En 1973, Hubert Henrotte crée Sygma après avoir fondé Gamma. Goksin Sipahioglu fonde Sipa Press. C’est le déclin ou la mort des agences de presse d’après-guerre qui ont été le creuset ou s’est forgé le photojournalisme des « trois A ». Aujourd’hui, nous apportons une nouvelle contribution à l’histoire de ces agences photo qui ont fait la réputation de Paris.
Le 15 juin 1953 [1] Lova de Vaysse, un patronyme de presse, fonde l’agence de presse [2] Les Reporters Associés. Lova de Vaysse de son vrai nom Vladimir-Lev Rychkoff-Taroussky [3], se dit descendant de russes blancs émigrés à Paris après la guerre de 1914 et serait, selon ses dires, petit-fils de prince russe.
Lova de Vaysse crée l’agence avec Renaud Martinie, administrateur-comptable et le journaliste photographe André Sonine. Lors de sa demande d’adhésion au Syndicat national des agences de presse (SNAP), le 3 décembre 1953, dans un courrier, l’agence se présente comme « agence de reportage photographique et de reportage texte. [4]» Elle va couvrir l’actualité française et internationale jusqu’au 15 septembre 1971 [5].
L’agence est installée dans 60 mètres carrés dans une superbe villa louée à un couple d’amis de Lova de Vaysse : Roby Davis et Andrée Daidy-Boyer. Andrée Boyer est l’imprésario de Django Reinhardt, Dizzy Gillespie, Charles Trenet, Henri Salvador, Gilbert Bécaud, Mistinguett, Tino Rossi, Mouloudji, Edith Piaf, Charles Aznavour, Roger-Pierre et Jean-Marc Thibaut… Elle sera connue sous le pseudonyme de « Mamy Scopitone [6]» et fondera la société des Productions Davis-Boyer gérée aujourd’hui par Katherine Rychkoff, la fille de Lova de Vaysse.
En 1954, Louis Le Roux [7] a vingt ans quand il est embauché par Lora de Vaysse comme laborantin [8]. « Lova de Vaysse est toujours bien habillé : costume cravate ou veste de tweed un peu sport, souvent assez clair, chaussures vernies [9]…/… Je ne me souviens plus des premières images tirées dans la « cabane-labo » des Reporters Associés, car ce qu’on appelle le labo est alors une petite pièce de 2 m sur 2,20 m ! Une vraie cabane. Il y a quand même une petite ouverture avec malheureusement un rideau qui laisse passer la lumière indésirable. Au labo, il faut travailler dans le noir absolu ! Sur une table bricolée tout en longueur, il y a trois cuvettes : une pour le révélateur, les autres pour le rinçage et le fixage des photos. Pas de vidange, il faut transporter les cuvettes et les verser dans un évier dans lequel se fait également le lavage des photos. Dans la même pièce, trois petites cuves de huit litres permettent le développement des films de prises de vue. En face, un agrandisseur en bois datant d’avant la guerre de 1940… L’Impérator [10], cet auguste appareil est accroché au mur au-dessus d’une planche de travail. C’est un engin obsolète mais qui fait malgré tout de beaux tirages. Il reste un petit espace pour se mouvoir à l’intérieur de la pièce. L’éclairage inactinique se fait avec une lampe au sodium. En sortant du laboratoire, à gauche, il y a une glaceuse plate pour sécher les photos qui sortent sur papier brillant, une table pour étaler les photos, quelques étagères pour l’archivage. Voilà l’agence que je découvre ! Ce n’est pas génial, il va y avoir du boulot. A droite de cette pièce se trouve la chambre à coucher de Lova et Jacqueline de Vaysse, et en face, un couloir donnant sur leur cuisine et leur salle de bain. Sous la véranda qui m’a accueilli : une table, un bureau, une machine à écrire pour que Jacqueline de Vaysse tape les textes, et, où travaille Renaud Martinie le comptable-vendeur. Derrière le bureau, sous une échelle de meunier il y a un petit lit pour Katherine la fille du patron et au-dessus une petite loggia où elle peut étudier ! La famille de Vaysse couche dans ce même local ! Leur chambre est voisine de la petite cabane du labo. Comme on travaille aussi bien la nuit que le dimanche, si j’arrive tôt le matin, je les trouve couchés ! Ce n’est pas grave. C’est la vie de bohème ! Mais je n’ai jamais entendu la famille se plaindre. Ils vivent, dînent, dorment sur leur lieu de travail… »
Les années 1950, du Gaumont au Rolleiflex
« Au milieu des années 1950, les photographes d’agences de presse travaillent presque tous au Rolleiflex, toutes les photos sont alors en noir et blanc. La couleur, peu employée existe avec le film Kodachrome [11]. C’est également le début des films Ektachrome qui vont devenir plus tard le format des professionnels. Mais les journaux impriment surtout en noir et blanc. Ces premières années l’agence couvre les évènements français et européens. Les voyages en avions sont encore très chers. »
« Partir en reportage avec Lova de Vaysse, c’est l’aventure ! D’un coup, à 7 heures du soir, il se décide : « tu viens on part à la montagne… » se souvient Louis Le Roux. Les exploits d’alpinistes font alors la Une de Paris Match « Je n’ai pas le temps d’aller me changer, pas de valise, on monte dans sa voiture une Frégate Renault et en route. Il aime rouler la nuit, moi je ne conduis pas. A 4 heures du matin, c’est son habitude, il s’arrête au bord de la route et s’endort jusqu’au lever du jour. Nous sommes en hiver, il fait nuit noire mais on arrive à pied d’œuvre au petit matin ».
