Du lundi 26 décembre au vendredi 30 décembre 2016, dans l’émission « L’heure bleue » de Laure Adler sur France Inter, Samy Frey lit L’établi de Robert Linhart avec un trop bref commentaire de l’auteur.
Entendre la voix de Robert Linhart, est une immense émotion pour ceux qui ont eu le bonheur de le rencontrer. Cela fait 25 ans qu’il se tait.
Robert Linhart, sociologue, philosophe, élève de Louis Althusser s’est engagé très tôt en politique à l’extrême gauche. Il fut un militant actif de l’Union des étudiants communistes, puis de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, UJCML qu’il a fondée en 1967.
Dans le cadre du mouvement des « établis », il entre alors comme ouvrier spécialisé dans l’usine Citroën de la porte de Choisy à Paris. De cette expérience il tire L’Établi, paru en 1978 aux éditions de Minuit, un livre culte qui a profondément marqué les « gauchistes » et les sympathisants. Laure Adler fut, comme moi, de ceux là.
Le 10 mai 1968, alors que Mai 68 bat son plein, il entre en cure de sommeil, victime de graves problèmes psychiques. À l’été, l’UJC-ML se scinde et Robert Linhart co-fonde la Gauche prolétarienne (GP), fondée à la fin de l’année par le rassemblement de militants « maoïstes » et libertaires dont Serge July.
J’accuse la cause du peuple
Profitant de la fatigue psychologique de Robert Linhart, Benny Lévy (alias Pierre Victor), devient le leader incontesté de la « GP » .
En 1971, journalise-iconographe à Rustica, je suis alerté par une « puce » dans Le Monde qui annonce la création de J’accuse. Rue du Bourg- Tibourg à Paris, le 15 mars 1971, je frappe à la porte de la rédaction.
Le journal, dont la directrice de publication est Simone de Beauvoir, se veut un hebdomadaire « à la gauche du Nouvel Observateur ». Jean-Pierre Barou qui me reçoit, a été séduit par un reportage que j’ai écrit pour Témoignage Chrétien sur une grève à Vittel menée par les militants de la Gauche prolétarienne (GP).
Il m’invite au comité de rédaction, où je me retrouve assis par terre avec Christian Jambet, André Gluskmann, Michel Le Bris, Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Michelle Manceau, Katia D Kaupp et d’autres dont les noms ou les pseudos, mais pas la présence, sont sortis de ma mémoire. A ces réunions, le seul qui était assis sur une chaise était Jean-Paul Sartre.
Je pars pour un premier reportage sur la révolte des vignerons en Languedoc Roussillon, puis rapidement je suis envoyé en Lorraine pour « couvrir » les actions des « camarades » aux portes des aciéries De Wendel dans la vallée de la Fensch.
C’est Robert Linhart qui est chargé d’écrire. A l’époque je fais surtout des photographies. Robert a déjà un statut un peu à part dans J’accuse. Je ne comprendrai que bien plus tard pourquoi. Mais je ressens comme injuste la façon dont les « petits chefs maos » le traitent.
A l’opposé du petit timonier de la GP, Benny Levy (alors Pierre Victor), personnage cassant, méprisant, mais brillant débatteur, Robert Linhart est un homme doux, parlant bas, observant beaucoup tous et tout. La même voix que celle l’on peut ré-entendre grâce à Laure Adler.
Nous ferons plusieurs voyages ensembles dans l’Autobianchi de Jean-Pierre Le Dantec (l’architecte des jardins), ou dans la Volvo de Maren Sell ( des éditions Libella). L’homme m’intimidait beaucoup mais était chaleureux avec moi, et à l’inverse d’autres « maos » indulgents pour ma naïveté politique.
On a raison de se révolter
Nous irons également ensemble essayer, sans grand succès, d’interviewer les ouvriers qui construisent les aciéries de Fos-sur- mer. Puis ce sera « la révolte des prisons » de Toul, de Nîmes, etc… Une cause d’un peuple emprisonné par « la bourgeoisie »…
Relire aujourd’hui le supplément sur les prisons de J’accuse – La Cause du Peuple laisse songeur sur notre « utopie collective ». Et que dire de ce Noël de manifestation devant les murs de la prison de la Santé, où un groupe hurlait son soutien aux prisonniers. Au milieu des militants anonymes, le comité de rédaction de J’accuse et le Groupe d’information sur les prisons (GIP) de Michel Foucault et Daniel Deferre… Etrange Noël !
Les débats étaient vifs au sein du comité de rédaction de J’accuse qui, sans que je le réalise vraiment, avait été déserté par les « démocrates » (Godard, Varda, Manceau etc…) ces « idiots utiles » comme les nommait le futur rabbin Benny Levy. Les grands noms ayant, avec raison, fuient, il restait néanmoins quelques « idiots utiles » à éliminer.
Benny Levy envoya « ce con de Geismar » mettre de l’ordre rue du Bourg-Tibourg et assurer une bonne fusion entre J’accuse et La Cause du Peuple. « Ce con de Geismar », comme Michel Le Bris et moi avons depuis l’habitude de le nommer, s’illustra notamment en visitant la bibliothèque de Francis Bueb, jetant à terre les œuvres jugées « bourgeoises » au premier rang desquelles les livres d’André Malraux qui tenaient tant à cœur au futur directeur du centre culturel de Sarajevo encerclé. Le futur inspecteur socialiste de l’Eduction nationale, nous reprochait également les « petits blancs » bus au comptoir pour se donner courage avant les interminables réunions d’auto-critique.
Robert Linhart avait disparu quand, in fine, il organisa avec Benny Levy et quelques autres « petits chefs » de la GP, un véritable procès où fut jugée la rédaction de J’accuse !
Je revois encore la salle boisée avec la table où siégeait le tribunal et nous debouts devant comme des enfants qu’on va gronder. Les réquisitoires, en particulier ceux des « camarades de Grenoble » furent impitoyables. Nous « trahissions », nous étions « petits bourgeois » et que sais-je d’autres… Les accusés ne mouftaient pas.
Seul, dans mon souvenir, Christian Jambet eut l’audace de dire un mot. J’en dis trois et je fus exclu « même pas bon pour retourner à la base », c’est-à-dire à l’usine !
Après des décennies de silence, Robert Linhart parle. « Je crains le pire » a commenté Jean Paul Ribes sur Facebook. J’avoue que je m’interroge également. La parole de Linhart est- elle audible aujourd’hui ? Le pari littéraire de Laure Adler est justifié, mais sur le plan politique…
Que comprendra le jeune auditeur ? Ces années de révoltes ont été tellement caricaturées par la publicité et les médias dominants qu’il sera difficile à l’auditeur de comprendre ce qui a conduit une petite partie de la génération des baby-boomers à renoncer à ses privilèges pour se mettre au service de la cause du peuple des ouvriers français et immigrés.
D’ailleurs, même ceux qui ont été les plus actifs, quand ils ne sont parjures, ont du mal à comprendre leur propre trajectoire.
Il faut écouter et lire Robert Linhart !
Michel Puech
A écouter
- L’heure bleue de Laure Adler sur France Inter
- Robert Linhart dans Hors Champs de Laure Adler sur France Culture
En librairie
- L’Établi de Robert Linhart – Éditions de Minuit -1978
- Le jour où mon père s’est tu de Virginie Linhart – Témoignages 2008 -Edition Seuil
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