Une belle brochette de journalistes, de cuisiniers, d’amateurs de fumets et de fumée a assisté, mercredi 29 mars 2017, salle de la Coupole, au crématorium du Père Lachaise à Paris, à une cérémonie d’adieu à JP Géné, chroniqueur à M, Le Monde, ancien grand reporter à Libération.
Partir en fumée c’est – comment dire ? – logique pour l’un des principaux signataires de l’appel du 18 joint pour la légalisation de la marijuana.
Né à Nancy le 29 juin 1949, ancien élève du Centre de Formation des Journalistes (CFJ) de la rue du Louvre à Paris, Jean-Paul Généraux rejoint le mouvement qui agite les rédactions au début des années 70 et se cristallise autour d’une gève avec occupation du quotidien Paris Jour.
Jean-Claude Vernier et Maurice Clavel invitent alors les « journalistes engagés » à se rassembler autour de l’Agence de Presse Libération (APL) qui donnera naissance au quotidien Libération en 1973. Jean-Paul est de ceux-là.
En 1974, dans un Libé en crise de nerf quotidienne, Jean-Paul devient « Géné » en arrivant à la rédaction avec Marc Kravetz. Il s’agissait d’insuffler un peu de professionnalisme à la petite bandes de maoïstes, d’anarchistes, de punks, tous très militants, qui composait la rédaction…
« Il faudrait peut-être mieux faire comme ça…. Mais tu fais ce que tu veux » était le conseil le plus fréquent qu’il donnait. Un type gentil, original et calme au milieu de ce chaaos de militants fraîchement convertis au journalisme encore prisonniers des slogans gauchistes.
Au Père Lachaise, après le touchant hommage de Franck Nouchi de M, le magazine du Monde, Laurent Joffrin lit son pensum, Serge July est au fond de la salle, puis c’est l’ami fidèle de toujours, Marc Kravetz, qui laisse libre court aux nombreux souvenirs communs.
Il est beaucoup question de cuisine, de terroirs, mais Marc Kravetz se souvient de leurs débuts à Libé. Il raconte le premier grand reportage que fit Géné, sur la culture du haschich dans la plaine de la Bekka au Liban.
« La guerre civile y faisait déjà rage et même si nul n’imaginait qu’elle allait durer quinze ans elle occupait une bonne place dans nos journaux. » a raconté Marc Kravetz.
« Géné ne l’ignorait pas mais il avait choisi un sujet à sa main, la traque du « red lebanese ». Le nom n’avait rien à voir avec les factions qui s’affrontaient à Beyrouth, il désignait l’une des variétés les plus prisées des amateurs de hasch et Géné en était. »
Le reportage fut publié sur trois éditions d’un quotidien dont les ventes étaient plus que modestes. N’empêche, c’était courageux et instructif. Après, nous n’avons plus fumé l’herbe et la résine de cannabis de la même façon.
Géné nous a appris la culture du chanvre comme il a appris ensuite à ses lecteurs à traquer la malbouffe et louer la bonne cuisine. Finalement, Géné n’aimait que les bons produits !
Sapassion pour l’herbe, devait cependant lui valoir de sérieux ennuis passés sous silence lors de la cérémonie d’adieu. Pourtant, quand « Le 28 octobre 1981, (ndlc : Gouvernement de Tonton 1er) les limiers de la brigade des stupéfiants de la préfecture de police de Paris, conduits par M. Christian Gallo, adjoint au commissaire Morin, arrêtent M. Christian B. , qui détient 30 grammes de cocaïne, il accuse aussitôt Jean-Paul Géné de les lui avoir revendus. » raconte le 15 mars 1982 Christian Colombani dans Le Monde.
« À douze les inspecteurs déboulent chez le journaliste. Ils découvrent deux balances suspectes et 1 kilo de haschisch. Ils arrêtent au passage un toxicomane qui se trouvait là : : » Généraux, vous êtes donc fait « , pour reprendre l’expression parodique de Maître Henri Leclerc, défenseur du journaliste. »
Mais avant le procès de Géné, le célèbre chroniqueur judiciaire du quotidien du soir, Philippe Boucher prit courageusement sa défense le 12 mars 1982 dans les colonnes du vespéral quotidien : « Dans le droit fil des journalistes de Libération, Jean-Paul Généraux n’a jamais cru que des pudeurs devaient le retenir dans la recherche des informations qu’il était chargé de rassembler. » écrit-il avant d’ajouter
« Il est bien clair (ne l’a-t-il pas dit dans ses articles ?) qu’il a lui-même fait usage de la drogue. Le cas est-il pendable, quoi que disent les codes, qui ne le disent d’ailleurs pas si nettement ? Si oui, il va falloir songer sérieusement à bâtir dare-dare de nouvelles prisons pour y parquer tous ceux qui sont dans le même cas, puisque la loi est égale pour tous. »
Incisif, Philippe Boucher poursuit « Veut-on des noms ? Des noms célèbres ? Des noms honorables ? Des noms vertueux, respectables, exemplaires, admirables ? Des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes ? Des gouvernants, des opposants ; des pères et des fils ? Un journal, celui-ci ou un autre, n’y suffirait pas. Mettons un moment de côté l’hypocrisie et convenons que la drogue est aussi une voisine de palier. »
La seizième chambre correctionnelle du tribunal de Paris ne l’entendra pas de cette oreille, elle « a condamné, jeudi 18 mars 1982, M. Jean-Paul Généraux, dit » Géné « , ancien journaliste à Libération, à dix-huit mois d’emprisonnement dont six avec sursis pour trafic de stupéfiants et importation de marchandises prohibées »
Cela vaudra des mois de prison à Géné, et une inénarrable chronique culinaire (La première ?) publiée dans Libé racontant en termes choisis et avec un formidable humour son repas de réveillon à la prison de la Santé !
Comme l’a magnifiquement écrit Jacky Durand dans Libération : « La mort est une daube qui ne se réchauffe pas. C’est pour cela qu’il est si délicat de fricasser des mots sur une vie qui s’en va. »
Salut confrère ! Et merci !
Michel Puech
Bio
20 juin 1949 Naissance à Nancy
1973 Diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ)
1974-1996 Journaliste à Libération
2004 Début de ses chroniques gastronomiques au Monde
2008 Prix Hachette de la chronique, décerné pour la première fois à un chroniqueur gastronomique
23 mars 2017 Décès à Paris
29 mars 2017 Hommage au Père Lachaise
En librairie
Mes Chemins de Table, de JP Géné (Hoëbeke, 312 pages, 17,10 €).
Sources
Libération
Le Monde
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