Pour partir en reportage, il faut une voiture et de l’essence. Et en 1956, alors que la crise du canal de Suez bat son plein, Lova de Vaysse fait une demande d’autorisation de circulation pour deux véhicules qui « font plus 5 000 km pour des reportages en France et à l’étranger ». Il précise que « la Frégate 8181 FC 75 transporte le matériel et les films sur place, dont le poids exclut tout autre moyen de transport [12]».
Vu la demande de 1 200 litres d’essence, le SNAP demande des précisions sur les reportages. Le 2 décembre 1956, Lova de Vaysse répond :
« Pour vous donner un exemple plus concret voici, pour le dernier mois, les déplacements importants effectués par les véhicules de l’agence :
- Paris – Tübingen et retour : 1600 km (Mariage de Marie-Thérèse de Wurtemberg chez elle)
- Paris – Lausanne (deux fois) 3 000 km (Avant et après la naissance du fils d’Ira de Fürstenberg)
- Paris – Bilbao et retour 2 200 km (reportage Erauquin, nouvelle méthode de lancement du javelot)
- Paris – Stuttgart, Zurich, Altshausen, Zurich et retour 3 500 km (Fiançailles officielles du Dauphin de France et de Marie-Thérèse de Wurtemberg).
Et actuellement nous projetons un reportage en Dordogne qui oblige au déplacement d’un important matériel et ne pouvons l’effectuer maintenant par manque d’essence. Pour se reporter aux cinq derniers mois, depuis l’achat de la Frégate, le compteur marque plus de 3 000 km pour cette seule voiture, la deuxième est dans un cas identique. Il faut également souligner que, même avant la situation actuelle la restriction de roulage s’opérait automatiquement du fait que ce moyen de transport est d’un prix de revient le plus onéreux. Ainsi par exemple, pour les reportages sur les évènements de Hongrie, nous nous sommes rendus à Vienne par avion. »
Nous ne savons pas si Les Reporters Associés ont obtenu les 1 200 litres d’essence qu’ils espéraient.
L’ambiance aux Reporters Associés est familiale et paternaliste : « Pas de pointeuse à l’agence bien sûr, pas d’horaires non plus, mais il faut être là le jour, la nuit, le samedi, le dimanche et les jours fériés si besoin. Tout se fait en confiance, mais si je veux partir huit jours en récupération il suffit de prévenir… » Les reportages ne sont pratiquement jamais signés du nom du photographe, le recadrage des images est systématique souvent en raison du format carré du Rolleiflex alors que les publications se font soit en hauteur pour les couvertures, soit en largeur pour les doubles-pages. Louis Le Roux deviendra donc un artiste de l’agrandisseur et de la netteté des agrandissements. Il se souvient par exemple « d’un reportage pendant la guerre d’Algérie où grâce à un énorme agrandissement apparaissent des « fellagas [13] » qui se cachent et s’enfuient dans la nature. Lova de Vaysse avait senti qu’il y avait un petit quelque chose dans un coin de l’image. La série de photos paraît dans Paris Match !
