Mathew Brady, père d’un photojournalisme qui avait déjà voulu en 1863 par ses images faire rentrer « l’odeur de la mort dans les chaumières de la guerre de Sécession » aurait beaucoup aimé assister à cette 29ème édition du Prix Bayeux Calvados-Normandie des Correspondants de guerre.
La chapelle attenante à la Tapisserie de Bayeux résonne du bruit continu des bombardements provenant du fond de l’abside, qui pilonne en fond sonore, le chœur détruit par la photo très grand format, d’une église dévastée à Marioupol.
Dès l’entrée le public, orienté par le signe subliminal d’un survivant, est invité à marcher dans l’image à même le sol, au milieu des gravats, d’une destruction publique et ainsi mieux symboliquement se transférer sur place, seul. Le public est sous l’effet d’une très perceptible émotion. Une exposition multimédia à l’origine d’une unanimité spontanée. Seul, le public se réfugie dans le silence d’un recueillement très visible, en particulier auprès des lycéens, collégiens ; comme saisis par l’évidence des horreurs révélées et vécues par Evgeniy Maloletka, photographe et Mstyslav Chernov cameraman à Associated Press. Ils sont les lauréats des Grands prix Photo et Vidéo. Jérôme Delay, photographe d’Associated Press, très reconnu également, est le brillant commissaire de cette exposition, avec l’aval et d’Aurélie Viel et du Conseil Municipal unanime. Jérôme Delay en avait rêvé. Bayeux l’a fait. Et réciproquement !
Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka ont réussi à échapper à la traque de l’armée russe pour nous restituer la résistance du peuple ukrainien lors du siège de Marioupol. La femme enceinte blessée sur une civière en provenance d’une maternité bombardée traverse un décor d’apocalypse. Elle est comme trop d’images exceptionnelles gravées dans la mémoire d’un public plus présent que jamais à Bayeux. Très assidu à toutes les soirées et débats animés avec toujours la même ferveur, et passion par Eric Valmir expert en références historiques et entouré des meilleurs témoins au chevet des catastrophes et menaces savamment décryptées.
« Si certains ont pu douter de l’utilité du Prix Bayeux, cet inlassable retour du pire, vient à mes yeux renforcer sa pertinence » confirmait le maire de Bayeux, Patrick Gomont en poursuivant : « Dans ce flot d’images, ces renforts de propagandes, offrir quelques jours de répit aux reporters et au public pour prendre du recul, réfléchir, se rencontrer, prend tout son sens. Organiser le Prix Bayeux chaque année est une tentative de réponse. Rendre hommage, supporter, donner la parole aux reporters qui prennent des risques pour dire l’innommable, photographier l’invisible, établir des preuves de crimes de guerre, est un engagement. »
« Ne pas permettre que cela se déroule dans l’ombre des consciences », comme l’a si joliment dit Madame Leclerc-Imhoff, jeudi au Mémorial des reporters où est désormais inscrit le nom de son fils Frédéric, journaliste à BFM TV et dont l’armée russe a « pris la vie ».
2023, les trente ans du Prix Bayeux
Un Prix d’obédience internationale qui, à la veille de son 30ème anniversaire a plus que le mérite d’exister. Comme l’a évoqué Patrick Gomont, maire de Bayeux depuis 2002, ville devenue incontournable en octobre de chaque année.
« Créé pour le 50e anniversaire du Débarquement ; né pendant la guerre en ex-Yougoslavie, le Prix Bayeux approche de la trentaine en pleine guerre russo-ukrainienne, un conflit régional devenu mondial, à un millier de kilomètres de la frontière française. L’Histoire bégaie. Sous nos yeux incrédules, la guerre de haute intensité a ressurgi en Europe.
Elle est en toile de fond et a un impact sur la vie quotidienne des Européens. Au-delà du récit des combats et des décomptes macabres, ce conflit a ressuscité des problématiques oubliées depuis la fin de la guerre froide : annexions, conventions bafouées, menace nucléaire, transformation d’un président en chef de guerre et d’un dirigeant autoritaire en « Petit Père des Peuples ».
Pour nous faire pénétrer, tous publics confondus, jeunes et moins jeunes au cœur des évènements omniprésents sur l’écran géant du pavillon de la Place Gauquelin Despallières à Bayeux. Jean -Léonce Dupont, Président du Conseil départemental du Calvados l’a souligné avec émotion lors de la soirée de remise des Prix en évoquant « ces rencontres annuelles, ces échanges de complicité, de doutes, d’espoirs de questionnement, en lisant les écrits qui interpellent, en regardant des images qui transpercent, en visionnant bien d’autres, dont on aurait souhaité qu’elles ne puissent jamais exister »
Autant qu’à travers toutes les expositions mises en place dans la ville pour succéder au premier grand reportage qu’est déjà la « Tapisserie de Bayeux » sur la bataille d’Hastings.
Dans la hiérarchie du parcours émotionnel que provoquent les visites des expositions du Radar avec Edouard Elias et Abdulmonam Eassa au Soudan (« Ne pleure pas, c’est notre patrie » jusqu’à Port-au-Prince « Dans la vie au gré des gangs » initialisée par Médecins sans frontières et un collectif de photographes.
A même les murs de la ville devenus depuis quelques années les cimaises extérieures de témoignages bouleversants sur les drames qui sont le quotidien de populations de Kaboul par Kiana Hayeri à Port- au-Prince ou à Kiev « Pour une Guerre de trop » très explicite dans les reportages d’Aris Messinis photographe de l’Agence France Presse.
Avec une immersion dans le temps, pour découvrir la puissance du réel remarquablement traité dans l’Hôtel du Doyen en parcourant l’exposition d’un photographe jusqu’alors masqué, Albert Londres. Hervé Brusini est visiblement très heureux d’avoir réussi cette révélation non seulement pour toujours « porter la plume dans la plaie » mais l’œil dans la vérité d’une image.
Images multiples qui font de Bayeux une autre cathédrale de toutes les urgences, de tous les constats visuels au service de nous tous fidèles parmi les fidèles, dans le respect de l’être révolté cher à Albert Camus. A la tête de cette remarquable partition journalistique, Aurélie Viel légitime cheffe d’orchestre, qui manie sa baquette avec une passion partagée par son équipe, afin d’aboutir à une programmation exceptionnelle, toujours en phase avec les actualités les plus percutantes du moment.
En solidarité pour toutes les consœurs et tous les confrères au nombre de 12, victimes de la guerre en Ukraine. Avec le sens permanent et percutant de la répartie qui est le sien, Patrick Chauvel, figure emblématique du Prix Bayeux, témoigne : il n’y a pas photo. « J’ai autre chose à faire que du jardinage pendant que tout cela se passe. »
Alain MingamDernière révision le 9 octobre 2024 à 9:59 am GMT+0100 par
- Marion Mertens
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