Coup de tonnerre dans le Landerneau du photojournalisme ! La fameuse photo « The Terror of war » plus connu sous le nom de« Napalm girl » réalisée le 8 juin 1972 et qui montre une petite fille vietnamienne brulée au napalm courant sur une route, ne serait pas l’oeuvre du photographe d’Associated Press Nick Ut à qui elle est attribuée depuis 53 ans. Cette accusation est portée par « The Stringer » (« Le Pigiste »), un documentaire produit par la Fondation VII, qui vient d’être présenté au festival Sundance ces jours derniers.
« Paternité, injustice raciale et éthique journalistique »
La photo a fait le tour du monde et est devenue une des icônes de la guerre du Viet Nam et de la souffrance des populations civiles. Publiée des milliers de fois, il est ancrée aujourd’hui dans la mémoire collective. Sans remettre en question la validité de l’image, le film dénonce son attribution et selon le producteur Gary Knight
« Ce que nous avons découvert touche au cœur de ce qui est le plus important dans notre profession. Le film aborde les questions de paternité, d’injustice raciale et d’éthique journalistique, tout en mettant en lumière les contributions fondamentales, mais souvent méconnues, des pigistes locaux qui fournissent les informations dont nous avons besoin pour comprendre l’impact des événements mondiaux sur nous tous. Il s’agit d’une histoire que de nombreux membres de notre profession n’ont pas voulu voir racontée, et certains d’entre eux continuent de se donner beaucoup de mal pour s’assurer qu’elle ne soit pas racontée. Mais indépendamment du temps qui passe et des inconvénients qu’il peut présenter, rien ne doit entraver la recherche de la vérité dans le journalisme, car nous sommes obligés de nous demander des comptes si nous voulons demander des comptes à tous les autres. Un vieil adage dit que le journalisme est « le premier jet de l’histoire » ; il faut parfois un deuxième jet pour remettre les pendules à l’heure. »
Donc Nick Ut ne serait pas l’auteur ?
Impossible d’être affirmatif dans un sens ou dans l’autre car, malgré nos demandes, nous n’avons pas pu visionner le film. Cependant cela pose plusieurs problèmes qui appellent réflexion. Selon un article de Claire Guillot du Monde, le film baserait principalement son argumentation sur deux éléments. Tout d’abord le témoignage de Carl Robinson qui, à l’époque, était éditeur photo au bureau d‘Associated Press (AP) à Saigon et a supervisé le développement du film incriminé, son attribution et son légendage. Bien que dans un premier temps, Robinson aurait écarté l’image du fait de la nudité de la petite fille, son patron Horst Fass en aurait décidé autrement et, en mémoire du frère de Nick Ut tué lors d’un reportage pour AP, aurait crédité l’image à ce dernier. Autre point incriminant, une reconstitution 3D qui démontrerait qu’il est « très improbable » que Ut, trop éloigné de la scène, puisse avoir pris l’image qui serait en fait l’oeuvre de Nguyen Than Nghé un pigiste vietnamien travaillant alors pour NBC.
« Aucune raison de croire que quelqu’un d’autre que Ut a pris la photo »
Dès qu’elle a eu vent de l’existence du documentaire, AP ne pouvait pas ne pas réagir.
«Au cours des six derniers mois, l’AP a réalisé une enquête minutieuse, qui confirme la thèse historique selon laquelle Ut était le photographe. En l’absence de preuves nouvelles et convaincantes du contraire, l’AP n’a aucune raison de croire que quelqu’un d’autre que Ut a pris la photo. » L’investigation, assez fouillée, restitue les témoignages de sept personnes présentes lors de l’événement et encore vivantes et aucun ne remet en question que Nick Ut soit l’auteur de la photo. Parmi eux, le grand photo reporter David Burnett qui a toujours soutenu avoir vu Ut et Alexander Shimkin, un indépendant travaillant principalement pour Newsweek, passer devant tout le monde et prendre des photos alors que les enfants venaient de sortir de la fumée après le bombardement. Le même Burnett qui, bien que travaillant pour Life et Time, avait amené ses films à développer au bureau de l’AP et a déclaré dans le Washington Post en 2012: « Nick Ut est alors sorti de la chambre noire, tenant une petite copie encore humide de sa meilleure photo : une photo de 13 x 18 cm de Kim Phuc courant avec ses frères pour échapper au napalm brûlant. Nous avons été les premiers à voir cette photo ; il a fallu attendre encore une journée entière avant que le reste du monde ne la voie sur la première page de pratiquement tous les journaux » rajoutant qu’il se souvenait de Faas disant alors« Tu as fais du bon travail aujourd’hui, Nick Ut. »
A cela s’ajoute le fait que le récit de Robinson arrive très tardivement et qu’il n’en fait aucunement mention dans ses mémoires publiées en 2020 « The Bite of the Lotus » (« la morsure du lotus », éd. Wilkinson Publishing). Enfin, selon l’avocat de Nick Ut, Robinson, ayant été licencié en 1978 par AP, aurait pu développer un sérieux ressentiment vis à vis de son ex employeur. De même, que le présumé auteur réel se soit tu jusqu’à présent rajoute une couche de suspicion à une affaire qui n’en manque déjà pas. Beaucoup d’incertitudes demeurent aussi quand à la manière dont les choses se sont réellement déroulées à l’époque. Le temps a passé effaçant les souvenirs et des témoins clés ne sont plus là pour raconter. Horst Faas et Yuichi « Jackson » Ishizaki, qui a développé la pellicule, sont tous deux morts et les archives du bureau de Saigon, y compris toute trace d’une éventuelle transaction avec le fameux pigiste, ont été définitivement perdues lorsque les communistes ont pris le contrôle de la ville en avril 1975.
Certes, l’histoire ne remet pas en cause l’authenticité de la photographie en tant que telle mais pointe sur la recherche du nom de son véritable auteur. Néanmoins, aussi légitime que puisse être cette volonté de pallier à une injustice, à une époque où les progrès réalisé par l’IA générative d’image pose plus que jamais la question de savoir discerner le vrai du faux dans ce qui est soumis à notre regard, cela risque d’accentuer encore le problème de la confiance et la fiabilité des sources d’information. Et puis, si les professionnels feront bien la distinction entre véracité et paternité de l’oeuvre, il est moins sur que le grand public n’y perçoive pas la musique pernicieuse du mensonge renforçant sa défiance vis à vis des médias et des photojournalistes.
Même un demi siècle plus tard, AP joue gros dans cette histoire qui risque d’entacher sa crédibilité et peux avoir des conséquences néfastes pour le business de l’agence si ce n’est, par ricochet, pour le monde du photojournalisme dans son ensemble. Comme on est au Etats Unis, l’affaire est maintenant dans les mains des avocats et, bien que ce ne soit pas encore le cas, le problème de l’argent générée par la vente de cette photo risque de pointer son nez un de ces quatre. Quelle que soit la réalité et à supposer que l’on sache un jour le fin mot de cette affaire, une chose est sure, la profession risque ne pas en ressortir grandie et elle ne mérite certainement pas ça.
A noter que le journaliste vietnamien Vinh Beard avait déjà publié cette version de l’histoire sur son site en mai 2023 après avoir rencontré Robinson en septembre 2022.
L’article du Monde
L’enquête d’AP téléchargeable ici
L’enquête (en vietnamien) de Vinh Beard
Un article de Gary Knight à propos du documentaire
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