Depuis jeudi 24 mars, un ovni a atterri dans les librairies françaises et bientôt dans celles du reste du monde. 500 photographies, 24 portfolios, 350 pages brochées en une revue totalement originale produite par une équipe déjà gagnante avec le trimestriel XXI.
Demain, mardi 29 avril 2011, la rue Jacob, en plein St Germain-des-près, sera occupée par une manifestation bien parisienne qui réunira tous ceux qui, peu ou prou, comptent dans le journalisme français et au-delà. Les lauréats du Prix Albert Londres vont se bousculer avec les photojournalistes décorés de World Press, de Visa d’or, ou du Prix Paris Match. Le « raout » de lancement de la revue 6 mois s’annonce comme un des évènements du printemps car la presse française est déjà enthousiaste. Un nouveau titre imprimé sur du papier, cela n’arrive plus tous les jours !
La star de ce premier numéro est incontestablement Darcy Padilla, lauréate de la Fondation Eugene Smith avec son reportage « Julie » qui s’étale sur plus de 50 pages ! Non, ce n’est pas dans un « beau livre », mais dans une revue de belle impression (Druckhaus – Allemagne).
La grosse sœur de XXI
En feuilletant la revue, le lecteur constate que mis à part les rubriques d’ouverture, il n’y a pas de reportages photographiques de moins de 20 pages ; tous servis par une maquette élégante et variée, alternant double page à « fond perdu », ou à larges marges blanches avec également des jeux de mosaïques. L’œuvre du talentueux franco-britannique Quintin Leeds, ancien directeur artistique de Libération, et qui fut déjà créateur du design original de la revue trimestrielle XXI publiée par le même éditeur.
Laurent Beccaria, le patron des éditions « Les arènes » est un homme dynamique, et de prime abord accueillant. A ma première visite, il m’offre un café. Quatre fois par an, il vend 45 000 exemplaires de XXI, dirigé par Patrick de Saint-Exupéry. Joli score en librairie !
XXI, en moins de trois ans, est devenue une référence dans le monde du grand reportage. De belles signatures, mais aussi des opportunités offertes a de jeunes plumes. Sophie Bouillon avait 25 ans quand elle a signé son reportage «Bienvenue chez Mugabe ! » ; et obtenu le Prix Albert Londres, la consécration du journalisme français. Son rédacteur-en-chef, Patrick de Saint-Exupéry l’avait décroché, à 28 ans, en 1991 pour sa série de reportages sur la guerre au Libéria pour Le Figaro.
La passion du grand reportage
Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria, fort du succès de XXI n’hésitent pas à retenter l’aventure de mettre en librairie 40 000 exemplaires de 6mois.
« Nous avons imaginé 6mois pour refonder le lien entre le journalisme et la photo, renouer le pacte entre le lecteur et les photographes, trouver le point de rencontre entre l’appétit du public et l’énergie parfois stupéfiante des auteurs. »
Incontestablement, de l’appétit, il en faut au lecteur : plus de 60 pages consacrées à la « Chine empire jeune » en trois reportages, l’un de Justin Jin de l’agence Cosmos, l’autre d’Axelle de Russé (agence Abaca– Prix Canon de la femme photojournaliste en 2007) et Paolo Woods (agence Anzenberger). Des habitués de Visa pour l’image.
Avant d’attaquer le grand sujet de Darcy Padilla, Michel Guerrin nous propose une très longue interview introspective de Laurent Van der Stock. Du même coté texte, Emmanuel Carrère épaule magnifiquement « The Julie project » de Darcy Padilla. Respirons un peu en dansant le tango avec le couple de photographes Ivan Kashinsky et Karla Gachet, avant de retourner au collège avec le reportage de Christopher Furlong de Getty images sur l’éducation très « british » d’Eton. Belles images, jeunes gens « clean », pelouses vertes qui contrastent totalement avec le « Camp aviation » d’Olivier Laban Mattei (Agence Neus Photos) en Haiti.
« Le paradis des fruits permis » de Nedjma Berder, nous éloigne un peu du photojournalisme pour nous rapprocher de ce qui l’attire en ce moment, l’art et ses galeries. 6mois en ce sens à une parenté avec le magazine Polka qui fait, lui aussi flirter le journalisme avec le marché de l’art.
Même attrait également pour l’histoire de la photographie. La rubrique « Mémoire » tenue par Jan Krauze (Le Monde) nous offre une série magnifique « Les couleurs de l’empire russe » de Serguei Prokoudine Gorsky, photographe inventeur d’une technique de trichromie.
