Dans les pays qui me font rêver, jeune reporter que je suis encore, il y a surtout l’Afghanistan. Ce pays est pour ma génération de photojournalistes le « Vietnam » des années 2000. Un vrai bourbier pour les Américains. Et la France y est également engagée. Je me dois d’y aller.
Je n’ai jamais couvert de conflits, je n’ai jamais côtoyé des soldats sur le terrain. Je veux me faire cette expérience. Dans ma tête de novice, c’est le meilleur moyen de faire ses preuves, de prouver et se prouver que l’on est fait pour le terrain. Passage obligé, baptême du feu, rite et initiation, on peut y coller tous les termes possibles, j’ai juste envie d’y aller.
Durant trois mois je prépare mon embedded auprès de l’armée française. Des dizaines de mails envoyés, les scans de mon passeport, carte de presse, photo d’identité, courrier de l’agence Abaca press certifiant que je diffuse chez eux, des papiers signés, et contresignés, afin de pouvoir être accepté au sein de l’armée pour les suivre dans leur quotidien. En tant qu’indépendant et sans aucune commande de média, le challenge aurait pu être compliqué. Il s’avère que personne ne s’intéresse à la présence française dans ce pays. La demande finit par être validée par l’armée. Une date est proposée, je pourrai suivre les opérations des soldats à partir du 21 août 2008 et suis attendu à cette date. Je prends mes billets.
Mais le 18 août une patrouille de soldats français subit une attaque des insurgés dans la vallée d’Uzbin. 10 soldats seront tués dans ce qui sera la plus grande perte pour la France dans ce pays depuis son engagement. C’est un drame national, une prise de conscience de la présence de la France en Afghanistan, dans un pays en guerre. Tous les médias ne parlent que de cela lorsque je décolle. Moi qui avait enchainé plusieurs pays en arrivant systématiquement après la bataille, pour une fois j’ai l’impression d’être à ma place, au bon moment. J’atterris à Kaboul alors que les cérémonies d’hommage des soldats sont terminées. Les télévisions – venues par le vol du ministre de la Défense – sont déjà reparties.
Ma naïve volonté de faire mes preuves s’est soudainement transformée en une merveilleuse intuition professionnelle ! L’hypothétique fameuse «chance du débutant».
Je me retrouve à être pratiquement le seul photographe à couvrir pendant un mois les sorties des militaires dans la région de la Kapisa. L’armée refuse aux autres confrères toute demande de reportage, fâchés par le scoop de Paris Match sur les Talibans photographié par la talentueuse Véronique de Viguerie. J’ai ainsi pu vendre mes photos à de nombreux titres de journaux, recevoir quelques commandes, notamment ma toute première pour Paris Match, le saint Graal de la presse du grand reportage ! Je vendrai ces archives photos de l’armée française très régulièrement, durant les années qui suivront.
J’ai beau être pris en charge par l’armée durant les patrouilles la journée, le reste du temps je suis installé à mes frais dans un petit hôtel, le Mustafa, un ancien lieu mythique où passaient les hippies en voyage pour Katmandou. Je l’ai surtout choisi pour son tarif au plus bas. C’est un immeuble entièrement vitré, très peu sécurisé. A l’époque on vit encore dans le risque des enlèvements d’occidentaux par les Talibans. Mais c’est bien connu, la peur est proportionnelle à son budget. Et les enlèvements se font systématiquement dans les hôtels de luxe ultra-sécurisés. ici je ne risque donc rien. Logique implacable. Un gardien est présent à l’entrée de mon hôtel. Allez savoir pourquoi, un jour sur deux il est armé d’une matraque et d’un détecteur de métaux, puis le lendemain seulement muni d’une tapette à mouches. Je n’ai jamais su pourquoi. J’espère juste que les Talibans choisiront le bon jour pour me kidnapper.
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20 ans de photographie
et le site du photographe : https://www.corentinfohlen.com/
Les tirages des images présentées sont en vente en Fine Art, signé, en format 20×30 cm, au tarif de 180 euros au profit de mon chauffeur et ami haïtien Wood. Pour cela contacter : fohlencorentin@gmail.com
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