Avant de m’engloutir dans le feuilleton de l’éternelle annonce de « la mort du photojournalisme », je me suis replongé dans une époque – que dis-je – le siècle révolu en lisant dans le Cantal la biographie du Docteur Hunter S. Thomson. Allez savoir pourquoi, l’exaspération qu’il ressentait pour Nixon, m’a semblé familière.
« J’ai peur de m’endormir par crainte de
ce que je pourrais apprendre en me réveillant ». *
Je me souviens très bien de l’origine du choc: l’écran de la télé diffusait l’affiche du film « Last Vegas Parano » ! Cette fois, me suis je dis in petto : mon petit gars t’es vraiment devenu vieux. Si, à une heure de grande écoute, toutes les chaînes de télévision et toute la « grande presse », font l’apologie d’une histoire de reporter défoncé, c’est bien que les rêves de ta jeunesse ne sont plus que marchandises.
Mon vieux complice des sixties à nos jours, le bon Docteur Bam, à qui je confiais ma nouvelle angoisse me regarda avec cet air de chameau qu’il avait acquis comme un tic en parcourant le Sahara à une époque où l’on pouvait encore le faire, sans crainte de se faire décapiter.
– « Tu ne sais donc pas qu’Hunter S. Thomson a été sacré comme l’un des plus grand écrivains américains du XXème siècle ? Des dizaines d’études, de thèses et de bouquins ont été publiés sur le journalisme gonzo… Le meilleur est sûrement celui de William McKeen, Outlow journalist : The life and times of Hunter S. Thompson… »
Non, je ne le savais pas. En fait, je n’avais jamais voulu le savoir. D’une part, je me suis toujours – bêtement, je dois bien l’avouer aujourd’hui – refuser à approfondir mes maigres connaissances de la langue des « impérialistes américains » ; d’autre part, il y a bien des années que tout coup d’œil jeté dans le rétroviseur fait naitre, non de la nostalgie, mais une certaine nausée dès que mon regard se reporte sur la route du jour.
Quand le Nouvel Observateur s’est mis, un été de la fin des seventies, à publier quelques « papiers » représentatifs du gonzo journalisme, j’ai cessé de m’intéresser à l’œuvre du maitre en la matière. Voir la presse française reproduire ce qu’elle n’acceptait pas de ses propres journalistes… C’était trop pour moi. Pour les mêmes raisons j’ai donc boudé le film.
Après tout, la collection 10/18 me suffisait. Et, voilà que ce printemps « Le monde des livres » – (ndlr : oui je dis bien Le Monde des livres !) – signale fort élogieusement la parution de Hunter S. Thompson, journaliste & hors-la-loi aux Editions Tristram, une traduction de la biographie de William McKeen légèrement préfacée par Philippe Manœuvre.
Les éditions Tristram annoncent en outre « l’intégrale des Gonzo Papers – somme définitive de deux mille pages (4 volumes prévus) rassemblant le nec plus ultra des écrits de HST, pour une grande part encore inédits en français ».
Avec l’âge, on devient parfois plus tolérant, et pour me/nous distraire du feuilleton de la l’éternelle annonce de « la mort du photojournalisme », je me suis replongé dans une époque – que dis je – un siècle révolu.
La peur et le dégout
Le 22 ou le 23 novembre 1963 en fin d’après midi, je rentrais du lycée pour me coller devant la télévision familiale. Elle était toute neuve et, précisons le, encore en noir et blanc. Cette merveille avait été « offerte » à la famille par la société American Foods, fabriquant les tablettes du chewing gum Hollywood !
L’argument de la modernité au foyer avait convaincu mes parents, grossistes en confiserie d’acheter – « payable en plusieurs fois Mr Puech… » – une dizaine de cartons contenant chacun une cinquantaine de petites boites – présentoirs verts où se tassaient deux dizaines de paquets de dix tablettes à la chlorophylle… (ndlr : les goûts citron, fraise et réglisse apparurent plus tard).
Ce 22 novembre, à la place du feuilleton, l’unique chaine diffusait, en différé, un reportage venu de Dallas : l’assassinat du Président Kennedy. Ce jour là, pour l’adolescent que j’étais, l’Amérique cessa d’être « le pays de nos libérateurs » pour devenir la patrie des assassins.
Hunter S Thomson qui venait de se marier écrivit à un ami exactement ce que je ressentis « J’ai peur de m’endormir par crainte de ce que je pourrais apprendre en me réveillant ». Une phrase qui m’a hanté tout l’été.
Heureusement, en même temps que la télévision commençait à nous abreuver d’atroces images de la guerre au Vietnam, un certain Bob Dylan chantait « Pour vivre en dehors de la loi, il faut être honnête ».
« Ne me demande rien sur rien,
je pourrais te dire la vérité…»
« Mister Tambourine man » nous engageait à prendre la route, et proclamait « Ne me demande rien sur rien, je pourrais te dire la vérité…» C’est au son de ces musiques, que j’étais parti apprendre le journalisme à l’IUT de Bordeaux.
« …/… les poids lourds de la presse américaine, et ceux qui enseignaient dans les écoles de journalisme, braillaient toujours à l’objectivité et à l’impartialité. Hunter pensait que c’était une ineptie : pour écrire un article, il fallait qu’il en fasse partie. » »*
J’eu la chance de ne pas être accepté – en raison d’une dictée d’orthographe à la note éliminatoire – au Centre de formation des journalistes (CFJ). A Bordeaux, le « patron », c’était le jeune Pierre Christin alors pratiquement inconnu, mais commençait à écrire des scénarii de BD comme des reportages. Epoque Valérian avec Jean-Claude Mezière, mais aussi Bilal. Avec un directeur comme ça, nous avions la latitude d’écrire des « poulets » gauchistes, comme des reportages-poèmes…. Un véritable passeur.
