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Je me suis rendu à Washington DC pour assister à l’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025. Je voulais être dans la foule, sur le National Mall réservé au public non invité et non payant. Je voulais entendre et ressentir ces gens venus célébrer la victoire de leur « sauveur ».
I. Que s’est-il passé ?
Comment est-il possible que cet escroc menteur, narcissique et baratineur, ce MAGA-maniaque, ait pu convaincre la majorité des Américains de voter pour lui !? Ce n’est pas l’Amérique que j’ai appris à aimer et à admirer quand j’étais jeune, ni l’Amérique qui m’inspire aujourd’hui.
J’ai toujours cru que l’Amérique était un phare de la liberté, démocratique et rationnelle ; que les Américains étaient des gens de bon sens qui adhéraient aux normes de la société, qui recherchaient le bien commun. Je sais, cela peut paraître naïf et, oui, il y a d’importantes exceptions.
II. Toute personne souhaitant obtenir quelque chose du président Trump peut lui transférer de l’argent directement
En raison des températures moins zéro, la cérémonie d’investiture s’est déroulée non plus sur le balcon extérieur du Capitole, qui donne sur le National Mall comme veut la tradition, mais dans la rotonde du Capitole, un espace sacré où l’histoire de la démocratie américaine est illustrée par des peintures monumentales et des statues de ses héros. Quelle ironie, l’image du retour au pouvoir de Trump dans ce même espace, le lieu du crime, envahi le 6 janvier, quatre ans plus tôt, par ses partisans en colère qui ont violemment tenté d’interrompre le processus démocratique parce que le Président Trump refusait de reconnaître sa défaite.
Les MAGAtistas, coiffés de leurs casquettes rouges faisaient la queue dans des files d’attente interminables. Il faisait froid mais ils étaient heureux. Ils m’ont dit que Donald Trump avait reçu l’onction de Dieu pour instaurer une nouvelle ère. Il rendrait l’Amérique aux « vrais Américains ». Il corrigerait tous les torts de l’administration Biden et de toutes les administrations précédentes – l’immigration, l’inflation, l’éducation publique qui enseigne l’impiété et l’anti-américanisme, le féminisme, l’élitisme, le WOKISM… tous ces maux seraient corrigés par le Président Trump. Leur justicier était de retour.
J’ai vu l’Amérique qui croit en une réalité « alternative » ; où les faits sont moins importants que les opinions ; une Amérique qui veut revenir à « l’âge d’or » quand l’Amérique était grande. Et quand ils me disent que nous avons repris notre pays, je me demande à qui ils l’ont repris et quand exactement était cet âge d’or ?
« Au cours des huit dernières années, j’ai été testé et mis au défi plus que n’importe quel président dans nos deux cent cinquante ans d’histoire… J’ai été sauvé par Dieu pour rendre à l’Amérique sa grandeur. »
Nous somes habitués aux exagérations de Donald Trump, pour ne pas dire les mensonges. La Rotonde était pleine à craquer, pas de place ici pour la populace qui a passé des heures à faire la queue dans le froid, dans l’espoir d’entrer dans une arène sportive qui n’accueillerait qu’un petit pourcentage du public, dont j’ai rencontré l’un d’entre eux dans un café. Il n’a pas eu besoin de faire la queue, il a payé $50 000 dollars pour un laissez-passer VIP.
Ce que nous avons vu est bien plus vrai que n’importe quelle partie de son discours.
Dans la rotonde, le président était entouré des hommes les plus riches d’Amérique : Elon Musk, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, ainsi que Tim Cook, directeur général d’Apple, Sundar Pichai, directeur général de Google, Shou Zi Chew, directeur général de TikTok – les oligarques émergents de la haute technologie. Ils étaient devant même le nouveau cabinet du président. Évidemment, c’est l’argent qui compte le plus.
Le président Trump avait lancé sa propre crypto-monnaie et dimanche, la veille de son investiture, elle avait rapporté plus de 50 milliards de dollars sur le papier. Cela soulève de sérieuses questions éthiques, car il n’existe aucun moyen de suivre les achats de cette monnaie, ce qui signifie que toute personne souhaitant obtenir quelque chose du président Trump peut lui transférer de l’argent directement. Le président a déjà démontré son mépris pour l’éthique.
Walter Schaub, ancien chef du Bureau de l’éthique gouvernementale sous Trump dans sa première administration, qui a quitté son poste après avoir critiqué la réticence de Trump à se défaire de ses entreprises, a écrit à CNN :
« L’Amérique a voté pour la corruption, et c’est ce que Trump est en train de livrer…. La corruption et l’appât du gain de Trump sont cette fois-ci tellement ouverts, extrêmes et omniprésents que commenter l’un ou l’autre de leurs aspects reviendrait à perdre la forêt pour les arbres. L’idée même d’éthique gouvernementale n’est plus qu’un cratère fumant ». (Source)
III. Le grand foutage de gueule
Alors, que s’est-il passé ? J’ai passé des semaines après l’élection de Donald Trump à lire divers rapports et analyses pour essayer de comprendre pourquoi les Américains avaient voté pour Trump.