Les pellicules, des film 120, une fois développées et séchées sont coupées par bande de quatre vues et le laboratoire fait des planches-contact qui portent le nom de l’agence mais rarement celui du photographe. Films et planches-contact sont archivés par ordre chronologique d’arrivée à l’agence. Selon Louis Le Roux, « pour Renaud Martinie, le comptable-vendeur, qui s’en occupe et range quelques photos dans des boites, ça prend de la place et ça se vend peu. Le plus gros du chiffre d’affaires se fait à l’arrivée du reportage en vente directe et en exclusivité aux plus grands magazines. Les négatifs sont rangés dans un petit meuble ou dans des boites de photos vides. Les tirages sont au départ au format 18×24 cm ou 24×30 cm sur papier de la marque Lumière. »
A partir de 1955, l’équipe des reporters photographes est constituée de Lova de Vaysse, Claude Rodriguez, Jacques Florent, Jacques Blot, Louis Le Roux, Martin et Dimitri Sorokine.
En décembre 1957, Lova de Vaysse déclare à la Fédération française des agences de presse (FFAP) (ndlr: qui succède au SNAP) que l’agence emploie deux journalistes d’environ 40 ans à plein temps, qui sont syndiqués mais on ne sait à quelle centrale, deux journalistes pigistes réguliers et de « nombreux occasionnels ». Le reste de l’équipe se compose de deux cadres administratifs, un cadre technique de 23 ans, un employé de 29 ans.
Les difficultés ne manquent ni pour partir en reportage, ni pour diffuser la production ensuite. Un exemple, à propos d’un mariage de la plus haute importance à l’époque pour les hebdomadaires européens : celui du prince Henri d’Orléans, fils du Comte de Paris, qui épouse Marie-Thérèse de Wurtemberg, à la mairie de Dreux d’abord, puis dans la chapelle Royale Saint-Louis, nécropole de la famille d’Orléans. « Le samedi 6 Juillet [14], vers 19 heures, nous avons remis quatre enveloppes express de photos de presse contenant le reportage sur le mariage du fils du Comte de Paris. Ces paquets ont été timbrés par vos services à 21h. Ils étaient destinés aux journaux De Post à Anvers, Quick à Munich, Revue à Munich et Frankfurter Illustriet à Frankfort-sur-Main. Le lundi 8 Juillet, après avoir été informés téléphoniquement par ces différents journaux que les envois n’étaient pas parvenus, nous avons pu récupérer chez vous, vers 10h30 du matin, nos expéditions qui avaient été oubliées dans un sac postal le samedi soir. Il est inutile de vous dire que cette affaire nous cause un très grave préjudice financier que nous estimons à 500 000 Francs (1 million d’Euros de 2020). » L’affaire est d’autant plus grave que Les Reporters Associés avaient été désignés comme représentant les autres agences de presse dans le pool chargé de couvrir l’intérieur de la chapelle pendant la cérémonie religieuse du mariage ! Lova de Vaysse précise à son interlocuteur Central Aviation, un service des PTT, qu’il tient à sa disposition « les enveloppes timbrées par vos services et les frais du collaborateur qui a acheminé le reportage par hélicoptère à Anvers » !
Les pools sont une source constante de contestation et cela va durer dans le temps… En janvier 1957, par exemple, Lova de Vaysse se plaint auprès du Président du Comité de liaison de la Presse qui gère l’attribution des pools. Les Reporters Associés se sont vu attribuer le pool pour la presse hebdomadaire au mariage d’Hélène de France et du Comte de Limbourg-Styrum.
« Un hebdomadaire s’est étonné auprès de nous qu’une autre agence, non membre des pools, ait pu lui proposer, en exclusivité, les photos faites à l’intérieur de la Chapelle de Dreux où seuls les pools agissaient normalement. Cet hebdomadaire, qui a d’ailleurs immédiatement acheté le document, nous a fait part de son anxiété qu’une erreur ait pu se produire chez nous et qu’un certain nombre de photos aient été détournées de leur destination première, c’est-à-dire retirées du pool pour être vendues comme documents exclusifs. Ce n’est naturellement pas le cas. Il nous faut cependant signaler à la Commission la manière dont de pareilles choses se produisent. Les reporters et techniciens des différentes radios et télévisions possèdent pour la plupart des appareils photographiques. Une fois leur installation faite, ils profitent de leur présence sur les lieux réservés aux pools pour exécuter de nombreux clichés. Tant que ceux-ci étaient exécutés à titre de souvenirs d’amateurs, ils ne présentaient aucun danger. Mais maintenant ces documents sont mis régulièrement sur le marché et vendus soit par le truchement d’une agence, soit par contact personnel avec une rédaction. »
Et, le patron des Reporters Associés de réclamer que soient données des instructions aux personnels des radios et télévisions… Le smartphone n’était pourtant pas inventé !
