Lundi 24 juin 2013, la 1ere chambre du pôle 5 de la Cour d’Appel de Paris a entendu les protagonistes d’une affaire bien ordinaire de non respect du droit d’auteur. Ordinaire, si ce n’est que Désirs d’avenir, l’association de Ségolène Royal, est à la barre des accusés.
Article publié dans le Club Mediapart le 28 juin 2013
La recette est fort simple et – hélas – trop bien connue !
Prenez un photographe, en l’occurrence Stéphane Lemouton. Prenez une association à but non lucratif Désirs d’avenir. Assaisonnez le tout avec un contrat verbal au terme duquel le photographe suit en tant que journaliste les déplacements de l’ex-candidate à la Présidence de la République qui lui concède quelques prises de vue exclusives. C’est-à-dire hors de la présence d’autres photojournalistes.
En contrepartie, pour remercier Ségolène Royal, le photographe a l’amabilité de communiquer gracieusement des images pour publication sur le site web de Désirs d’avenir, mais « à l’exclusion de toutes utilisations mercantiles » précise Maître Lagarde, avocat de Stéphane Lemouton.
Un « gentleman agreement » comme les photojournalistes en concluent fréquemment avec des ONG, des associations ou entreprises diverses.
Du Sénégal à Canal +
Stéphane Lemouton est un photojournaliste qui « couvre » l’actualité politique et travaille ou a travaillé avec plusieurs agences de presse (Abaca Press, Sipa Press, Face to Face etc.) Après la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, il décide de suivre l’ex-candidate Ségolène Royal.
« Je me suis intéressé à la dame au creux de la vague, peu avant le congrès de Reims de novembre 2008. » raconte-il lors d’un entretien après l’audience. « J’ai donc suivi ses activités politiques au travers de son association Désirs d’avenir, de ses fonctions de Présidente de la région Poitou-Charentes et de vice-présidente de l’Internationale socialiste. Une dizaine de mois de reportage dont le conflit social antillais de février 2009, le retour aux sources sénégalaises en avril, le congrès de l’internationale socialiste d’Athènes pour suivre au plus près sa reconstruction avec pour objectif la campagne de 2012… »
Cet intérêt rencontre celui de la Présidente de la Région Poitou-Charentes qui, évidemment, ne souhaite pas disparaître des médias après sa défaite de 2007.
« J’ai vite compris qu’elle pensait avoir tous les droits sur mes photos » raconte Stéphane Lemouton. « Un soir au Sénégal, elle a tenu absolument à ce que je vienne dîner avec elle et ses proches… Je n’étais pas chaud, mais elle a insisté. Elle me demande alors de voir les photos que j’ai faites pour une commande de VSD. Je lui ai répondu qu’elles étaient déjà parties, et que le journal était bouclé. Mais j’ai compris aussi, que j’allais avoir du mal à conserver la bonne distance que tout journaliste doit avoir et j’ai décroché en juillet 2009, après un dernier déplacement au Monténégro. »
Désirs d’avenir et de marketing
En 2010, alors qu’il n’a plus de relations ni avec Ségolène Royal, ni avec Désirs d’avenir, Stéphane Lemouton constate l’existence sur le site de l’association, d’une rubrique proposant à la vente des pin’s, des sacs, des plaquettes, des flyers, des cartes de vœux et autres gadgets au profit de Désirs d’avenir.
Ces gadgets sont à vendre, et certains sont ornés de deux photos de Ségolène Royal réalisées par Stéphane Lemouton. Qui plus est, le photographe constate que ses photographies sont également diffusées sur les sites de partage de photos Flickr et Facebook !
Il tente alors d’obtenir de Désirs d’avenir la juste rémunération de ses droits d’auteur sur les photographies utilisées sur ces objets qui, du fait de leur commercialisation, n’entrent pas dans le fameux « contrat verbal ». Mais là, il doit rapidement déchanté. Désirs d’avenir, comme Ségolène Royal sont aux abonnés absents !
Le 12 mars 2010, un huissier constate les faits. Les gadgets sont ornés de deux photos : l’une prise le 18 novembre 2008 sur le plateau du « Grand journal » de Canal + représentant Ségolène Royal en tunique bleue, l’autre date du 7 avril 2009 où Ségolène Royal vêtue d’une tunique rouge salue la foule à Keur Martin au Sénégal.
Les 18 et 25 mars 2010, Stéphane Lemouton adresse des lettres recommandées à Désirs d’avenir pour que l’association cesse toute exploitation de ses photographies et lui règle ses droits d’auteur. En vain ! Le 8 novembre 2010, il assigne Désirs d’avenir devant le Tribunal de grande instance de Paris.
Normalement, au nom du respect des droits d’auteur, Désirs d’avenir devrait être condamné à payer des droits et des indemnités pour le préjudice au photographe… Seulement voilà, Maître Jean-Pierre Mignard, avocat de l’association de Ségolène Royal, a trouvé, dans les pièces fournies par Laura Félicie, l’avocate en première instance du photographe, un argument qui va faire poids aux yeux du TGI, Stéphane Lemouton a cédé ses droits sur ses photographies à l’agence Face to Face par un contrat en date du 26 mars 2008. Il n’est donc pas habilité à réclamer quoi que ce soit.
Le 15 mai 2012, la 3ème chambre condamne Stéphane Lemouton a payé 2000€ à Désirs d’avenir !