Pour le sénateur Bernie Sanders, le Parti démocrate a oublié les priorités de la classe ouvrière ; il a abandonné son électorat historique. Sanders cite l’augmentation constante des inégalités économiques en Amérique au cours des dernières décennies, le coût élevé des soins de santé et une OLIGARCHIE de plus en plus puissante. {Alexander Bolton / THE HILL- 06/11/24}
Pour Robert Reich (07/11) « Pendant la majeure partie des 30 dernières années, alors que le Parti républicain embrassait le sectarisme, les mensonges et la haine pour attiser les peurs et les ressentiments de la classe ouvrière, le Parti démocrate a abandonné la classe ouvrière et a embrassé le commerce mondial, la déréglementation de la finance et la baisse des impôts sur les riches, et a permis aux entreprises de s’attaquer aux syndicats et de monopoliser l’industrie. »
Le trumpisme est la conséquence de ce changement structurel à long terme de l’économie politique américaine.
Dans son article intitulé La Politique du Désespoir, (07/11), Chris Hedges parle du désespoir des Américains pour qui le rêve américain est devenu un cauchemar.
« Le désespoir face à des avenirs qui se sont évaporés avec la désindustrialisation… le désespoir face aux programmes d’austérité et à la redistribution des richesses entre les mains d’oligarques rapaces… le désespoir face à un système démocratique qui a été confisqué par le pouvoir des entreprises et des oligarques…. La stagnation de dizaines de millions de vies, la prise de conscience que la situation ne sera pas meilleure pour leurs enfants, la nature prédatrice de nos institutions, y compris l’éducation, les soins de santé et les prisons, ont engendré, en plus du désespoir, des sentiments d’impuissance et d’humiliation. Cela a engendré la solitude, la frustration, la colère et un sentiment d’inutilité ».
Dans Mother Jones (07/11), Kiera Butler écrit :
« Peu de choses laissent les gens aussi furieux et frustrés que le sentiment que, quels que soient leurs efforts, ils ne parviennent jamais à progresser. Ce sentiment s’envenime lentement depuis les années 1980, lorsque Ronald Reagan et son équipe d’économistes de l’offre ont lancé les premières salves de ce qui allait devenir le grand foutage de gueule des classes moyennes et ouvrières américaines.
Le grand foutage de gueule a commencé avec le démantèlement des syndicats par le président Reagan et les réductions d’impôts favorables aux riches qu’il a promulguées en 1981 et 1986. La tendance s’est poursuivie avec les réductions d’impôts de George W. Bush en 2001 et 2003, et a culminé avec les réductions d’impôts de Trump en 2017 – qui, comme toutes ces autres initiatives républicaines, n’ont pas réussi à générer le degré de croissance et de prospérité promis par les partisans de l’offre. Elles ont toutefois enrichi les riches, tandis que les salaires stagnaient et que la classe moyenne se réduisait comme peau de chagrin.»
Dans The Atlantic (04/12), George Packer écrit « Les illusions démocrates qui nous ont donné le second mandat de Trump »
« Cette nouvelle ère n’est ni progressiste ni conservatrice. Le principe organisateur des campagnes chaotiques de Trump, la passion qui anime ses partisans, a été un virage réactionnaire contre des changements vertigineux, en particulier les transformations économiques et culturelles du dernier demi-siècle : la mondialisation du commerce et des migrations, la transition d’une économie industrielle à une économie de l’information, l’inégalité croissante entre les métropoles et l’arrière-pays, la fin de la famille traditionnelle, la montée de groupes précédemment privés de leurs droits, le « brunissement » du peuple américain. L’appel fondamental de Trump est un vœu de retirer le pouvoir aux élites et aux envahisseurs qui ont imposé ces changements et de rendre le pays à ses propriétaires légitimes, les vrais Américains. Sa victoire a démontré l’étendue de cet attrait dans les États bleus comme dans les États rouges, parmi tous les âges, toutes les ethnies et toutes les races… Ils veulent un homme fort qui ait l’estomac pour piétiner les piécettes libérales des élites qui les ont vendus… Lorsque les sondeurs leur demandent s’ils sont préoccupés par l’état de la démocratie, ces électeurs répondent par l’affirmative, non pas parce qu’ils craignent sa disparition, mais parce qu’elle les a déjà déçus. Ils ne pensent pas que Trump détruira la démocratie ; il la rendra au peuple. »
Personnellement, je pense que la suprématie blanche et le nationalisme chrétien sont les piliers de la vision du monde des MAGAméricains aujourd’hui. Je pense également que les émotions sont plus puissantes que l’intellect et lorsque les gens sont en colère, ils ne sont pas rationnels. Ils votent leur colère.
Aujourd’hui, en Amérique, l’anormal est normalisé.
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