C’était une époque où l’on cherchait à sortir du « faire chiant » d’Hubert Beuve Mery, tout en ayant le plus grand respect, voir de la déférence pour le vespéral quotidien. On ne parlait pas encore de « nouveau journalisme », mais Jean-François Bizot avec « Actuel » avait déjà lancé la mode d’un journalisme un peu déjanté.
C’est en 1977 que parut la première édition de « Last Vegas Parano » aux Editions Henri Veyrier. Une bombe ! La collection Off des éditions Henri Veyrier comprenait d’autres titres du « nouveau journalisme » américain. Hélas, je ne me souviens plus des titres et mes amis ne les retrouvent pas dans leurs bibliothèques. Henri Veyrier, le premier éditeur français d’HST, est un homme difficile à joindre. « Il n’a pas de portable. Et – me confie mon interlocutrice – j’ai ordre de ne pas le déranger même si une bombe atomique tombe sur la librairie. » Nous attendrons donc l’automne pour préciser ces informations.
1977, en France, c’est vraiment la fin de nos espérances révolutionnaires. Les diamants de Bokassa vaudront à Valéry Giscard d’Estaing un Watergate tiedasse, mais on cherchait en vain un Washington Post…
Libération, le quotidien de Serge July, semble – dix ans après 68 – déjà un peu essouflé… C’est pourtant dans ses pages que l’on trouvera quelques exemples de « nouveau journalisme » sous les plumes de Jean-Paul Géné, Frédéric Joignot ou Marc Kravetz qu’on ne louera jamais assez pour sa série sur la culture du hashich libanais !
The Paris Metro, un bimensuel grand format, en anglais, est la lecture branchée du moment. On ne parle que de «créer des Cities magazines », et Jean-François Vogel essaie de faire Paris Hebdo sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber. C’est un fan de Tom Wolfe. « Le bucher des vanités » n’est pas encore paru et le magazine fait un élégant flop.
« Tom Wolfe, qui publia dans Rolling Stone les germes de deux de ses meilleurs livres (L’étoffe des héros et Le bucher des vanités), disait que le génie de Wenner (ndlr : le patron de Rolling Stone) était de pousser les auteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes : « Vous avez une liberté complète quant au style que vous voulez utiliser. Ou c’est super, ou il vous le rend. » Wolfe place Wenner dans la même classe que Clay Felker, qui fut rédacteur en chef de New York et d’Esquire. « Tous deux étaient aussi intrépides sur les histoires de diffamation, ou la menace d’un procès. Ils vous faisaient sentir que vous n’aviez pas à vous inquiéter. Allez-y à fond, on s’inquiétera des transgressions ensuite. » »*
Pour y aller à fond Hunter S Thompson ignora la pédale de frein… Il tapait avec générosité sur les politiciens et en particulier sur Richard Nixon, ce type a qui aucun américain n’aurait acheté une voiture d’occasion.. Hunter S Thompson écrivit à son propos : « Le premier Président à sortir d’un tas d’ordures ».* Mais, bon, il ne l’a pas traité de voyou, peut-être bien de gangster. Il faut lire et relire HST.
Dans sa biographie d’Hunter S Thompson, William McKeen nous fait vivre toute la vie du célèbre docteur gonzo… Et l’on ne peut que s’interroger : mais où et qui pourrait traiter ainsi un Président ? Depuis cet été, l’espoir renait du côté de ce coté de l’Atlantique, ici et ailleurs. N’empêche, les reportages mythiques de Hunter S Thompson datent des années 60, 70… Finalement quelle liberté les journalistes ont-ils perdus depuis ?
Miss Pentagone et moi
étions attendus à l’hôtel Pams pour le « Welcom drink »?
Et puis, posons nous toutes les questions : cette « non fiction », est-elle vraiment du journalisme ? A Perpignan au festival Visa sur l’image qui s’ouvre ce week-end, le grand débat sera parait il la « retouche numérique » des images de photo-reportages… Ou commence, et ou s’arrête le champ visuel, le point de vue, l’interpretation, le commentaire des faits…« Times They Are A-Changin’»
Hunter S Thompson qui fut incinéré dans des conditions totalement excentriques au son de Mr Tambourine man a eu un grand point commun avec Bob Dylan : la notoriété a étouffé, un temps, leurs créativités. Bob Dylan s’en est remis. HST a fini par se tirer une balle dans la tête !
Nous étions quelque part près de Perpignan, en bordure de la Méditerranée…
« J’ai freiné et dirigé le Grand Requin Rouge vers le bas-côté de l’autoroute. Pas besoin de parler de ces chauves-souris, ai-je pensé. Le pauvre enfoiré les verra bien assez tôt. » »*
Miss Pentagone et moi étions attendus à l’hôtel Pams pour le « Welcom drink »?
Michel Puech
28 août 2010
Note : toutes les citations en italique sont extraites de :
Hunter S. Thompson, journaliste et hors-la-loi de William McKeen – Traduction de l’anglais (US) par Jean-Paul Mourlon. Ed Tristram (2010)
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