Florence Cousin, journaliste licenciée du quotidien Libération a entamé sa quatrième semaine de grève de la faim avec occupation du hall du « journal de Jean-Paul Sartre » sans que les journalistes et les lecteurs ne s’offusquent outre mesure. « Elle est nulle, nulle ! » s’est écrié, mardi 3 mars, hors de lui, mais devant elle, Laurent Joffrin, le PDG.
Ce mardi 3 mars, à Paris, il fait un bel après midi et je décide d’aller voir par moi-même ce qui se passe dans le hall de ce quotidien qui, comme pour des milliers d’autres, fut, il y a longtemps, « le mien ». Tout est calme au 11 rue Béranger où, après déjeuner, rentrent et sortent, connus et inconnus qui passent sans mot dire devant une femme allongée sur un matelas sous un panneau « Grève de la faim » et une « Une » de Libération titrée fort à propos : « Passion ».
Il y a autour de Florence Cousin deux femmes qui se révèleront être des militantes de l’UD-CGT Paris « venues en voisine » et deux hommes, des confrères, très inquiets pour la santé de la journaliste licenciée.
Son histoire est beaucoup plus simple qu’il n’y parait dans les trop rares articles qui sont consacrés à ce conflit. Florence Cousin est arrivée à Libération en 1984, comme aide comptable; puis elle est devenue comptable d’une filiale avant de se retrouver au service photo dix ans plus tard. Elle y reste deux ans. C’est la fin des fantaisies de Libé III et elle est mutée assistante de rédaction ce qui ne l’empêche pas d’éditer des pages régionales et des cahiers de festival d’été.
En 2000 enfin, elle fait une formation de secrétaire de rédaction et travaille à la partie guide du journal. Le guide maigrit à chaque parution. On veut la renvoyer « à la photo ». Elle refuse. On l’envoie « à la doc »… Bref, au gré des crises et des errements de la direction de ce quotidien, Florence Cousin est ballottée, précédée d’une de ces réputations taillées à la serpe, comme les rédactions en sont trop friandes : « Elle est nulle et syndiquée CGT… » En plus elle vient de « l’administration »… Ajoutez à cela une longue maladie… Elle est, comme l’a si bien écrit Dominique Conil dans son blog: « le maillon faible ».
Un maillon faible, c’est ce que cherche tout patron qui a dans ses cartons une vague de licenciements qui ne veut pas dire son vrai nom de plan social. Florence Cousin, malgré ses vingt-cinq ans « de maison », semble être le bon mouton noir. Elle est journaliste depuis peu. Elle ne sort pas du bon sérail. Elle est passée par plusieurs services et n’a donc pas un réseau puissant pour la soutenir. On commencera donc par elle.
Dégraisser le mammouth
Hélas, pour Laurent Joffrin et ses hommes, chargés de « dégraisser le mammouth », le maillon faible à la tête dure. Elle résiste, trouve quelques appuis, pas toujours les meilleurs… Et c’est le bras de fer.
J’en étais là de ma compréhension du dossier. Somme toute assez classique d’une PME en crise, quand alors que nous conversons tranquillement sans gêner en rien les allées et venues dans le hall, arrive Laurent Joffrin.
« J’en ai marre de ce bordel… », se met-il aussitôt à hurler. « Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? », vocifère-t-il et, sans même attendre la réponse des présents – nous ne sommes plus que trois – « Dehors ! Je suis le PDG de ce journal. Vous êtes chez moi. Sortez ou j’appelle la police… » A la vue de mon appareil photo, il hurle « Toi pas de photo ! ». Je rétorque que ma qualité de journaliste m’oblige à « couvrir » ce qui se passe. Il se tourne alors menaçant vers les deux femmes, secoue leurs chaises pour les obliger à se lever et les repousse vers la sortie *. Reviens chercher le manteau de l’une. Cours lui jeter dehors… « Toi tu peux rester. » me dit-il. Incompréhensible..
Alerté, arrive à ce moment-là le secrétaire du comité d’entreprise et la déléguée CGT du personnel qui tentent de raisonner le directeur de la rédaction Pour toute réponse ils se font traiter de « Crétins ! »… Le débat vole à une altitude où toute personne sensée manque d’oxygène. Finalement, au bout d’un bon quart d’heure d’insultes, Laurent Joffrin PDG de Libération, directeur de la rédaction semble retrouver un peu de calme, et maugréant qu’il en « a marre de tous ces gens », prend l’ascenseur vers son bureau…
Tous le monde se rassoit et les conversations reprennent sur le ton normal des échanges d’idées. « Je ne céderai pas », me dit tranquillement Florence Cousin. « Il croit que tout s’achète et qu’en faisant miroiter de faux chiffres, il va m’avoir. Mais aujourd’hui, contrairement à ce qu’il dit, en tout et pour tout, je n’ai que mes indemnités légales soit 26.000 Euros. Et j’ai 48 ans… »
A ceux qui se demandent pourquoi Florence Cousin n’a pas plus de soutien au sein des rédactions, je réponds : conformisme et peur du chômage ! A ceux qui se demandent pourquoi Florence Cousin n’a pas plus de soutien à l’extérieur de Libération, je réponds : Clavel, Sartre, Foucault sont morts et leurs enfants naturels passés avec armes et bagages de l’autre côté de la barricade.
Quant au soit disant « comité de soutien » créé par un revanchard aigri de Libé, il l’enfonce par ses outrances, plus qu’il ne l’aide.
Voila les données du drame, qui se joue rue Béranger, à Libération, où Maurice Clavel, Jean-Paul Sartre, Michel Foucault ont éteint « les lumières » en partant.
Michel Puech
3 mars 2009
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