Ce vendredi 31 janvier 2024, s’ouvre à la Villa Tamaris de La Seyne sur mer (Var), une grande restrospective de 40 ans de travail du photographe. A Paris, la galerie Polka expose « Fashion – seen unseen ». A ces occasions et, avant de rendre compte de sa rétrospective varoise, nous republions le portrait de Gérard Uféras par son ami Alain Mingam.
Première publication dans Réponse Photo en 2007
Gérard Uféras est le seul photographe entré de son vivant au panthéon de la photographie : au musée du Louvre . Mais jusqu’à ce jour il était le seul à le savoir. C’était il y a quelques années quand emporté par une passion dévorante pour une jeune anglaise, il l’a suivie jusque sous les toits du célèbre musée où séjournait sa mère – commissaire venue de Londres en mission et experte dans l’art d’abriter les jeunes tourtereaux. Gérard Uféras y nicha quelques semaines et ses amours autant que son obsession de la peinture qui le tenait au corps et lui montait à la tête depuis l’âge de ses 12 -13 ans.
C’était le temps béni ou venu de Montreuil il sillonna tout Paris pendant 2- 3ans, pour visiter tous les musées sans exception.
Il quadrilla ainsi tous les lieux de peinture, qui firent naître en lui Gérard ce besoin permanent d’une proximité avec les grands peintres de Paolo Ucello –ce fou de perspective » à Paul Klee « fou de musique et de théâtre ».
Issu d’une famille juive venue de Lithuanie le jeune Gérard avait pour son pére une admiration sans borne – malgré ses absences professionnelles entrecoupées de rendez-vous au Cirque ou dans les salles de boxe comme déjà à l’Opéra.
Le père de Gérard -grand résistant, avait volé à un soldat allemand pour la bonne cause (photos d’identité et repérages) un Leica que Gérard utilisait souvent avant de gérer lui-même pendant 7 ans un magasin d’électro -ménager rue du Temple.
Ceci explique cela pour comprendre le terreau « humaniste », qui quelques années plus tard va permettre au jeune photographe de Rapho de tisser des liens profonds d’amitié avec Willy Ronis (1910 – 2009) et d’estime réciproque avec Robert Doisneau.
Le jeune pére de famille s’était donné un an pour devenir photographe lorsque, après avoir décidé de quitter le monde du commerce et de se marier, il avait eu le sentiment en Mai 68 de « passer à côté de quelque chose » Il ne voulait pas à nouveau manquer l’opportunité de poursuivre –appareils photos en bandoulière – la recherche d’émotions esthétiques dans le viseur de sa conscience naturellement empreinte d’engagement humaniste .
Le brillant élève du Lycée Charlemagne, présenté au Concours Général en Anglais et en Mathématiques avait déjà laissé tomber ses études pour les reprendre en 1982 à la Faculté de Vincennes. Il ne voulait plus perdre sa vie à vouloir la …gagner derrière les calculettes de son magasin de Belleville . Son premier reportage sur « l’Armée du salut » convainquit Christian Caujolle , alors Chef du Service Photo de Libération de solliciter régulièrement l’œil du jeune débutant reporter .Ce fut là le début d’une collaboration très fructueuse durant 5 ans avant de faire de Gérad Uféras un des co-fondatuers de L’agence VU .parmi les Pierre Olivier Deschamps , Alain Bizos , Pascal Delomieux ,Françoise Huguier , Xavier Lambours …
« Ma rencontre avec Christian Caujolle fut déterminante comme plus tard celle avec Jean-Luc Monterosso*, précise Gérard Uféras. Christian fut celui qui nous poussait à nous méfier de l’évidence, à nous soucier du point de vue ». Père de famille précautionneux je voulais d’abord gagner ma vie mais je me préoccupais tout autant de démarche esthétique et « Vu » fût pour moi le carrefour de toutes les trajectoires photographiques. Les Chroniques New-yorkaises de Raymond Depardon avaient déjà emprunté le chemin de la subjectivité en faisant entrer le « JE » dans l’image de presse ».
Dans les années « Vu » Gérard Uféras –plus photographe du réel que journaliste vit sa passion avec une ferveur totale. L’occasion d’une « carte blanche » qui lui est confiée en même temps qu’à Jean-Lous Sieff et Mary Ellen Mark lui permet de vire la rencontre exceptionnelle de sa vie ave l’opéra .
Appliquant la maxime d’Edouard Boubat qui « fait de l’image l’anagramme de magie il pénètre les coulisses des grands opéras de la planète de La Scala de Milan à Covent Garden avec une jubilation dont chaque page de son ouvrage « le Fantôme de l’Opéra » est la vitrine.