Les années 1960, l’apogée des Reporters Associés
A partir de 1960, Les Reporters Associés couvrent tous les grands évènements. C’est l’époque où Paris Match et Jours de France « se tirent la bourre ». Les Leica, les Pentax, les Nikon, les Canon imposent les films 35 mm. Fini les Rolleiflex. Il y aura de moins en moins besoin de recadrage des photos. Le cadrage sera fait directement par les photographes grâce au changement d’optique. D’ailleurs les photographes n’aiment généralement pas trop qu’on recadre leur prise de vue. Henri Cartier-Bresson a fait école !
A l’époque de l’argentique, dans les années cinquante, n’était pas photographe qui voulait. Il fallait commencer par le travail au laboratoire. Jusqu’aux années soixante aucun appareil n’était entièrement automatique, c’est pourquoi le passage par le laboratoire constituait un excellent apprentissage pour la prise de vue. Ce cursus, va disparaitre lentement mais sûrement durant les années soixante et soixante-dix. Avant les boitiers avec cellule incorporée, le photographe devait juger du réglage de l’appareil de prise de vue par rapport à la lumière ambiante et à la sensibilité du film ou de la pellicule qu’il utilise. La valeur du photographe était vite évaluée ! Les magazines, surtout Paris Match, mais également les quotidiens – en particulier France-Soir ont des reporters photographes attitrés et des laboratoires performants.
Le début des années soixante est une période faste pour Les Reporters Associés. Lova de Vaysse signe un important contrat pour trois ans avec le grand hebdomadaire allemand Stern. En 1961, Pierre Menochet, un journaliste qui a fait ses débuts pendant la guerre d’Algérie est à Paris. Il a rendez-vous avec son ami photographe Jean-Baptiste Ferracci qui doit se présenter à Lova de Vaysse. Jean-Baptiste Ferracci revient bredouille au café où l’attend Pierre Menochet. « ça n’a pas marché pour moi, il cherche un rédacteur, vas-y ! » Menochet va immédiatement voir Lora de Vaysse qui l’embauche sur le champ !
« Le premier jour, j’ai travaillé toute la nuit ! [15]» Pierre Menochet restera dix ans aux « RA », comme disent les anciens de l’agence. Depuis leur service militaire en Algérie, Il est ami avec le photographe Alain Dejean et il le fait venir. Il accueille également Göksin Sipahioglu lorsqu’il arrive à Paris. Ils passent toute la nuit à discuter. Le futur créateur de Sipa Press avouera « Je ne la voyais pas comme ça ma première nuit à Paris ! ».
Monique Kouznetzoff se souvient également de l’arrivée de Sipahioglu aux Reporters Associés « Il arrivait d’Albanie ». Elle est entrée par hasard aux Reporters Associés en faisant, le matin, un petit job d’été pour Andrée Daidy-Boyer. Elle traversait l’agence et trouvait l’ambiance agréable alors l’après-midi elle commence par travailler bénévolement jusqu’au moment ou Lova de Vaysse l’embauche en même temps que Jean Monteux, Léonard de Raemy et une jeune allemande Helga Luns.
« On travaillait énormément et j’avais du mal à me faire payer. » se souvient Pierre Menochet « Un jour je suis tombé évanoui à l’agence : ambulance, hôpital… A partir de cet incident, Lova de Vaysse m’a déclaré à la Sécurité Sociale et m’a fait des fiches de paie en bonne et due forme. »
Pierre Menochet va également accueillir Jean Desaunois qui arrive de la cour du Shah d’Iran. Menochet et Desaunois vont constituer un tandem qui va durer non seulement le temps des Reporters Associés, mais plus tard à l’agence Imapress (Voir notice). Jean Desaunois amène ses relations avec la cour d’Iran, Pierre Menochet « jardine » la famille de France… L’agence va couvrir toutes les têtes couronnées d’Europe pour Paris Match, Ici Paris, Point de Vue, Noir et Blanc.