Entre art et photographe, le journalisme retrouve ses droits pour faire découvrir au lecteur un quasi inconnu : « Gerry Adams, la paix des armes ». Un portrait totalement original sur le fond comme sur la forme iconographique d’un leader de l’indépendance irlandaise, mis en scène par un spécialiste, grand reporter et lui aussi prix Albert Londres, Sorj Chalendon du Canard Enchainé.
Impossible de rendre compte de l’ensemble du contenu de cette riche revue. Précisons que chaque sujet se termine par une double page d’informations pour le lecteur qui souhaite approfondir le sujet, selon un principe déjà appliqué dans XXI, et sur Internet. Présent également, une petite colonne sympathique à la lecture pour découvrir les coulisses du reportage.
S’il faut être critique, disons que le discours sur le marasme du photojournalisme est un peu convenu. Au-delà, on ne peut que constater le défi éditorial : paraître le 24 mars de cette année, avec un unique sujet sur la Tunisie… Sujet, qui plus est, fait d’une compilation de photographies d’origine diverses pour lesquelles le lecteur prend le risque d’attraper un sérieux torticolis pour lire le nom des auteurs typographiés à la verticale. Cette commune manie est déjà particulièrement agaçante dans les magazines, elle est franchement iconoclaste dans une revue à la gloire des photographes !
Et donc, rythme bisannuel oblige, il nous faudra attendre l’automne pour découvrir les merveilleux reportages réalisés en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yemen, en Syrie et… au Japon ! C’est à ce stade que le lecteur critique s’interroge sur la pertinence du produit face au livre. Qu’importe ! Pour « la moitié du prix d’une entrée à Disneyland » le lecteur a de quoi passer un bon week-end.
Toujours rendre à César
Mais la mauvaise surprise arrive, comme chacun sait, le lundi matin à l’heure du café. Alain Frilet, ancien directeur éditorial de Magnum et ancien rédacteur-en-chef d’Eyedea (futur Gamma-Rapho), qui a – selon le dossier de presse – « rassemblé les images du numéro 1 » en a fait la cruelle expérience.
Il ne fait plus partie de l’équipe. Interrogé par téléphone, une demi-douzaine de journalistes auteurs dans ce numéro 1, confirme – mais « off » – qu’ils n’ont connu que lui comme rédacteur-en-chef de 6 mois. Seul, Sorj Chalandon déclare « Tu peux me citer. De toute façon, je refuse toute collaboration. J’ai accepté celle là uniquement parce que c’est Alain Frilet qui me l’a demandée, et je n’ai eu que lui comme interlocuteur. C’est grâce à lui et à son frère le photographe Patrick Frilet que j’ai écris sur l’Irlande.»
Laurent Beccaria, le « patron » des éditions des Arènes , se « souvient très bien de moi » quand je l’interroge au téléphone. Il est tout d’abord aimable, mais s’énerve vite. « C’est Patrick de Saint-Exupéry et moi qui sommes allés chercher Alain Frilet en mai pour prendre la rédaction-en-chef. On l’a invité à déjeuner. ».
Je m’étonne de la date. « C’était peut-être en avril… » Je m’étonne à nouveau et lui précise que dans son bureau de l’agence Eyedea, Alain Frilet m’avait fait part de son projet de revue très copieuses, toute en photos, avec beaucoup de place pour les reportages. Laurent Beccaria n’apprécie pas mon témoignage. « Nous avons parlé avec lui… en avril, peut-être avant… ».
Je lui précise qu’en décembre, Alain Frilet m’avait parlé d’un contact avec la revue XXI. C’en est trop pour l’éditeur, qui n’étant pas de presse, semble ignorer que le métier d’un journaliste est de poser des questions. « Vous êtes le deuxième à me parler de cela…Il n’y a qu’une version exacte, c’est celle qui est écrite dans le protocole d’accord que nous avons signé hier. Et s’il s’écrit des choses contraires, elles pourraient faire l’objet de poursuites… Je ne dis pas ça pour vous. Au revoir Monsieur. »
Donc acte, les lecteurs de 6 mois devront se contenter de la version officielle du dossier de presse selon laquelle Alain Frilet a « rassemblé les photos » et « Marie-Pierre Subtil jusqu’alors grand reporter au Monde a rejoint la rédaction à trois semaine du bouclage pour assurer l’édition du premier numéro ». Depuis le 15 mars, elle a pris en charge la rédaction-en-chef de 6mois. Marie-Pierre Subtil a un atout, elle connaît le caractère de son mari : Patrick de Saint-Exupéry.
Michel Puech
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