L’annonce de la fusion entre Shutterstock et Getty Images est arrivée comme un claquement de coup de fouet dans le calme du désert. Alors que la nouvelle année est à peine entamée et que l’attention du monde entier est concentrée sur la politique internationale, la nouvelle a pris tout le monde par surprise, mais pas pour longtemps.
L’industrie de la photo de stock est à bout de souffle, luttant pour s’adapter à un marché qui ne cesse de se rétrécir. Au cours des deux dernières décennies, les prix des licences pour les images en droits gérés ont chuté de 20 à 50 %, tandis que les prix des images libres de droits ont plongé encore plus fortement, de 50 à 80 %. L’essor des modèles de microstock et d’abonnement a fait chuter les droits de licence jusqu’à 0,27 dollar par image. Les agences ont réagi en augmentant les volumes et en réduisant les coûts (en diminuant la rétribution des contributeurs), mais ces stratégies atteignent leurs limites. Un volume trop important déprécie la valeur perçue, et les créateurs pressés de trop près finiront inévitablement par s’en aller.
L’IA générative, un perturbateur inattendu
L’IA générative est l’invitée surprise d’une fête déjà mal engagée. Avec sa qualité et son accessibilité croissantes, l’IA générative est en train de remodeler le paysage créatif, en particulier dans le segment inférieur du marché, où la fonctionnalité l’emporte souvent sur l’ambition artistique. En offrant une imagerie sur mesure pour un coût minime, elle élimine le besoin de photos de stock traditionnelles, tout en introduisant la concurrence des géants de la technologie qui ne sont pas limités par la pression des bénéfices. Pour un secteur qui s’en sort avec des marges très réduites, ce nouvel acteur est tout sauf le bienvenu.
Pourquoi fusionner maintenant ?
Lorsque la survie est en jeu, la concurrence est moins importante que la menace existentielle. La fusion Shutterstock-Getty est une réponse calculée à la perturbation qui balaie le marché du contenu visuel. Ensemble, ils forment la plus grande agence photographique de l’histoire, avec plus d’un milliard de produits comprenant des photos, des vidéos, des sons, des GIF, des illustrations, des fichiers vectoriels et 3D. Évaluée à 3,7 milliards de dollars et s’appuyant sur une main-d’œuvre mondiale de plus de 3 000 employés, la nouvelle société promet un accès inégalé à du contenu pour pratiquement satisfaire tous les scénarios. Elle renforce également la stratégie de longue date du secteur, qui consiste à augmenter les volumes tout en réduisant les coûts (voir ci dessus)
Cette collaboration ne consiste pas à se battre les uns contre les autres pour gagner des parts de marché. Il s’agit plutôt de consolider les ressources pour relever les grands défis posés par l’IA générative, la chute des prix et l’évolution des comportements sur le marché.
Et bien que cela crée un acteur redoutable dans le milieu, cela pourrait ne pas suffire. La GenAI cannibalise rapidement le terrain avec un impact dévastateur prévisible. Si le contenu éditorial est peut être protégé (soumis a de nouvelles règles d’authenticité), le contenu commercial, en particulier le microstock à grand volume et à bas prix, est voué à être remplacé par l’IA. Non seulement parce que les utilisateurs créeront facilement leurs propres images, mais surtout parce qu’a moyen terme, les pages web généreront elle même leurs propres images à la volée.
Ce que cela signifie pour l’industrie ?
Pour les agences photographiques concurrentes, l’impact immédiat n’est peut-être pas si catastrophique. Certaines pourraient y trouver un avantage à court terme, les contributeurs quittant le géant fusionné à la recherche d’une représentation plus personnelle et plus respectueuse des créateurs. Toutefois, ces petites agences auront du mal à fidéliser leurs clients qui ne verront guère de raison de travailler avec quelqu’un d’autre que le nouveau mastodonte. Il sera impossible de rivaliser en termes de volume ou de variété, le prix restant le seul champ de bataille dans une course vers le bas sur un marché déjà très proches du plancher.
Adobe Stock, bien qu’important, a peu de chances d’apparaître comme un sauveur. Leur offre d’images de stocks n’a jamais été une véritable motivation pour eux, positionnée davantage comme un service supplémentaire aux abonnés de leurs solutions logicielles. En outre, Adobe semble se concentrer surtout sur le contenu généré par l’IA et intégré directement dans ses outils de création, plutôt que sur l’expansion de sa bibliothèque visuelle.
Du point de vue du créateur
Pour les contributeurs, la fusion n’offre que peu de perspectives. Il est peu probable que les pressions tarifaires et les réductions de commissions changent. Au contraire, la domination de la nouvelle entité renforcera encore ces pratiques. Si certains créateurs peuvent trouver refuge auprès d’agences plus petites ou de plateformes alternatives, les défis liés à la concurrence de l’IA générative et à la domination de la nouvelle entité Shutterstock-Getty restent inquiétants.
Et du côté de l’actionnaire ?
Comme c’est souvent le cas dans le monde des affaires, les fusions sont motivées par les intérêts des actionnaires. Une partie des concernés y voit probablement une occasion de récupérer leurs billes dans un secteur en difficulté. D’autres y voient une chance de refinancer et de se débarrasser d’une dette trop lourde, prolongeant ainsi sa survie dans l’espoir de devenir une cible d’acquisition par un géant de la technologie comme Apple, Google, Microsoft ou OpenAI. Après tout, la vaste ressource de créations humaines que cela représente pourrait s’avérer extrêmement précieuse pour l’entraînement de modèles d’IA.
Les défis à venir
Les fusions de cette ampleur ne sont jamais simples. L’approbation des autorités réglementaires n’est pas garantie et les complexités logistiques liées à l’intégration de deux organisations de grande envergure laissent beaucoup de place aux faux pas. Pendant que la fusion progressera, les concurrents pourront saisir l’occasion de s’approprier des parts de marché. Le chemin à parcourir sera loin d’être facile, et le résultat final reste incertain.
Un moment charnière dans un secteur en mutation
La fusion Shutterstock-Getty Images est une initiative audacieuse dans un secteur confronté à de profondes perturbations. Si elle consolide le pouvoir de ces entités et crée une ressource inégalée pour les acheteurs, les menaces existentielles de l’IA générative, la réduction des marges et l’évolution de la dynamique du marché ne sont pas résolues. Pour les contributeurs, les concurrents et le secteur dans son ensemble, ce moment marque un tournant, mais il reste à voir s’il conduira à un renouveau ou à un déclin. On dit que les étoiles deviennent énormes avant de s’effondrer sur elles-mêmes. Lorsque la poussière sera retombée, la capacité du secteur à s’adapter aux bouleversements technologiques et commerciaux déterminera si cette fusion marque le début d’une nouvelle ère ou la fin d’une ancienne.
- Fusion Shutterstock-Getty Images
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