En ces temps moroses ou la France se couvre d’une très nauséabonde couleur brune, il est important et disons même vital, pour se ravigoter le cerveau, d’aller profiter de l’exposition de Thomas Mailaender. La Maison Européenne de la Photographie à Paris a mis à sa disposition la quasi totalité de ses surfaces d’accrochage.
Artiste multimédia, Mailaender fait feu de tout bois pour créer une œuvre qui, tout en étant très ludique dans la forme, provoque une réflexion assez essentielle sur l’absurdité de notre monde quand il tutoie le déraisonnable.
Se revendiquant d’une archéologie du fun, proche d’une famille qui compte dans ses rangs des créateurs de talent comme Thomas Sauvin, Jean-Marie Donat ou Erik Kessels, il collectionne photos et objets, mettant en valeur des images dites vulgaires, mais qui font une démonstration d’un non-sens qui tutoie les sommets et hisse le mauvais goût au rang d’art. La visite de cet univers fort singulier, fruit d’une incessante récolte d’images insolites, est une exploration jouissive des limites de la photographie et une sérieuse remise en question de son usage.
Pour commencer très fort, le visiteur est accueilli devant l’entrée du bâtiment par un bateau échoué sur une pelouse (synthétique) dont la voile est ornée d’un grand portrait féminin comme une excellente invitation à embarquer pour une croisière heureusement déraisonnable où l’on s’amuse pour de bon. On commencera par une série où l’auteur s’est inclus dans des photos de remises de chèques lors de loteries et autres événements, pour ensuite faire un selfie sur fond de lave en fusion comme le proposait un américain qui permettait de faire l’économie d’un billet d’avion jusqu’à Hawaï en faisant un montage des portraits qu’on lui envoyait. La visite d’une vraie cabane de jardin en tôle s’impose où sont réunis les éléments d’une pseudo escapade du futur père parti se préparer à l’événement. Suivront des échanges hilarants avec un studio de retouche en Inde, suite de courriers et de la photo de mariage d’un couple dans un enchainement inventé de ruptures (photo déchirée) et de réconciliations (photo à nouveau à reconstituer). Evidemment, à force de moult manipulations numériques, il finira par avoir une sale tête le bonheur.
Egalement, un portrait peint par un esthète (de nœud évidement) qui utilise son pénis en guise de pinceau avec vidéo explicative de la technique, histoire d’être didactique. Et puis des impressions en émail sur lave, des poterie illustrées d’images trouvées sur internet et destinées aux archéologues du futur, une installation immersive sous lumière inactinique où les murs ont servis de support à des tirages photos (l’odeur persistante en témoigne encore), un assemblage de photos d’accidents de voitures venant des archives d’un expert en assurances, des inclusions sous résine, des encadrements de photos de presse bizarroïdes, des photos d’amateurs très WTF, sans oublier Illustrated People, un travail de 2013, où des négatifs, issus de la collection Archive of Modern Conflict, ont été imprimés en positif sur la peau de volontaires après une courte insolation aux ultra violets, un coup de soleil artistique en somme. Et encore plein de choses étonnates comme dans ces vitrines où sont disposés des objets, à la manière d’un cabinet de curiosité dédié à la photographie sous les aspects les plus loufoques qui soient.
Dans cette galerie insolite, relevons les mini flacons d’eau de toilette en forme de pellicule photo crées par Karl Lagerfeld pour Kodak et dont la fragrance était supposée rappeler l’odeur d’un photographe des années 80. Après l’installation Bookworm où des vers xylophages dévorent un livre de photos, on pourra finir le parcours sur la seule note moins enjouée, avec la projection d’une vidéo qui raconte l’histoire de Rosemary Jacobs contaminée au nitrate d’argent après l’utilisation d’un spray nasal commercialisé aux Etats Unis.
Exposition
Les belles images, Thomas Mailaender
Jusqu’au 29 septembre 2024 à la Maison Européenne de la Photographie, Paris
Le site de Thomas Mailaender
Dernière révision le 21 juin 2024 à 6:09 pm GMT+0100 par la rédaction
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