Du mépris à l’Appel
Lundi 24 juin 2013, ce n’est plus Maître Mignard qui est à la manœuvre devant la cour d’Appel du TGI mais Maître Benoit Huet et Maître Emmanuel Tordjman.
La défense s’emploie d’abord à minimiser les faits : le site web de Désirs d’avenir n’aurait eu qu’une diffusion restreinte de « 24 000 visiteurs uniques et de 120 000 pages vues ». Les gadgets en question et les photos de Stéphane Lemouton ? « Deux misérables photos sur trois badges et quatre autocollants que personne n’a jamais portés !» s’exclame Maître Emmanuel Tordjman qui, dans un mouvement élégant, s’excuse auprès de sa cliente pour ses stupéfiants propos.
Selon l’avocat, les ventes de gadgets se résumeraient à « 250 exemplaires à 1,50 € ». On pensait la dame du Poitou-Charentes plus populaire !
Pour mieux accabler – tondre ? – Lemouton, Maître Emmanuel Tordjman s’emploie à qualifier Stéphane Lemouton sur un ton ironique « de grand photographe », « de photographe très connu »… On sent bien dans les propos de l’avocat tout le mépris que lui inspire ce photojournaliste qui ose courageusement réclamer ses droits face à une aussi éminente personnalité !
Cette dernière, dont la présence au Tribunal étonne, nous déclare avant l’audience n’avoir aucun grief contre le photographe. A la question de savoir si leurs relations se sont bien passées, elle répond que « oui » et déclare ne pas comprendre ses réclamations. « Il a peut-être besoin d’argent… » Dans l’édition de cet semaine de l’hebdomadaire Le Point, Ségolène est plus abrupte parlant « d’une extorsion de fonds » !
A l’audience elle finit par dire : «Vous comprenez, c’est quand même ma bobine qui est sur ces autocollants ! » Laissant ainsi comprendre qu’elle a tous les droits sur ces photographies.
Et c’est là, toute la question dans ce genre de conflit : sous prétexte d’avoir été photographiés, ou qu’on ait photographié leurs biens, les gens s’imaginent trop souvent qu’ils ont le droit d’utiliser les photographies à leur guise. De plus, s’agissant d’une personnalité politique éminente, la tentation est grande de penser que le photographe n’osera rien réclamer. Ce qui est souvent le cas.
Comment tenter d’éviter la condamnation ?
Désirs d’avenir n’a qu’une solution, celle découverte par Maître Mignard en première instance – grâce à l’avocate du plaignant – le contrat signé par Stéphane Lemouton avec l’agence Face to Face ! De quoi s’agit-il ?
En 2008, Stéphane Lemouton qui travaille régulièrement, soit directement avec des magazines, soit avec des agences de presse, est contacté par un de ses amis pour participer à la création d’une nouvelle agence Face to Face codirigée par François Pugnet et Andréas Stenger, consacrée à la diffusion de photographies de « VIP ».
Il participe à la création de l’agence. « Je trouvais le projet sympathique. C’était une petite structure quasi familiale » se souvient-il. Pour conforter les deux dirigeants, contre toutes ses habitudes, il signe un contrat sans bien se rendre compte de la portée du document. Car contrairement aux usages en vigueur dans les agences de photo, ce n’est pas un contrat de mandat, mais un contrat de cession de droits.
Toute l’argumentation de la défense de Désirs d’avenir repose sur ce contrat qui dépossèderait le photographe de ses droits. C’est la raison invoquée par le TGI en 1ère instance pour rejeter la demande de Stéphane Lemouton.
Pourtant, au moment de l’assignation, le 8 avril 2010, l’agence Face to Face n’existe plus. Elle a été dissoute par le Tribunal de Commerce de Paris le 13 novembre 2009, et le photographe a récupéré toutes ses archives et ses droits, ce qui est confirmé dans une attestation par le gérant Andréas Stenger. Attestation que Maître Emmanuel Tordjman qualifie devant la cour de « torchon » !
Ce contrat de session de droits entre Face to Face et Stéphane Lemouton est tout à fait inhabituel dans la profession où généralement on donne mandat à une agence pour distribuer ses photos moyennant une commission, ou bien, on vend ses photographies contre monnaie sonnante et trébuchante.
Ce contrat de cession est en fait un mandat puisqu’il n’y a pas d’achat. « Les photographes de l’agence ont toujours conservé leurs droits sur leurs images ! » s’indigne Andréas Stenger, l’ancien gérant, dans une conversation téléphonique. Ce qui semble être confirmé par les faits, puisqu’à la dissolution de la société, l’administrateur liquidateur n’a pas cru bon d’inclure les archives de Stéphane Lemouton dans les actifs de Face to Face.
L’argumentation de la défense de Désirs d’avenir est pour le moins légère. Surtout si l’on considère qu’en envoyant le 8 mai 2010, une lettre accompagnée d’un chèque, Daniel Barillot mandataire financier de Ségolène Royal, a reconnu l’existence des droits du photographe sur des milliers de badges !
Dans cette banale affaire, la Cour d’Appel saura-t-elle rendre bonne justice entre les dires d’une association dont les buts sont « réfléchir à la situation sociale, politique et économique et de contribuer à son amélioration, dans un esprit de justice sociale » sous la houlette d’une éminente femme politique et ceux d’un simple journaliste, qui plus est photographe, dont malheureusement aujourd’hui une partie du temps doit être consacrée à la défense de ses droits d’auteur les plus élémentaires, et les plus indispensables à la poursuite de son activité ?
Réponse dans le jugement le 2 octobre prochain.
Michel Puech
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