Le succès permet à Lova de Vaysse d’agrandir l’agence, toujours dans la villa de l’avenue Frochot, et d’installer un laboratoire digne de ce nom pour le plus grand bonheur de Louis Le Roux devenu le chef du labo, titre qu’il gardera toute sa carrière quand il passera des « RA » à Sipa Press.
« A l’agence, avant l’arrivée de Pierre Menochet, il n’y a pas de rédacteur ou rarement, en revanche les légendes sont très importantes. C’est le travail du photographe qui doit rapporter les éléments pour les rédiger. Au début les légendes étaient tapées par Jacqueline de Vaysse sur un simple papier puis découpées et collées derrière le tirage… Par la suite les textes sont ronéotypés à l’alcool directement sur la photo, avec pas mal de dégâts, de bavures et de ratés au début. En plus, quand les photos tombaient les unes sur les autres elles se tachaient entre elles. A partie de 1965, je découvre que de petites machines offset peuvent imprimer les textes et légendes directement au dos des photos. Il n’est pas rare que chaque reportage expédié comporte entre 20 et 30 photos par reportage tirées pour vingt pays différents et qui doivent partir le soir même par avion ou par le train. Les textes sont succincts mais les photos parlent généralement d’elles-mêmes. Jusqu’à présent toutes les photos sont en noir et blanc. Mais, voilà la couleur ! Le film Kodachrome existait mais était peu employé en presse du fait d’un temps de développement trop long. Il faut expédier les films soit en Allemagne, soit aux Etats-Unis… Il ne pouvait être utilisé que pour les reportages magazines, pas pour l’actualité pure. L’Ektachrome[16] de Kodak fait son apparition, il est développé à Paris par deux laboratoires Central Color et Labo Color. Les prises de vue en couleur sont surtout réservées pour les couvertures de magazines. Le problème de l’Ektachrome c’est que la bonne photo, le scoop, est unique. Comment faire pour partager le scoop entre tous les magazines qui le veulent tous tout de suite pour leurs bouclages ! J’étudie ce problème, il faut réussir à faire des duplicatas, mais des duplicatas de qualité. [17]»
Des cours royales au tribunal de commerce
« Lova de Vaysse parle couramment quatre langues, le français, l’anglais, l’allemand, et le russe. Je l’entends dire : « Güten tag fräulein Paupitz » et je sais qu’il appelle le magazine Stern. En Belgique notre représentant est Ben Vandoorne [18], un grand bonhomme jovial qui vient fréquemment à Paris. En Allemagne notre correspondant à Stuttgart est l’agence Pandis…/…. L’agence avait déjà couvert, en octobre 1956, les fiançailles du Comte de Clermont, Henri d’Orléans, avec Marie-Thérèse de Wurtemberg au château d’Altshausen dans le Bade-Wurtemberg (Allemagne). Plus tard en mai 1962, les Reporters Associés couvrent également le mariage de Sophie de Grèce avec Juan Carlos d’Espagne à Athènes… Les évènements princiers font toujours recette. Le 2 juillet 1959, pour le mariage du prince Albert de Liège avec Paola Ruffo di Calabria, l’agence travaille alors en pool avec l’agence Dalmas et celle de Raymond Darolle, Europress. Le reportage a été développé, monté et diffusé depuis la Belgique.[19]»
Avec l’arrivée de Jean Desaunois et ses contacts en Iran, l’agence couvre tous les évènements royaux et devient une source incontournable pour Paris Match, Jours de France, Point de Vue, Noir et Blanc et la presse étrangère. La renommée des Reporters Associés attire une nouvelle équipe de reporters.