C’est là une constante chez Gérard Uféras : le besoin de se « mettre au chaud » et la capacité à s’intégrer dans les espaces clos de l’opéra, de la mode, de la danse et du ballet. Il reste en lui cette joie première de l’enfant qui écarte les rideaux interdits pour nous restituer la beauté des décors comme des êtres.
C’est le début d’un sortilège que ne le quittera plus.
« J’étais comme happé, envoûté de féérie en féérie. Tous ces moments ont fortement et définitivement marqué mon existence, atteste l’homme féru de musique classique autant que de jazz et toujours soucieux « d’emprunter de la beauté dans le respect d’autrui et des créateurs ». Regardons cette double page qui ouvre le portfolio. Un jeu d’ombres et de lumière dont est coutumier le photographe pour mieux souligner la grâce d’un geste de la main délicatement posée au-dessus du décolleté soyeux de la robe, la pureté des traits d’un visage légèrement incliné qui nous invite à partager l’ intimité du moment « juste avant d’entrer en scène »
« Je ne peux m’empêcher d’associer la pratique de l’Art à la notion d’Amour et de partage « avoue Gérard Uféras. Il rejoint Willy Ronis pour dire que « la photo fait de la Vie un ballet ». Tout n’est que question de placement des corps dans l’espace.
Jamais voyeur toujours amateur plus que mateur dans le bon sens du terme, toujours émerveillé par la Modernité du cliché de la « Martinique » d’ André Kertesz ou l’insoupçonnable légèreté du « Nu de Provence » par Willy Ronis, dont « La péniche aux enfants » lui semble être un des meilleurs instantanés d’une exceptionnelle virtuosité .
Gérad Uféras se méfie des discours. Il se souvient encore du temps ou certains photographes comme du temps de VIVA voulaient faire des images qui ressemblaient à leurs propos péremptoires et lénifiants.
Il n’a pour simple ambition que mettre tout esthétisme au service de l’Amour entre les gens.
Utopique, naïf, – direz-vous. Non répond Gérard Uféras . :
« Ma photographie est pétrie de culture familiale donc juive bien que jamais pratiquante ».
Traumatisé par l’holocauste, le photographe est toujours resté méfiant à l’égard du passé collaborationniste de la France. Il ne peut s’empêcher de penser que » l’homme peut-être la pire calamité pour l’Homme »
Il veut toujours croire « qu’exorciser la violence par la beauté des cadrages, la douceur reste plausible ». Premier spectateur de ses images , le plus exigeant qui soit , il ne veut jamais se décevoir .S’il fait de Robert Doisneau le photographe de l’esprit , tendrement malicieux et politique ,il considère Henri –Cartier- Bresson comme l’expression d’une intelligence toute française dans son rapport à l’art magnifié par un sens exceptionnel de la mesure de l’élégance et de l’humour .
Aujourd’hui confronté à la crise du photojournalisme- comme au tsunami économique qui n’en finit pas de faire des vagues successives et dévastatrices dans les friches industrielles des agences – sans épargner Rapho- il se souvient en toute lucidité- sans s’apitoyer- sur les moments fors partagés avec Francine Derouville , fille de Robert Doisneau pour éditer « Le Fantôme de l’Opéra » et ‘L’étoffe des rêves ».
Son jeune ami de 95 ans , Willy Ronis est là qui connaît tout de son travail pour l’entourer de son inestimable… estime et chaude amitié dans les moments de solitude de photographe au long cours .Gérad Uféras le lui rend bien qui fait de lui , à l’image d’un Irving Penn un des plus grands du siècle .L’humanité du regard de Willy, ajoute Gérad Uféras , a fait trop souvent oublier l’extraordinaire artiste qu’il est , capable de composer en sublime harmonie graphique tous les éléments d’une image. Une leçon qui l’habite en permanence dans les coulisses des défilés de mode jusqu’aux chantiers de l’usine Saint Gobain.
Il vient d’y achever en 6 mois de commande la réalisation des portraits des 2800 ouvriers cadres et patrons –tous différents les uns des autres.
Sans utiliser le numérique –incontournable demain mais la texture de l’image et le problême du flou à la prise du flou continuent de justicier de sa part une réticence.
Un défi de plus pour un photographe, trop modeste, amoureux fou de la Femme en majesté, profondément humaniste jusqu’au bout des ongles face aux périls du monde, épris de peinture comme de musique , obsédé par l’aventure des formes dans la vie comme dans tout Art .
Parce que Gérard Uféras a raison de le souligner: « L’aventure visuelle est la plus grande qui soit. »
Gérard Uféras La Grâce & le Feu
1er février 2025 au 27 avril 2025
Site de la Villa Tamaris
et
“FASHION – SEEN/UNSEEN” de Gérard Uféras
Du 23 janvier au 15 mars 2025
Site de Polka Factory
- Gérard Uféras
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