Pierre Menochet (1932 – 2023) a débuté dans le journalisme à une période agitée. C’était l’époque de la guerre d’Algérie. Il a été appelé pour son service militaire, mais heureusement il en a fait une partie à Bled, le journal de l’armée française. Démobilisé, il a travaillé à L’Echo d’Alger. En 1958, il revient « en métropole » et est embauché à l’agence de presse Les Reporters Associés ou il va rencontrer Jean Desaunois avec lequel il travaillera ensuite à l’agence Imapress (1979 – 1997). Entre ces deux agences, Jean Desaunois et lui travaillent à la Maison de l’Iran à Paris qui fermera ses portes à la chute du Shah.
Le mardi 31 Mars 2020, à la demande L’œil de l’info, il écrit sous le titre « Pierre Ménochet raconte », le texte que nous publions aujourd’hui en hommage. C’était un homme dont tous ses confrères louent la gentillesse, la douceur ; des qualités rares dans le milieu de cette époque. Charmant retraité, préoccupé par sa participation à une chorale, Pierre Menochet fut un de ses hommes de l’ombre qui ont permis aux agences de photo parisiennes de la seconde moitié du XXème siècle de fournir à la presse mondiale des reportages de qualité.
« Pierre Menochet raconte »
Comme à beaucoup de gens de ma génération, nés en 1930 ou 40, l’armée m’a appris un métier. C’était la guerre, la guerre d’Algérie et nous avons été nombreux à passer deux ans ou plus sous les drapeaux. J’ai eu de la chance : je ne suis pas allé beaucoup sur le terrain : six mois sur la frontière marocaine, mais comme on ne savait pas quoi faire de moi, on m’a renvoyé à l’état-major des armées en Algérie, au service psychologique.
C’est ainsi que je suis devenu journaliste, au journal militaire Bled qui avait son siège à Alger. Ma formation littéraire, ma licence ès lettres, m’a au moins servi à cela. Je pensais être professeur… J’avais des amis dans la presse et je pus faire mes premières armes à Dernière Heure d’Alger puis à l’Avenir de Pontoise.
La meilleure formation : l’information à la base, le tour des mairies, des commissariats, etc.… On s’en lasse vite et c’est ce qui m’arriva. Je donnai ma démission de l’Avenir de Pontoise pour venir chercher du travail à Paris. Présomptueux, n’est-ce pas ?
Je ne connaissais rien aux agences de presse. Je connaissais de nom seulement AFP AP, UPI. J’avais rendez-vous avec un ami photographe dans un grand quotidien qui devait présenter un dossier photo à une agence photographique modeste : Les Reporters Associés. Je l’attendais au café du coin et il revint dépité : « ça ne marche pas pour moi, il cherchent un rédacteur. Tu devrais y aller. « Sitôt fait sitôt dit. Je me présente au directeur, Wladimir Richkoff dit Lova de Vaysse, lui même ancien journaliste d’un hebdomadaire genre France Dimanche, Ici Paris. J’y suis resté d’abord toute la nuit, puis dix ans.
J’étais la personne qu’il fallait au bon endroit. Lova de Vaysse venait en effet de signer un contrat avec le grand magazine allemand Der Stern qui correspondait à ses compétences, qui étaient grandes et à ses gouts. Nous n’étions pas nombreux. En dehors du directeur (et de son épouse qui s’est avérée une parfaite partenaire professionnelle), il y avait un administrateur, Renaud Martinie, un vendeur Georges Fargette et un chef de laboratoire, Louis Le Roux qui me fut d’un grand secours.
Nous avions la chance de vivre dans un endroit très agréable, l’avenue Frochot, près de Pigalle, une voie privée protégée par une grille et très bien fréquentée. Les propriétés élégantes qui la composaient étaient habitées par la veuve du compositeur Victor Massé, qui a donné son nom à la rue voisine, par les sœurs Bergé, comédiennes qui ont connu leur heure de gloire. Il y avait aussi la cantatrice Régine Crespin, soprano de l’Opéra qui venait parfois se chauffer la voix dans les allées. Il y avait surtout le grand cinéaste Jean Renoir que j’ai eu le privilège d’interviewer à cette époque.
De jeunes photographes passionnés participaient à ce renouveau. Hubert Le Campion, Alain Dejean, bientôt rejoints par de brillants italiens : Giancarlo Guidotti, Giancarlo Bonora.
