Hasard du calendrier, c’est dans le contexte bien particulier de la guerre en Ukraine que se tient l’exposition « Photographies en guerre » au Musée de l’Armée à Paris, événement qui entre en résonance avec « Femmes photographes de guerre » qui a lieu actuellement au Musée le la Libération de Paris.
Depuis plus d’un mois, nous voyons des villes en ruines, des visages où se lit la détresse, une population fuyant les bombardements mais aussi la détermination d’un peuple entré en résistance. Guerre sur le terrain mais aussi guerre des représentations, donc guerre des images qui choquent pour interpeller l’opinion publique et les gouvernants.
L’exposition pose la question de comment décrypter ces images qui nous arrivent dans un flux incessant ? Comment sont-elles produites et comment les percevons-nous ? Quel souvenir en garderons-nous entre compte-rendu objectif des faits et subjectivité du point de vue. Si la photographie peut apporter un indispensable témoignage de la réalité des conflits, elle peut aussi être l’outil d’un puissant soft power au profit d’intérêts particuliers. On sait qu’elle s’interprète en fonction de qui l’a réalisée et comment elle a été diffusée.
Cette exposition propose un éclairage sur l’image en temps de guerre depuis sa création jusqu’à sa diffusion, sa réception et son utilisation, et à travers elle sur la fabrique médiatique de l’histoire.
Depuis quasiment sa création en 1905, le musée de l’Armée s’est voulu à la fois lieu de mémoire et musée de l’Histoire immédiate et a intégré l’image, tout d’abord peinte puis photographique, dans ses collections. Aujourd’hui, l’établissement poursuit une politique d’acquisition et de soutien comme avec Philippe de Poulpiquet qui a photographié les pensionnaires de l’Institution Nationale des Invalides, Éric Bouvet et l’Afghanistan ou Edouard Elias qui a été missionné auprès des unités des forces spéciales françaises en opération. Eclairage sur la fabrique médiatique de la guerre, l’exposition fait dialoguer le passé et le présent en les faisant s’éclairer l’un l’autre.
Les éléments présentés sont multiples : plaques de verre, albums, portfolios, portraits, fac-similés de publications, vues stéréoscopiques, petits et grands formats. Du Siège de Rome (1849) à l’actuelle guerre en Syrie, en passant par la guerre de Sécession, celle de 1870, les deux conflits mondiaux, le Vietnam, la Guerre Froide ou encore les conflits liés à la décolonisation, le parcours réunit plus de 300 documents faisant le récit d’une construction médiatique de la guerre à travers l’image.
Photographes amateurs et professionnels se côtoient, on y reconnait des images iconiques comme « Raising the Flag on Iwo Jima » de Joe Rosenthal voisin de « Le Drapeau rouge sur le Reichstag » d’Evgueni Khaldeï et apparaissent d’autres noms comme Margaret Bourke-White, Lee Miller, Robert Capa, Marc Riboud, Don McCullin, Gilles Caron, Nick Ut, Yan Morvan, Laurent Van der Stockt, Richard Mosse, Émeric Lhuisset, Michel Slomka pour n’en citer que quelques-uns.
Entretien avec Antony Petiteau,
co-commissaire de l’exposition
De quand date l’idée de cette exposition ?
C’est un projet qui est né il y a de nombreuses années, à vrai dire, non pas sous la forme d’une exposition, mais sous la forme d’une politique d’acquisition pour les collections photographiques du musée de l’Armée. On s’est interrogé sur l’existence et sur l’opportunité d’accroître cette collection, notamment vers la représentation des guerres contemporaines. Et ce faisant, on a établi une politique d’acquisition avec une grille d’analyse et une grille de lecture pour faire des choix parmi les photographies produites de façon contemporaine. Et cette grille d’analyse, on l’a étendue à la photographie ancienne. A partir de là, on a souhaité mettre en forme en quelque sorte ce résultat, mais aussi cette perspective pour le musée de l’Armée, dans une exposition qui réfléchirait ainsi aux usages et aux fonctions de la photographie en temps de guerre.
Les photographies présentées font-elles toutes partie de la collection ?
Dans l’exposition, il y a environ 300 photographies, œuvres d’art, documents, photographies issus de pratiques professionnelles et amateurs. Un tiers environ appartiennent aux collections du musée de l’Armée et sont des acquisitions d’œuvres anciennes pour celles de 1896 ou plus récentes acquises vers 2020. Les deux tiers restants, ce sont des prêts réalisés auprès d’institutions partenaires françaises et étrangères ou de collectionneurs privés, mais aussi directement de collaborations auprès de photographes ou d’artistes.
Qu’en est-il des fonds photographiques dont dispose l’armée française ?
Il y a plusieurs organismes qui conservent des photographies. Le premier d’entre eux, c’est l’ECPAD (Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense) qui conserve les images réalisées de façon organique par le ministère des Armées. Il y a aussi le service historique de la Défense au château de Vincennes qui conserve des archives photographiques des trois corps d’armée Terre, Air et Marine nationale, ainsi que d’autres musées comme le musée de l’Air et de l’Espace, le musée de la Marine ou les musées d’armes. En fait, le ministère des armées est un opérateur majeur en termes de conservation de collections photographiques en rapport avec le monde militaire, le monde combattant et la guerre. Mais la spécificité du musée de l’Armée, c’est de collecter, dans une logique raisonnée, des photographies en rapport avec la conflictualité, c’est-à-dire vraiment tout ce qui est guerre. Guerre conventionnelle, mais aussi guerre contemporaine, pratiques amateurs, photojournalisme, réalisations d’artistes. On s’intéresse vraiment à tout le spectre de la photographie, en relation avec tout ce qui a trait aux combats, à la guerre, aux conflits.
Finalement, c’est plus le musée de la Guerre que le musée de l’Armée ?
C’est une vraie question, en tout cas, c’est un musée qui est concrètement et historiquement, celui de l’armée, qui traite de la guerre c’est certain, mais aussi de l’histoire de l’institution et de l’histoire des combattants. Donc c’est vraiment le musée de l’Armée même si la guerre lui reste indissociable à travers son histoire.
D’autres projets à l’avenir en lien avec la photographie ?
La photographie a toujours sa place au musée de l’Armée sous la forme d’expositions temporaires, mais aussi dans l’exposition permanente puisqu’il y a des projets comme Minerve qui sera une extension pour une salle sur l’actualité. Et puis il y a toujours des acquisitions et donc oui, la photographie est désormais au cœur des projets du musée de l’Armée.
Gilles Courtinat
Photographies en guerre
Jusqu’au 24 juillet 2022
Musée de l’Armée, Paris
https://www.musee-armee.fr/au-programme/expositions/detail/photographies-en-guerre.html
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