Ils avaient déjà, le camembert, la baguette de pain, le béret et les « Bordeaux ».Depuis le succès de Télétel, les français espèrent en plus exporter le Minitel… Après plusieurs années de « cafouillage », les ambitions se sont adaptées aux réalités des marchés. Mine de rien, les « mangeurs de grenouilles » essaient maintenant de nous vendre en direct de Paris « le french love »….par Minitel ! En attendant de prendre les commandes… de champagne et de parfums.
Article publié en allemand dans le mensuel spécialisé VTX & Com (Allemagne) en mai 1989
Paris, décembre 1986, Jean-Louis Fourtanier, PDG d’un des premiers serveurs télématiques, tient sa conférence de presse annuelle dans les locaux de l’agence de publicité Havas dans l’ouest chic de la capitale française. « Notre première étape a été le test du marché américain sur un petit échantillon de personnes. De juillet à décembre, nous avons offert à quelques américains des accès sur l’un de nos serveurs français à partir de l’un des rares et très chers points d’accès disponibles en 1986 sur le réseau américain. Le succès de cette expérience limitée nous a conduit à chercher une solution moins onéreuse afin que ce test soit poursuivi à l’échelle du « Grand public ». Et nous avons alors choisi d’installer notre propre point d’accès à New York, avec notre propre liaison par câble sous-marin en raison des vitesses de commutation nécessaires, vers notre principal serveur parisien ».
Dans la salle, l’auditoire est sceptique. Pourtant ça marche !
Jour après jour le nombre des pseudonymes suivis des lettres NYC augmente dans la « City », la messagerie de CTL. En fait, de l’autre côté de l’Atlantique, au bout d’une « LS », une ligne spécialisée, il n’y a, à l’époque, pas grand chose : un mini HP qui sert de point d’accès et quelques dizaines de Minitel « des vieux modèles achetés à grand mal. Nous les avons distribués gratuitement à des amis ». En 1986, en plein boom des messageries, Jean-Louis Fourtanier mise sur « la valeur ajoutée de l’américan way » pour attirer un peu plus de monde sur les messageries de ses clients (Libération, l’Evénement du Jeudi, Fr3 etc..). Et puis, ce fana de voile, aime visiblement les grands horizons…
Los Angeles, Vancouver, Montreal en direct
Aujourd’hui en 1989, dans son bureau, le dessin des réseaux auquel CTL est relié, figure en permanence sur le mur. Il ressemble furieusement à celui de ses rêves d’il y a trois ans. CTL est accessible depuis plus de 300 villes américaines et toutes les grandes cités canadiennes. On peut consulter ses services avec un minitel, un alex ou n’importe quel micro communiquant grâce à l’émulateur CTL Link. Malgré cela « JLF », son pseudo dans la « City » est réaliste « Aux USA, notre seule chance ce sont les Bells ou de grosses compagnies suffisamment puissantes pour avoir les moyens ».
En Europe ? « Un pas en avant, un pas en arrière, on ira dans aucun pays sans partenaire sérieux » Il ne perd plus que « 200 000 F par mois » car les recettes ont commencé à rentrer. « Nous faisons entre 5000 et 6000 heures/mois de messagerie transatlantique et de 1000 à 2000 heures en plus sur d’autres services que la messagerie. » Et puis grâce à ses bureaux de NY et de Montréal, CTL vend aussi des logiciels, des services et serveurs clé en main, ce qui diminue la charge financière. L’an passé, la perte avouée étaient de 500 000 F par mois ! Cela fait trois ans que cela dure… Les professionnels français du vidéotex ne perdent pas de vue Fourtanier, même si « sa marotte de l’international » qui en faisait sourire plus d’un… aujourd’hui intrigue et intéresse. Aussi n’est-il pas resté longtemps seul sur le bitume newyorkais !
A tout seigneur, tout honneur : l’Etat français lui même est allé « mouiller sa chemise ». Intelmatique SA, société privée dépendant de COGECOM (Holding de France Télécom), a été créée pour promouvoir le vidéotex. Après avoir « accouché » des système vidéotex dans tous les « coinstots » bizarres de la planète y compris en Equateur. Elle a maintenant une « offre internationale ». De la promotion militante on est passé au commerce. « A l’origine, nous avons créé Minitelnet à la demande des fournisseurs de moyens du programme Télétel » raconte Georges Nahon, son ancien Directeur Général passé depuis janvier 1988 au « privé ». Le « Groom » entra en service pour faire des « démos » dans les salons et foires. Une passerelle que les abonnés belges du vidéotex connaissent bien sous le nom de F.NET.
