cette VCG Holdins se montaient alors à 20%. Avec une certaine société UIG (ndlr: Unity Glory Internaional l’acheteur officiel?), Getty Images détenait encore en 2013 environ 80% de VCG Holdings.
Cette VCG Holdings dans les Iles Caymans ne remplissait pas, semble-t-il, les critères de revenus et de profitabilité requis pour être enregistrée à la bourse de Hong Kong. Il fallait se tourner vers la Chine continentale pour mettre un pied à la bourse de Shengzen.
Seule une société chinoise peut entrer en bourse en Chine à condition que son actionnariat soit 100% chinois. La solution restait alors de racheter une coquille vide déjà enregistrée (back door listing) : Far East Industrial devenu ensuite Visual China Group.
Cela impliquait que VCG Chine rachète ses parts à Getty Images China, ce qui fut fait en mai 2013 pour 20 millions d’USD. Getty Images n’aurait donc plus de lien capitalistique ni avec VCG, ni avec sa filiale Unity Glory censée être l’acheteur de Corbis. Lois anti-trust ? Connais pas !
Ce qui permet à l’agence de relation publique Hopscotch de me transmettre lundi 8 février les réponses signées de « l’équipe dirigeante de Getty Images » à mes questions :
- Quand, et à quelle hauteur Getty Images a-t-elle été associée avec ChinaFotoPress et quand est-elle sortie du capital ?
- Réponse : « Getty Images n’a aucun intérêt financier dans ChinaPhotoPress.
- Quand, et à quelle hauteur Getty Images a-t-elle été associée à VCG ?
- Réponse : « Getty Images n’a aucun intérêt financier dans VCG
ChinaPhotoPress. » (Voir bas de page)
Je veux bien croire que les dirigeants de Getty Images bégaient en répondant ChinaPhotoPress en oubliant la question, mais leurs imprécises dénégations rappellent la langue de bois du Parti communiste chinois.
Un professionnel à la tête de Visual China Group ?
La prise de contrôle en 2013 de Far East Industrial renommée Visual China Group a été le fait d’un groupe d’une dizaine hommes dont Liao Daoxun, un milliardaire chinois. Deux autres, Chai Jijun et Li Xueling sont les créateurs, en 2000, de la société Photo.com qui est devenue en 2005 l’agence ChinaFotoPress (CFP) et le représentant de Getty Images pour la Chine.
Apparemment, Chai Jijun, actuellement Vice-président de Visual China Group sur le web officiel de VCG, est l’homme qui est aux commandes. J’ai cru comprendre qu’il représente également les intérêts de l’Office d’information du Conseil d’Etat chinois présidé par le Premier Ministre. En tout état de cause, les nombreuses opérations financières des hommes de VCG montrent à l’évidence de forts appuis politiques. (Voir rectificatif bas de page)
Chai Jijun n’est pas seul, la jeune Présidente de Visual China Group, mise en avant dans le communiqué annonçant l’achat de Corbis, n’est autre qu’Amy Liang, fille du milliardaire Wu Chunhong.
Wu Chunhong détiendrait 14,6% de Visual China Group. Liao Daoxm, autre milliardaire chinois possèderait avec Wu Yurui, sa femme, 26,6% de VCG. La participation de Wu Chunhong valait 1 milliard d’USD au cours de clôture en mai dernier quand mon confrère Russell Flannery de Forbes a fait le calcul. Depuis le cours qui était à 64,35 en mai est aujourd’hui bloqué à 23,50…
« La chose principale est la défense du droit d’auteur »
Chai Jijun, selon notre confrère Li Meng de Zynews.com, qui lui a consacré en mai 2012 un long portrait, a tout du jeune homme d’affaires de la Chine nouvelle, diplômé de l’Université de Toronto (Canada).
« Nous sommes dans le e-commerce des droits d’auteurs » dit-il et d’ajouter en 2012 que VCG ChinaFotoPress qui va devenir VCG « a plus de 10.000 photographes sous contrat, 240 fournisseurs de contenus, 39 millions d’images et plus de 100 millions de vidéos distribués à plus de 11.000 médias, gouvernements, institutions, entreprises, agences de publicité et de relations publiques. »
Si l’on en croit, ses déclarations « La chose principale est la défense du droit d’auteur » et d’ajouter qu’actuellement « en Chine les droits de propriété intellectuelle ne peuvent pas être considérés comme très bons ».
Des propos rassurants, mais dans la réalité quel sera le sort des photographies du fonds Corbis diffusées en Chine ?
Après deux semaines d’enquête, à travers surf, courriels et coups de téléphone, je comprends que le groupe de financiers chinois a des moyens importants. Ils ont levé 500 millions d’emprunts auprès de banques régionales chinoises. Si la bourse de Shengzen leur reste favorable – ce qui n’est pas évident ces jours ci – ils peuvent encore faire des acquisitions pour compléter leurs stocks d’images, ou acheter d’autres sociétés susceptibles de les traiter.
Pour le moment, contacter les photographes semble ne pas être la préoccupation des Chinois, c’est Getty Images qui est à la manœuvre et fait son marché dans la production et les archives de Corbis. Il y aura les « invités à joindre Getty » et ceux qui resteront entre les mains de Visual China Group… Bon courage !
Michel Puech
Rectificatif
12/02/2016 23:00 : Par courriel Hoscotch confirme qu’a la deuxième question posée à Getty, « l’équipe dirigeante » a écrit : « Getty Images n’a aucun intérêt financier dans VCG« . Une erreur de copier/coller – qui n’est pas du fait d’A l’oeil – a fait écrire ChinaFotoPress. L’agence de relation publique ajoute que « Les réponses que je vous transmets sont les réponses apportées conjointement par Getty Images et de VCG et sont des réponses officielles. Je n’ai aucun autre élément à vous communiquer. »
15/02/2016 10:00 : Alors que le cours de la bourse de VCG est toujours suspendu jusqu’a vendredi 20 février 2016, on me signale que Chai Jujung n’a pas de liens particuliers avec le pouvoir chinois. En tout cas pas plus que n’importe quel entrepreneur dans les médias.
Une autre précision: Chai Jijung est bien le fondateur de Photocome ( et non photo.com), devenu ChinaFotoPress et VCG. Amy Liang, actuelle Présdiente de VCG était la patronne de Getty Images China.
Avec mes remerciements aux confrères qui m’ont aidés à décrypter le chinois financier, et à Philippe Rochot qui autorise la publication de ses photos. Consulter son passionnant blog. Je vous le recommande.
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