Se syndiquer était une évidence. Dès l’obtention de ma carte de presse, j’ai adhéré au Syndicat National des Journalistes et à l’association professionnelle ANJRPC (Association Nationale des Journalistes Reporters Photographes et Cinéastes). Le lien était très fort entre les deux notamment par l’entremise de Roger Pic qui est devenu un grand ami et, par la suite, mon patron au magazine de TF1, Infovision.
Il faut dire que la loi dite Cressard [1], votée en 1974, qui permettait aux reporters photographes d’avoir le même statut que les journalistes, en particulier en droit salarial, était constamment refusée par les employeurs. Il faudra attendre deux ans pour que loi soit effectivement appliquée. Nombre d’entre nous voient aujourd’hui ce que cela signifie en terme de perte de trimestres pour droits à la retraite.
J’ai donc commencé à militer dans le syndicat avec mon ami Guy Plazanet [2]. A nous deux, pendant plusieurs années, nous avons animé la section photographes du Syndicat National des Journalistes (SNJ).
Au fil des années, j’ai mené plusieurs actions syndicales dont certaines ont été particulièrement spectaculaires.
Le matraquage de Georges Bendrihem
Le 5 juin 1980, Georges Bendrihem (« Ben » pour les copains) est matraqué sur le pont Alexandre III à Paris à la suite d’une manif de personnels de santé en route vers le ministère. Des heurts éclatent et deux photographes sont blessés (Ben et Jean-Pierre Defail du Point) ainsi que le motard de l’AFP. Fort heureusement plusieurs confrères immortalisent la scène notamment Alain Keler.
Comment protester ?
Au SNJ et dans les autres syndicats, les photographes se mobilisent. Avec Guy Plazanet, Roger Pic, Christian Avril, Marcel Lorre, moi-même, on décide d’organiser une réunion dans un bistrot voisin de l’AFP. L’AG regroupe beaucoup de monde et on obtient le soutien de tous les photographes, quelles que soient leurs options philosophiques ou politiques.
De mon côté, j’utilise une des photos de l’agression de Ben pour en faire faire une affiche. En passant, j’ai laissé passer une faute d’orthographe en laissant imprimer Giscard sans le « d » final. Pas grave, l’affiche est diffusée dans toutes les rédactions de France.
On va donc faire la grève. A l’Elysée. Comment la médiatiser ? Il se trouve que l’agression contre Ben et son motard a mobilisé l’AFP. Ce sera 30 minutes d’arrêt du fil info et une journée du fil photo. Seule celle de l’Elysée sera diffusée.
Le succès est total, il y a trop de monde, dont beaucoup restent dehors. Ceux qui sont à l’intérieur sont immortalisés en couleur, en noir et blanc et filmés par toutes les télés. ( Voir la séquence de British Pathé. Il suffit de cliquer sur l’image )
La photo diffusée par l’AFP sera publiée dans la presse du monde entier. On retrouvera des publications aussi bien dans toute la presse européenne que dans O Globo au Brésil ou dans l’Asahi shinbun au Japon.
Notre réclamation porte sur la protection des photojournalistes notamment par l’attribution d’un brassard de presse qui remplacerait celui fourni par la préfecture de police. Nous obtenons finalement que le brassard soit attribué par la Commission de la Carte. Victoire illusoire au fil du temps puisqu’il se révèlera que ce brassard ne sera pas une protection plus efficace que l’autre.
Mais la manifestation a fait date.
L’inculpation de Robert Hersant
Le 27 novembre 1978, Robert Hersant, alors magnat de la presse française, est inculpé pour violation de l’ordonnance de 1944 sur la pluralité de la presse sur plainte du SNJ. Depuis plusieurs semaines, dans l’attente de la décision de justice, je prépare un coup médiatique : une affiche qui doit être distribuée partout.
Pour ce faire, puisque l’on compare Hersant à « Citizen Kane » (il achète à tour de bras des journaux en procédant à des masses de licenciements), je me rends à la Cinémathèque française.
J’ai rendez-vous avec Mary Meerson, la légendaire compagne d’Henri Langlois. Très âgée, impotente, elle me reçoit assise derrière un énorme bureau. Ce que je lui demande est inhabituel : utiliser une image du film d’Orson Welles pour en faire une affiche. Après quelques secondes de réflexion, elle me donne son accord. Rendez-vous dans la salle de la Cinémathèque le lendemain. Et me voilà seul dans la salle à 9 heures du matin à visionner le film avec un chronomètre.
Dans une salle de montage, je vais apprendre l’expression « poser des fils » qui signifie que l’on insère un fil dans la bobine de film pour signaler l’image sélectionnée.
J’ai choisi le moment où l’on produit au collaborateur de Kane une page décrivant la fraude électorale de son patron. Avec un copain graphiste, on sélectionne une image de Hersant qu’il va insérer sur la tête d’un des personnages et on va remplacer le titre du journal par le seul mot : « Enfin ! ». Le titre de l’affiche sera « Hersant inculpé ».
Le jour dit, au tribunal, je suis dans une cabine téléphonique (il y en avait encore, c’était avant les téléphones portables) avec l’imprimerie au bout du fil. Tout au bout de la salle des pas perdus, j’attends de voir émerger l’avocat du SNJ. Au moment où il jaillit de la salle d’audience en levant le poing, je crie « ça roule » et c’est ainsi que dès le lendemain, l’affiche s’est retrouvée dans toute la France.
Pierre Abramovici
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Notes
[1] Loi Cressard du nom du député Jacques Cressard (France, Rennes, 21 avril 1935 – Rennes, 7 mars 2015) dont le père était journaliste à Ouest-France, a été votée le 4 juillet 1974. Insérée à l’article L. 7112-13 du Code du travail, cette loi offre aux pigistes un large éventail de protections qui s’appliquent aux salariés en cas de maladie, de maternité, d’accident du travail, de chômage, de retraite, de licenciement (y compris des indemnités de licenciement), la fourniture de congés payés et de formation, et l’application de la convention collective nationale de travail des journalistes.
[2] Guy Plazanet, photographe syndiqué dans sa jeunesse, cameraman à France 3 et rédacteur en chef à RFO Nouvelle Calédonie.Dernière révision le 8 octobre 2024 à 6:43 pm GMT+0100 par
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