Le Mexique est un pays absolument fascinant. Impossible de ne pas tomber sous son charme dès que l’on y pose le pied, immédiatement saisi par une énorme pulsation de vie et de mort. Grand comme quatre fois la France, il alterne les déserts et les forêts, les plaines et les montagnes, le sable blanc du Yucatán et la lave incandescente du Popocatépetl, les impressionnantes traces de la civilisation aztèque et l’élégance de l’architecture coloniale, l’étouffante agitation de la capitale et le charme serein des petits pueblos du Chiapas. Sous un soleil parfois qui peut être accablant, c’est un pays fait de couleurs, de passion, qui vous saisis le cœur et les yeux comme une première gorgée de Téquila. Et puis les femmes et les hommes, chaleureux, accueillants, fiers et joyeux même si malheureusement, la violence quasi endémique qui règne depuis de trop nombreuses années, a obscurci leur horizon.
Depuis longtemps, cette terre fortement marquée par la religion, les superstitions et des cultures très anciennes, a envouté les photographes. Graciela Iturbide, Paul Strand, Edward Weston, Flor Garduno, Henri Cartier-Bresson, David Alan Harvey, George Hoyningen-Huene, Bernard Plossu, Alex Webb, Tina Modotti, Manuel Alvarez Bravo et tant d’autres se sont frottés à ce pays très attachant. Jean-Félix Fayolle est lui aussi tombé amoureux de ce pays. Il a réalisé un travail sur la jeunesse des quartiers populaires baptisé « Hecho en barrio » qui vient de sortir aux éditions Revelatoer. Voici comment il en parle :
« Hecho en barrio est un travail photographique au long cours commencé en 2007 sur la jeunesse des quartiers populaires au Mexique, principalement dans la ville de San Luis Potosí, capitale de l’État du même nom. Cette agglomération de 2 millions d’habitants se situe dans le centre Nord du pays à 400 km au Nord de la ville de Mexico.
Alors étudiant en commerce international et en langues étrangères, je réalise un an d’échange universitaire à San Luis Potosí en 2006-2007 pour terminer ma licence. Un peu par hasard, je m’installe dans le quartier populaire de Pavón, en périphérie de la capitale Potosina dans la ville de Soledad de Graciano Sanchez. J’y préfère cette ambiance à celle aseptisée des quartiers huppés derrière leurs hauts murs et leurs fils barbelés. Le barrio me paraît plus ouvert, l’espace public est occupé et les jeunes sont avenants. Je commence à rencontrer des bandes et à me lier d’amitié avec elles. Je rencontre d’abord une première bande dans le centre-ville, les Tropilocos XXI, dont le quartier se trouve sur mon parcours à vélo pour me rendre à la fac. Ils m’invitent à les accompagner en pèlerinage pendant plusieurs jours, ce qui permet de mieux nous connaître et de nous comprendre. C’est le début d’une longue relation d’amitié, autant avec eux, qu’avec des bandes de différents quartiers de la ville.
Après quelques photos prises durant cette année, je décide de troquer ma casquette d’économiste contre celle de reporter photographe. Après une première exposition, je retourne au Mexique presque chaque année retrouver ces différentes bandes, chaque fois avec un nouveau projet. Je concentre d’abord mon travail principalement dans deux quartiers : celui des Tropilocos du barrio XXI dans le centre-ville et celui de Pavón, en périphérie, avec ses multiples bandes qui font partie de deux familles ennemies : Pavón York et Wepavón. Grâce à leur complicité et leur confiance, j’ai pu être témoin ces dernières années de l’évolution de chacune d’entre elles. J’ai aussi pu me rendre compte de l’explosion de la violence et de l’insécurité liées au narcotrafic, tout comme les ravages des drogues et notamment du crystal meth sur ces vies fragiles. Malgré une insécurité toujours grandissante et à chaque fois un nouveau déchirement lorsque l’un d’eux s’en va pour toujours, c’est toujours un grand plaisir de les retrouver.
Ce sujet de cette jeunesse oubliée est donc la raison pour laquelle j’ai décidé de devenir photographe. Plus qu’un reportage, c’est une réelle relation d’amitié qui s’est affinée au fil du temps avec ces différentes bandes. Ce sont eux qui m’ont décidé et motivé à croire en mes rêves, ceux de faire un métier qui peut paraître inaccessible.
Ils ont réellement contribué à ce que je suis devenu. Le Mexique est intensément gravé en moi, il fait partie de ma vie. Ils m’ont fait devenir photographe. Ma technique et mon regard au cours de ces années ont pu s’affiner, se perfectionner. C’est ce sujet qui m’a fait devenir professionnel. Comment montrer ces images, quelles images et pourquoi ? Qu’est-ce que je veux raconter ? Des choses positives, négatives, les deux ? Éviter les clichés et surtout respecter les personnes photographiées, et ce pays tout entier.
Comme n’importe qui au début, j’ai flashé sur les stéréotypes, les tatouages, les armes, la drogue… Avec les années, j’ai essayé de m’en détacher, car ce n’est pas le plus important ou représentatif de cet univers. Mais malheureusement, j’ai quand même dû continuer à côtoyer ces clichés qui devenaient de plus en plus banalisés. Les drogues ont évolué, les armes se sont sophistiquées, la violence a explosé. Avec les années, j’ai dû prendre de plus en plus de précautions. Auparavant, en étant sous la protection des plus « méchants » du quartier, je ne risquais rien. Dorénavant, je suis avec les premières cibles du crime organisé. Tout ce contexte a muté, s’est aggravé. Ce qui m’anime, c’est de pouvoir continuer à témoigner de ces réalités, ce quotidien qui devient de plus en plus complexe tout en respectant au plus juste la dignité et la parole des personnes rencontrées.
Avec un suivi régulier depuis près de 15 ans, je suis aujourd’hui très heureux de pouvoir partager une partie de cette expérience avec ce livre. Il compile différentes tranches de vie et thématiques, représentatives du quotidien de toute une génération, d’une jeunesse de San Luis Potosí. J’espère que ce travail permettra de mieux comprendre le quotidien des jeunes au Mexique, nés dans un quartier populaire, laissés en marge de la société de par leur apparence physique et leur milieu social dans un contexte miné par l’hyperviolence. »
Hecho en barrio de Jean-Félix Fayolle
176 pages Format 21 x 29 cm – Prix : 40 € TTC
Le site de Jean-Félix Fayolle
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