Outre Jean Desaunois devenu associé et futur patron de l’agence Imapress, Gérard de Villiers [20] travaille de temps en temps. Il n’est pas encore l’auteur des romans d’espionnage SAS. Autre personnage, Hubert Le Campion [21]. Il a raconté sa rencontre avec Lova de Vaysse pour un ouvrage « Souvenirs de reportages », jamais publié mais cité par Louis Le Roux dans ses souvenirs :
« Je suis à Paris, j’attends un grand coup depuis des semaines. Le coup ce sont les barricades à Alger[22], je pars à mes frais. Je prends un aller simple sur un Breguet Deux-Ponts[23] de nuit, le moins cher possible. Il me reste 200 francs en poche. A Orly, une Caravelle arrive d’Alger. J’aborde un passager qui descend de l’avion. Il me regarde avec suspicion. J’apprendrai plus tard qu’il a des négatifs plein ses chaussettes ! Il accepte de prendre un verre au bar de l’aéroport. Il se présente, Lova de Vaysse, directeur de l’agence Reporters Associés. Il me dissuade de partir, mais devant mon attitude décidée, il me donne 200 francs (ndlr : 447€). Je double mon capital. Il me dit de prendre la chambre qu’il a gardée à l’hôtel de Genève à Alger et de lui envoyer mes photos. Il me laisse sa carte que je serre précieusement dans mon portefeuille. Je la relirai sans cesse dans l’avion pour la mémoriser. Je sentais que c’était ma chance. J’ai travaillé comme un frénétique pendant 15 jours… »
A l’époque il y a aussi Philippe Le Tellier [24], Alain Dejean, Henri Bureau, Pierre Vautey, Léonard de Raemy, Jacques Burlot, Manuel Bidermanas, Jean-Pierre Fizet, Jean-Pierre Laffont, Pierre Bernasconi, Gérard Leroux, Bertrand Laforêt et deux italiens Giancarlo Bonora et son compère Umberto Guidotti. Philippe Charliat [25] collabore quelque temps avant de donner ses images à Rapho. Il y a également Jean-Pierre Thévenin qui habite Nice et couvre les évènements sur la Côte d’Azur, un breton de Lannion Jean-Yves Marrec qui couvre le mouvement des indépendantistes bretons.
Renaud Martinie quitte Les Reporters Associés avec Monique Kouznetzoff et quelques photographes pour fonder l’agence Vizo. Il est remplacé au commercial par George Fargette.
Arrive alors une autre vague de photographes. Alain Noguès qui arrive en 1966 se souvient:
« c’était une agence très tournée vers les familles royales « Avec Desaunois, je suis allé chez les Montpezat. On avait loué un avion pour faire l’aller-retour Paris Nîmes car Henri de Laborde de Monpezat, qui n’était pas encore Henrick, allait se fiancer avec Margrethe, la future reine du Danemark. Je faisais des photos à la Linhof Technika. J’ai fait beaucoup de choses avec les « RA », comme le voyage du Général de Gaulle au Québec ! C’était quand même une agence qui était très réactive. [26]»
Au laboratoire, Louis Le Roux embauche Gilbert Regazzi et Gérard Lamade puis Michel Giniès et Jean-Gabriel Barthélémy qui deviendront photographes.
Comme pour Dalmas et APIS, les évènements du printemps 1968 vont marquer le début de la fin. Certes l’agence couvre toujours les stars du showbiz : Joséphine Baker, Brigitte Bardot, Dalida et les festivals de Cannes, les grands tournages de films… Durant l’été 1969, Lova de Vaysse organise un grand pique-nique dans sa maison de campagne, à Blaru. Toute l’agence et de nombreux amis sont invités dont beaucoup sont déjà partis rue Auguste Vacquerie où s’est installée l’agence qui monte : Gamma. En 1971, la société des Reporters Associés dépose son bilan.
« Le fonds photographique est repris au tribunal de commerce par l’agence Gamma pour 5000 Francs.[27] »
Gamma, puis Sygma et Sipa Press sont les héritiers des Reporters Associés, de Dalmas et d’APIS, sans oublier quelques autres « petites agences » dont nous reparlerons.
Voir la fiche de l’agence de presse Les Reporters Associés
Notes
- [1] Date précisée dans la demande d’adhésion au SNAP le 2 décembre 1953. Source : Archives de la FFAP
- [2] Agrément de la CPPAP de 1962 à 1973 – Membre de la FFAP
- [3] Katherine Rychkoff fille de Lova de Vaysse, courrier avec l’auteur.
- [4] Demande d’adhésion au SNAP du 3 décembre 1953. Source : Archives FFAP
- [5] Date précisée dans le courrier adressé à la FFAP par Lova de Vaysse le 9 décembre 1971
- [6] Les Scopitones sont des appareils généralement installés dans les cafés qui, dans les années 1960, permettaient de voir et d’entendre des vidéos de chanteurs alors que la télévision était peu répandue.
