Il fût le patron cofondateur de l’agence de presse Gamma, puis celui de Sygma, c’est une des grandes figures du photojournalisme du XXème siècle. A 85 ans, Hubert Henrotte publie son deuxième livre « Le photojournalisme peut-il sauver la presse ? »
Livre étrange, titre étrange, tout est étonnant dans cet ouvrage. Il y a plusieurs années qu’Hubert Henrotte voulait donner une suite à ses mémoires publiées en 2005 sous le titre « Le monde dans les yeux » sous-titré « L’âge d’or du photojournalisme ».
« L’âge d’or » ! Cette expression est aussi contestable pour le photojournalisme que pour la période coloniale. Les musées danois viennent de bannir l’expression pour la période où ce pays ne fût prospère que sur l’exploitation de ses colonies. Pareillement, les historiens de la photographie feront le tri sur la période de « l’Age d’or du photojournalisme » comme ils le font déjà pour les fameuses « trente glorieuses ».
Le fait est, qu’après la période faste de 1975 à 1995, les agences Gamma, Sygma et Sipa – pour ne parler que des plus connues – ont commencé à souffrir. La révolution numérique ne cesse depuis de bouleverser le marché de la photographie de presse. Pour faire le point, Hubert Henrotte avec l’aide de Floris de Bonneville, mythique rédacteur en chef de l’agence Gamma, a réuni trente-huit contributions de dirigeants de la presse, de photographes et d’acteurs de la profession.
On y croise Régis Le Sommier de Paris Match, Michel Guerrin du Monde, Mete Zihnioglu de Sipa Press, Jean-François Leroy de Visa pour l’image, Eliane Laffont de Gamma et Sygma, Jean-Jacques Naudet de L’œil de la photographie, Marc Simon ex-VSD, Alain Mingam, Jean Favreau et même votre serviteur…. Edouard Elias, Stefano de Luigi, Pierre Terdjman représentent, entre autres, la jeune génération de photographes aux côtés des « vieilles branches » Jean-Pierre Laffont, Patrick Chauvel etc.
Evidemment les contributions sont d’un intérêt inégal. Les points de vue sont différents par nature. Les « patrons de magazines » ne voient pas le marché comme les « patrons d’agences » et les photographes ballotés entre les uns et les autres ne sont pas toujours pertinents, pour ne pas dire qu’ils sont prudents.
Il est donc difficile de rendre compte d’un ouvrage dont la colonne vertébrale présente une telle scoliose et, également des défauts d’édition manifestes et regrettables. L’impression qui s’en dégage à la fin de la lecture est celle d’un optimisme volontaire des contributeurs et de l’auteur. L’ensemble des acteurs, comme Hubert Henrotte et son compère Floris de Bonneville, espère que le photojournalisme va continuer à alimenter la presse malgré cette révolution numérique qui contrarie fortement la majorité des interviewés. Hélas, il est trop tôt pour le savoir, la révolution est en marche et nous réserve encore bien des surprises.
En revanche, il n’aurait pas été trop tard pour interroger chez les « agences filaires » (AFP, AP, Reuters) ceux qui, à la charnière des années 1980/1990, ont été les artisans d’une réorganisation des services photo de ces agences mondiales. Elles sont devenues de réelles concurrentes pour les agences magazine comme Gamma, Sygma et Sipa. Autant que l’Internet, par la qualité de leurs productions, les « filaires » ont été les fossoyeuses des agences françaises du XXème siècle.
Il est courant d’entendre la profession se lamenter de la multiplication des photographes, de la concurrence que ferait le grand public – smartphone en main – aux professionnels… Mais la réalité, c’est qu’il s’agit d’une crise de la presse elle-même, pas des fournisseurs d’information. Les agences magazine par des choix stratégiques douteux (télévision, informatique) n’ont pas toujours su passer du stade artisanal au stade industriel. Dans les années 1990, les égos des dirigeants de Gamma, Sygma, Sipa ont, par exemple, fait capoter un projet de holding des « trois A » qui aurait peut-être pu couper l’herbe sous les pieds des Corbis et des Getty.
Mais le plus important est incontestablement la mutation du papier au numérique rendue très douloureuse par les erreurs des patrons de presse. Rendre gratuits leurs « contenus » a été une folie d’autant plus incompréhensible qu’à l’époque ils engrangeaient des bénéfices avec le Minitel.
Il leur a fallu plus de vingt ans pour comprendre cette erreur, et – à mon sens – ils en font une deuxième en « diversifiant leurs contenus » ! Les journaux connus pour la qualité de leurs textes produisent des vidéos et des sons, les radios et les télévisions se lancent dans l’écrit… Et tous affaiblissent ce qu’ils nomment leur « marque » quand nous parlions jadis de « titre » !
Pourtant malgré cela, chaque jour, des photojournalistes sont sur le terrain. Au-delà des vicissitudes du marché, il y a chez bon nombre de professionnels du photojournalisme, l’indéracinable besoin de témoigner si ce n’est pour la presse, au moins pour l’Histoire. Et cela, le public nombreux dans les expositions, le comprend. Pas sûr, que les dirigeants de la presse aient la même compréhension et la même passion que leurs journalistes et leurs publics.
Un livre inégal, mais riche de témoignages.
Michel Puech
Livres
- Le photojournalisme peut-il sauver la presse ? d’Hubert Henrotte avec la collaboration de Floris de Bonneville. Edition MJW 2019 – 261 pages – 25€
- Le monde dans les yeux, Gamma-Sygma. L’âge d’or du photojournalisme d’Hubert Henrotte avec la collaboration de Jean-Louis Gazigniaire – Editions Hachette 2005.
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