Hommage

Yan Morvan (1954 – 2024)
Un tonitruant et permanent talent !

Bir-Hakeim © Yan Morvan

Toujours anticonformiste dans l’âme pour agacer parfois avec raison et jubilation, truculent, jovial, généreux, passionné, comme tu l’as toujours été, tu ne peux, Yan, que nous laisser le devoir de combler le vide sans fond que tu laisses dans le métier par l’estime et l’affection que tu mérites tant. Au fait, toi, le judicieux provocateur zélé, si tu croises le Dieu de ton choix, fais-nous un close-up d’enfer, non pardon un scoop divin de plus ! Salut à toi, l’ami, il y a une queue du diable pour te faire ultimes embrassades.

Waterloo © Yan Morvan

 

Dien-Bien-Phu © Yan Morvan

Yan était plus qu’un confrère, tant nos origines bretonnes et nos débuts conjoints à l’agence SIPA-Presse nous ont toujours liés. Une très saine concurrence nous animait sur le terrain, avec majeur malicieusement levé quand l’un dépassait l’autre sur une route du Liban, d’Irak ou d’Israël ! Tant notre vécu fût confraternel dans le plus attrayant et célèbre souk à la turque du moment, dont Yan fût un des émirs de référence sous la tutelle éditoriale du remarquable Göksin Sipahioglu. Une de ses précieuses sollicitations fût pour moi une collaboration à la finalisation de son livre totémique « Champs de batailles », qui fût parmi ses nombreux ouvrages, celui qui révèle le plus brillamment qui soit, la riche facette de tous ses talents. Voici ce que j’écrivais à l’époque à ce sujet:

« Yan Morvan est un singulier géographe qui se révèle pour aller chercher sur toutes les surfaces de notre planète les lieux chargés de sa grande Histoire guerrière. Le projet de Yan Morvan ouvre le nouveau défi des horizons délimités des conflits passés dans le temps et dans l’espace. Dans les années 80, au cœur des banlieues chiites de Beyrouth sous une pluie d’obus, il a vu, vécu la guerre au plus près pour poursuivre pendant plus de 20 ans jusqu’à nos jours, ce voyage jusqu’au bout de ce monde de noirceurs et fureurs si bien décrit par Michael Herr à son retour du Vietnam. Mais chez Yan Morvan, pas une trace de vie sur la surface lisse de ces grand formats réalisés à la chambre 20 x 25. Seuls le nombre des victimes collés à la légende de chaque cliché – telle page n°5 la boue aux semelles des hommes qui ont imprégné la terre de leur sang, fait ressurgir leurs fantômes pour mieux nous donner une inédite et grande leçon d’histoire. A l’heure où la mondialisation a fait de chacun de nous un citoyen du monde, le projet exceptionnel de Yan Morvan nous rend témoin ébahi de notre appartenance à la grande Histoire de l’humanité. Un photographe peut en cacher un autre, comme un géographe un historien du miroir pour mieux nous dire combien la paix sans frontières aucune est le bien le plus précieux de la famille humaine. »

Gettysburg © Yan Morvan
Embabèh © Yan Morvan

Un extrait du texte de Yan à propos de ce travail :

« Pourquoi et comment photographier la guerre ? Je me suis posé cette question pendant vingt ans de correspondance de guerre. Volonté d’informer, participer au mouvement de l’histoire, forcer le destin? Alors, comment raconter l’irracontable , les images d’horreur se succèdent aux images d’horreur. La spectacularisation du monde par la télévision, la presse, internet et l’information en temps réel ont entamé notre capital d’empathie et notre faculté à s’émouvoir du malheur des autres. En 2004, avec une chambre photographique Deardofff 20×25, je commençais une série sur les lieux de bataille. Ces lieux racontaient-ils encore l’histoire? Sans céder à l’émotion, je voulais m’adresser à la conscience, montrer par des paysages parfois anodins une « géographie » de la démence humaine. Je souhaitais rechercher une autre façon « visuelle » d’apporter un témoignage et une réflexion sur l’image et la réalité de la guerre. J’ai commencé à photographier les champs de bataille de France, Verdun ou j’ai retrouvé des photos de mon grand-père en uniforme de tirailleur. Puis ceux de l’Europe, notre famille qui s’est si souvent déchirée. Mon projet est ambitieux, montrer la terre sur laquelle les hommes se sont battus, raconter l’histoire, « tenter » de percer l’homme dans sa vérité, et réfléchir à cette pensée d’Héraclite: « Le combat est de tous les êtres le père, de tous les êtres le roi ; il a désigné les uns comme dieux, les autres comme hommes, et il a fait esclaves les uns, hommes libres les autres. Il faut savoir que la guerre est commune, la justice une lutte et que tout devient dans la lutte et la nécessité. »

 

Alain Mingam


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