Hommage

Yan Morvan (1954 – 2024)
« Mon cher Yan, tu t’es barré »
par Frédérique Briard

Yan Morvan en Ukraine – Collection Yan Morvan

 

Frédérique Briard, travaille au service photo de Marianne, a l’annonce du décès de Yan, elle a posté ce texte sur Facebook. La lettre d’une vraie amie à un grand Monsieur de la photographie. Un texte vrai que nous publions ici avec son accord naturellement.

Tu t’es barré

Je te vois déjà ricaner quand tu verras tous les hommages qui te sont rendus et vont l’être, au moment où toi tu pars.

Je te vois plisser tes yeux et pincer ta bouche de “on m’la fait pas” quand tu verras tous ceux qui te pleurent aujourd’hui, d’un coup, alors que tant t’ont dénigré, voire détesté, en tout cas oublié et enterré avant l’heure ces dernières années. Mais tu t’en foutais de ceux-là (et t’avais bien raison) parce que tu en avais tant vu qu’on allait pas te la raconter à toi, tu savais qui tu étais, avais été et où tu allais. Alors on va s’en foutre encore de ceux-là aujourd’hui. Ce soir on parle de toi.

Aujourd’hui tu as jeté ton tablier. Mais ton tablier, ce n’était pas rien.  Tu as été un mec énorme Yan, LE photoreporter français International qui brillera à jamais, un mec de passions, de convictions, qui aimait par-dessus tout sa profession – tu en avais fait un livre parmi plein d’autres -, un mec (ouais, t’étais un Mec !!!!) qui aimait les Gens, avec un grand G, que tu allais chercher au bout du monde.

Tu avais donné au photojournalisme ses lettres de noblesse, tu les incarnais. Tu les avais imprimées dans ta chair. De la guerre du Liban en 1984 aux squats parisiens dans les années 1990 en passant par les années de plomb de l’Irlande et de bien d’autres pays, tu allais les chercher les battants, les loosers, les laissés-pour-compte, ceux qui palpitent avec leurs peines, leurs causes et leurs raisons d’être.

Tu as été hors pair dans ton métier de rapporteur de guerre – combien en as-tu rapporté ? – à Paris-Match, Sipa, et autres organes de presse ou agences de presse ?  Tu as été hors norme, un extra-terrestre qui mêlait le sens de la technique de l’image, de la philosophie, de la sémiologie, de l’Humain.

Tu avais du sens.

Et puis, après les terrains minés de la planète, tu as couru les mêmes, ailleurs, ici en France, tu t’es intéressé aux Gangs, aussi avec un grand G, à ceux qui existent à l’endroit où on n’a pas le droit d’exister.  Tu n’avais peur de rien.

Tu y allais à la chambre, avec ce matos lourd comme un bazooka caché dans ton coffre. Tu t’es intéressé aux prostituées, aux mômes paumés, aux rebelles en tous genres en vrai rebelle que tu étais, Guy George c’est toi qui es allé le chercher dans sa tanière, tu étais un Vrai, un vrai journaliste.

C’est en 1991 que je t’ai rencontré, à L’Évènement du Jeudi, grâce à Christine Altur, qui t’avait mis en commande sur une super série, des gamins délaissés en banlieue qui faisaient des ateliers de danse, de hip-hop, de musique. Tu y allais pareil, tu garais ta bagnole la nuit sur des parkings pourris, et tu savais tisser le lien, débarquer tes appareils énormes comme si c’était une plume et mettre en confiance.

Et puis, ces dernières années, il y a une femme formidable, Maureen Auriol, avec qui je travaille à Marianne, rédac chef photo en or de ce journal, qui t’a remis le pied à l’étrier. Elle a osé te remettre en commande – Big Up Mau, You the Only One – , elle savait qui tu étais, elle a osé, oui parce que personne d’autre qu’elle ne l’a fait. Elle s’est battue pour t’imposer, c’est une battante, une vraie, comme toi. Elle t’a remis sur la route du photoreportage, avec Steph, au Liban, en Ukraine et ailleurs.

Elle t’a offert un baroud d’honneur et c’est là-dessus que je veux moi te quitter parce qu’elle seule aura su terminer la ligne droite et fière de ton chemin.

Mon ami, je te salue et verse un verre ce soir à ton nouveau terrain de jeu. Qu’il soit jalonné de vie, de joie, de rire et de sens comme tu as su en faire le sel de ton existence ici-bas (qu’est-ce que j’ai ri quand j’ai reçu en aparté cette photo d’un de tes derniers reportages pour Marianne!)

À bientôt et à la tienne Yan, forever LOVE and forever LIFE !

Que les anges en cuir et les Gos de banlieue t’accueillent avec un tapis rouge!


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