C’était pour moi une nouvelle aventure et aussi un nouvel apprentissage : jamais je n’avais fait d’édition photo et j’ai dû m’y mettre. C’était d’abord du N/B. A partir de planches contacts il fallait d’abord faire une première sélection tirée en deux ou trois exemplaires, puis un nouveau choix dans cette sélection qui serait tiré en douze, quinze ou vingt exemplaires qui seraient envoyés à l’étranger.
Nous avions en effet des correspondants en Europe en dehors de Stern. En Belgique d’abord, Van Dorne. Aux Pays Bas, avec un groupe de presse prestigieux dont j’ai oublié le nom dirigé par M.Van Muysen. Toute l’agence s’est d’ailleurs déplacée à Amsterdam lors des fêtes marquant un anniversaire important de la Reine Juliana.
Ce fut une aventure importante de mon existence. Pas très rémunératrice au départ, mais très enthousiasmante. Il y avait beaucoup de travail : au début, pas de coursier. Quand les tirages avaient été glacés, les textes écrits et édités, les légendes collées au dos, il fallait encore aller porter les enveloppes aux gares a destinations de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Italie où nous avions aussi réussi à trouver un vendeur.
Je me souviens qu’au mois de janvier 1962 j’avais travaillé tous les jours, sans un jour de repos, à tel point qu’une nuit je suis tombé sans connaissance et qu’il a fallu m’hospitaliser. Affolement à l’agence. Un détail avait été oublié, par moi le premier : c’est que je n’étais pas déclaré, donc je n’avais pas de Sécurité Sociale. Bon Prince et Grand Seigneur, Lova de Vaysse prit en charge tous les frais d’hospitalisation. Il m’invita même à passer quelques jours dans sa propriété de campagne.
Il faut préciser que le contrat Stern lui avait servi aussi à acheter une maison agréable à Blaru et une Jaguar. Ça ne me choquait pas du tout : je me sentais en famille. Je m’étais habitué à aller prendre le café en arrivant au Balto, le café du coin. De Vaysse lui préférait un Fernet-Branca. Très souvent, j’allais déjeuner avec la famille dans une brasserie du quartier. C’était la belle vie, même si elle était un peu prenante.
L’aîné de mes petits-enfants Antoine qui était souvent chez nous quand il était petit m’a raconté souvent que sa Grany lui disait à sept heures : « Je crois qu’on va encore dîner seuls : Grand-Père est encore au travail. »
Au fil des années, j’ai pris de plus en plus de responsabilités : je suis devenu « chef des informations ». J’ai dû aussi recevoir les photographes qui se présentaient quand le patron n’était pas disponible. C’est ainsi que j’ai rencontré un photographe turc qui arrivait avec un nombre impressionnant de dossiers. Il s’appelait Goksin Sipahioglu et fonda un peu plus tard l’agence Sipa Press. Nous avons passé toute la nuit à examiner ses photos. Lui qui était un grand séducteur m’a dit plus tard : je n’imaginais pas comme ça ma première nuit parisienne.
Une autre fois, j’ai hérité d’une corvée. « Il y a un journaliste belge qui arrive de Téhéran. Il faut que tu déjeunes ave lui et que tu voies ce qu’il a dans le ventre ». Le journaliste en question s’appelait Jean Desaunois. Il était bien introduit à la Cour du Shah qui venait de fonder une nouvelle famille. Sa production s’est bien vendue et il a fini par avoir un compte très créditeur à l’agence, au point de pouvoir la racheter. Pour moi, ce fut le début d’une amitié qui dura près de 50ans.
En dehors de l’actualité pure qui ne chôma pas dans les années 60/70, l’agence se spécialisa dans les Cours européennes. Pays-Bas, Espagne, Italie, Suède, Danemark, Norvège. J’eus le privilège de côtoyer des princesses comme Hélène de Yougoslavie, fille de Maria- Pia de Savoie (et donc petite-fille du dernier roi d’Italie). J’avais surtout un très bon contact avec le Comte de Paris, grand-père de l’actuel Chef de la Maison de France, qui m’accordait une interview chaque fois qu’il avait quelque chose à dire. Il m’invita même au mariage de sa petite-fille la princesse Marie avec un prince de Liechtenstein.
Pour moi l’aventure des Reporters Associés. s’est terminée en 1971 lorsque Jean Desaunois m’a appelé à ses côtés pour « couvrir » les cérémonies du 2500 anniversaire de la Fondation de l’Empire Perse par Cyrus le Grand. Avec Mehdi Boushehri, époux de la princesse Ashraf, sœur jumelle du Shah Mohamad Reza Pahlavi.
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Dernière révision le 4 novembre 2024 à 9:26 am GMT+0100 par la rédaction
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