C’est par ce système que du monde entier ont peut accéder via un réseau X25 aux services hexagonaux. Malheureusement ce « Groom » dans sa première version ne donnait accès qu’à 1500 services générant 1500 à 2000 heures/mois de trafic. Aujourd’hui, avec l’entrée en service avant l’été du « Groom V 2 » ce sont 10 000 services qui sont en ligne ! A tous les prix ! Baptisée Minitelnet cette porte sur la télématique française s’ouvre largement au marché américain. Il suffit d’une carte de crédit et d’un PC avec modem pour instantanément télécharger un logiciel d’émulation et se connecter sur les services français…. ou belges !
Le « kiosque » de l’Europe ?
En effet, rien ne vous empêche une fois branché depuis les Etats-Unis d’utiliser toutes les facilités qu’offre Télétel et notamment la passerelle belge ou les passerelles vers le BTX allemand, le Prestel anglais actuellement en test ou, dès l’automne, le Vidéotel italien ! Pour Christian Sinéphro, le dynamique et passionné directeur commercial de Minitelnet, comme pour ce missionnaire de la connexion internationale qu’est Francis Le Bras, Directeur technique, toutes les ambitions sont possibles. Il y a un an le terme de « porte de la télématique européenne » paraissait un rêve. Aujourd’hui, c’est l’objectif 1990 et Christian Sinéphro essaie de convaincre les fournisseurs de services français d’installer des services à vocation internationale en tout cas américaine. » Pensez qu’un éditeur télématique français peut créer un service qui sera perçu par les américains comme un « home service » diffusé au même tarif que la concurrence » s’enthousiasme Christian Sinéphro.
Rue Greneta, au 5ème étage du Nouvel Observateur, Georges Nahon est un père en colère. C’est lui qui a créé le « Groom ». Mais aujourd’hui, Claude Perdriel le PDG du Groupe le présente comme le « Directeur de la Télématique ». Penché en avant au-dessus de son bureau où trône un Minitel d’un côté et un Macintosh de l’autre il fulmine… « Qui nous a prévenus que nous étions accessibles de Belgique ? Qu’est-ce que je vais faire si nous sommes attaqués en justice par un américain, un belge, un italien ? Nous avons entrepris une réflexion au sein de l’AFTEL (Association des fournisseurs de services télématiques) pour éclaircir ces points. Je ne suis pas d’accord pour que l’Etat par l’intermédiaire d’une société privée commercialise nos services. C’est un abus de monopole… Ce sont des questions de principe car le trafic est minime. Fourtanier et moi faisons bien plus d’heures de connexion avec nos lignes spécialisées que Minitelnet. »
A peine l’Amérique découverte, la guerre couverait-elle ? Sollicité par Minitel sur cette question « JLF » me renvoie un message dans ma BAL « Non, je ne veux pas me mettre à dos Minitelnet. Aujourd’hui on a besoin de se serrer les coudes, et si tout le monde y met de la bonne volonté…. »
La guerre des réseaux
Se donner la main… « Le moment venu, j’exploiterai volontiers avec Jean Louis Fourtanier une ligne spécialisée entre NY et la Californie » confie Georges Nahon. Mais pour le moment il a fort à faire avec Newcom inc, la filiale new yorkaise du groupe. « Hors publicité » dit-il en souriant « nous sommes rentables grâce au trafic transatlantique sur nos messageries 3615 SEA, Aline, Obs etc… ». Combien d’heures de connexion ? « Confidential » répond-il avec l’accent yankee. Mais sa ligne à 32 accès ne peut matériellement pas supporter plus de 300 heures/jour. « Ma fierté, c’est qu’Aline commence a être bien connue dans le monde électronique américain. Nous avons passés de la publicité dans une dizaine de journaux… et puis vous savez le marché des serveurs pour micro aux USA est un marché de messagerie comme partout. Tous les serveurs vendent là-bas leurs banques de données, leur téléchargement etc.. mais c’est la messagerie qui marche… comme en France ».