- [7] Louis Le Roux, est un technicien de laboratoire photo qui a travaillé pour les RA puis est devenu le chef du laboratoire de l’agence Sipa Press
- [8] Louis Le Roux, entretien avec l’auteur – mars 2013
- [9] Louis Le Roux, souvenirs des Reporters Associés publié dans le blog de l’auteur A l’œil en mars 2020.
- [10] Les agrandisseurs Impérator conçus dans les années 1930 étaient fabriqués par la maison Houppé à Chelles (Seine-et-Marne). Il s’agissait d’agrandisseurs en acajou ou en noyer allant du format 24 x 36 mm au 20 x 25 cm.
- [11] Le Kodachrome est un film inversible couleur qui fut produit par la firme américaine Kodak pour le cinéma. Il fut breveté en 1915 par J.G Capstaff. Inventé par Léopold Godowsky et Leopold Mannes, il est introduit en 1935 en format 16 mm pour le cinéma puis au format 35 mm pour la photographie. La production a été arrêtée le 22 juin 2009, après 74 ans de fabrication et après qu’elle eut conquis le titre de pellicule couleur la plus vendue au monde. Le 30 décembre 2010, l’unique laboratoire traitant encore les films Kodachrome, Dwayne’s Photo Service, a cessé d’assurer ce service.
- [12] Lova de Vaysse, courrier du 1er décembre 1956 au SNAP
- [13] Combattants partisans de l’Algérie indépendante (1954-1962).
- [14] Courrier de Lova de Vaysse au directeur de Central Aviation du 9 juillet 1959 avec copie au SNAP. Source : Archives FFAP
- [15] Pierre Menochet, entretien avec l’auteur le 28 janvier 2019
- [16] L’Ektachrome a été inventé en 1940 mais depuis les années 1950, il est possible à de petits laboratoires professionnels de s’équiper pour le développement Au fil du temps, le procédé a évolué de l’E-1 à l’E-5 puis au traitement E-6. L’autre intérêt est de pouvoir faire des bandes test : développement de quelques vues en début de bobine, avant de procéder au traitement final en appliquant les corrections demandées par les photographes. Enfin, les films Ektachrome ont été disponibles dans de nombreuses sensibilités particulièrement appréciées en reportage.
- [17] Louis Le Roux, souvenirs des Reporters Associés publié dans le blog A l’œil de l’auteur en mars 2020 –
- [18] Le photographe de presse Ben Vandoorne (1929-2006) a fondé dans les années 1960 l’agence de presse Photo News Service. Vandoorne a fortement marqué le monde de la photographie de presse en Belgique, non seulement en tant que photographe, mais également en tant que grand défenseur du droit d’auteur. En 1979, il avait cédé son agence à ses collaborateurs. Il s’est ensuite consacré à la Sofam, la société d’auteurs dans le domaine des arts visuels, dont il fut le co-fondateur et animateur. Source Le Soir.
- [19] Louis Le Roux, souvenirs des Reporters Associés publié dans le blog de l’auteur A l’œil en mars 2020.
- [20] Gérard de Villiers, né et mort à Paris (8 décembre 1929 – 31 octobre 2013), est un écrivain, journaliste et éditeur français. Il est notamment connu pour avoir écrit la série de romans d’espionnage SAS.
- [21] Hubert Le Campion (1934-2003) photographe, grand reporter, caméraman et réalisateur.
- [22] Le nom de semaine des barricades désigne les journées insurrectionnelles qui se sont déroulées du 24 janvier au 1er février 1960 à Alger durant la guerre d’Algérie (1954-1962).
- [23] Le Breguet Deux-Ponts est un avion de transport de fret et de passagers qui a été exploité entre 1953 et 1972. Son nom lui vient du fait qu’il peut accueillir des passagers sur deux ponts et non un seul comme sur la majorité des avions de ce type. Il est le premier à posséder cette caractéristique.
- [24] Philippe Le Tellier (1930–2011) photographe aux Reporters Associés puis à Paris Match où il entre alors qu’il est assistant de Willy Rizzo.
- [25] Philippe Charliat est un directeur artistique et un photographe collaborateur de Rapho et cofondateur de La Compagnie des Reporters
- [26] Alain Noguès, entretien avec l’auteur le 25 avril 2013
- [27] Alain Nogues, entretien avec l’auteur le 25 avril 2013
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