« Nous ouvrons une messagerie professionnelle et internationale, Citypro » explique JLF, « parce que les gens nous le demandent depuis longtemps et parce que nous en avons besoin nous mêmes » ajoute-t-il en riant. « Comment voulez vous que je fasse les différentes versions du manuel de CTL Link sans téléchargement ni correspondance avec nos bureaux de NY et de Montréal »
« L’international » ne sera peut être pas « le genre humain » comme le dit la chanson mais… sous le scepticisme affiché des « tireurs de lignes spécialisées » sommeillent peut-être des profits et un conflit avec les « transporteurs de données ».
Résumons-nous : Quand vous véhiculez des communications télématiques par Transpac ou n’importe quel autre « carrier » vous payez proportionnellement au temps et à la quantité.Quand vous « tirez votre propre ligne spécialisée » vous payez un coût fixe. Au début vos pertes sont sèches mais après… vos bénéfices augmentent jusqu’à saturation de la ligne. Une « LS » transatlantique coûte environ 45 000 F par mois pour 32 accès soit un coût horaire par voie de moins de 2 F ! A l’attaque des transporteurs, tel pourrait être le mot d’ordre des serveurs français intéressés par l’exportation.
Baisser les coût de transport est en effet capital pour amortir rapidement les investissements publicitaires nécessaires à la vente hors hexagone des services. Ce coût énorme de la promotion, « le principal poste » confie Georges Nahon, freine les enthousiasmes. Les télévisions, les magazines, bref les groupes de presse, sont les mieux placés pour exporter en raison soit de leur diffusion, soit de leurs accords de co-édition.
De son bureau, à la Concorde, dont les fenêtres ouvrent sur l’Hôtel Crillon et l’ambassade américaine, Danielle Guardiola, Directrice des services télématiques du Groupe Marie Claire rêve aussi à « l’international » : « Nous avons la chance ici de travailler directement avec Laurence Hembert, qui a en charge les éditions internationales de Marie Claire. Et puis, nous avons des connexions de l’étranger que nous repérons actuellement par les jeux. On joue de Suisse, de Belgique et même de Côte d’Ivoire ! Dès que VTCom, notre serveur, identifiera la provenance des appels de l’étranger, nous pourrons avoir une action spécifique dans les pays où nous co-éditons Marie Claire. C’est le cas, notamment pour la Belgique, où nous envisageons de promouvoir nos codes MC et COSMO ». Et puis il y a aussi le trafic frontalier. Celui des services hébergés à la SEGIN directement reliés au réseau belge, celui de SDV plurimédia à Strasbourg qui édite en français et en allemand des services pour les frontaliers avec l’éditeur Röser.
A Genève, c’est SUISSTEL où Christian Lambert confie « son désir d’ouvrir une messagerie pour les frontaliers ». A Barcelone, un point d’accès vidéotex est installé depuis plusieurs mois attendant non sans impatience que Téléfonica veuille bien soit tirer une ligne spécialisée, soit raccorder les réseaux Ibertex et Téletel. Un enjeu de taille à moins de trois ans de l’ouverture de Jeux Olympiques !
La guerre des normes ?
Plus personne ne veut en entendre parler. « On se débrouille pour mouliner tout ça » confie un spécialiste. G.S.I spécialiste du vidéotex professionnel pour le tourisme a même conçu un serveur qui traite toutes les normes européennes sur la même machine. Quand à l’éditeur Lamy, le spécialiste des services vidéotex pour les transporteurs routiers il est leader en Europe et réalise le plus gros chiffre d’affaire du vidéotex professionnel.
Aujourd’hui l’internationale du vidéotex se conjugue en dollars, deutschemarks, yens ou francs de toutes provenances. Le nerf de la guerre c’est la publicité et pour faire des profits à l’exportation les français sont même prêts à enterrer le sacro saint Minitel. « Nos clients ce sont les micros communicants » résume Georges Nahon « Pensez que rien qu’en Californie il y en a un million. Quant à l’Allemagne où j’ai passé beaucoup de temps, je peux vous dire qu’il y a 500 000 clients immédiatement disponibles dès qu’ils seront sortis du moyen âge où la Bundespost les maintient. Ce sera dans deux ans environ le plus gros marché européen hors hexagone. » Morale : « Peu importe le flacon pourvu qu’on est l’ivresse » comme le dit le poète.
Michel Puech
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