Image réalisé avec l’IA

l y a une dizaine d’années, j’ai écrit un article qui est devenu viral et a suscité de nombreux débats. À l’époque, l’IA commençait tout juste à montrer le bout de son nez, et la manipulation d’images était déjà en plein essor grâce à une variété de logiciels très puissants comme Photoshop d’Adobe.

L’origine de l’article était liée à l’évolution constante des règles d’acceptation dans les différents concours de photojournalisme, qui tentaient de s’adapter à une technologie en constante évolution. L’article se demandait si des règles rigides pouvaient vraiment garantir l’intégrité photographique. L’intention était noble, évidemment, puisqu’il s’agissait de maintenir l’authenticité et la véracité comme condition première pour qu’une photo soit acceptée dans la compétition. À l’époque, j’étais d’avis, et je le suis toujours, qu’il n’est pas possible de fixer des limites dans un paysage en constante évolution, car la technologie continuera à avoir une longueur d’avance sur les règles que nous croyons définitives. Aujourd’hui, comme nous le voyons, il est devenu impossible de distinguer une image réelle d’une image entièrement créée par des méthodes synthétiques. Et si ce n’est pas encore le cas pour le photojournalisme, certaines des images générées ont même fini par gagner des concours de « photographie ». Ma conclusion à l’époque, qui est toujours d’actualité, était que ce n’étaient pas les outils qui comptaient pour juger de la qualité et de l’authenticité d’une image photojournalistique, mais bien l’intention. L’intention du photographe.

Toute photographie est un mensonge

J’en suis arrivé à la conclusion que toutes les images, toutes les photographies, sont des mensonges. Ou plutôt, une reconstruction de la réalité délibérément modifiée pour correspondre au point de vue de chacun. Au-delà des odeurs, des mouvements et des bruits, automatiquement supprimés, les photographes ne décident pas de ce qu’ils veulent capturer, mais plutôt de ce qu’ils veulent supprimer. Non seulement par leur cadrage, mais aussi par le choix de l’optique et du format de l’appareil photo, la distance par rapport au sujet, et même la décision de couvrir quoi que ce soit. Le travail d’un photojournaliste est un témoignage. Ce n’est pas une reproduction scientifique. Il est biaisé, fondé sur des opinions et fortement imprégné de sa propre culture, de son sexe et de sa race, parmi de nombreuses autres influences. Par conséquent, dire qu’il ne faut pas utiliser des outils de correction de l’exposition d’une image déjà prise parce que cela altère la réalité revient à insister pour qu’un réalisateur de films de science-fiction ne filme que ce qui existe. Trop tard, le mal est déjà fait depuis longtemps. Le monde du photojournalisme doit accepter le fait que le photojournalisme n’est pas la vérité, ni une représentation exacte de la réalité. C’est une interprétation, un témoignage. Et comme tous les témoignages, il est plein de déformations et de défauts de subjectivité. Par conséquent, peu importe les « outils » utilisés, tant qu’ils tentent sincèrement de transmettre le caractère émotionnel, factuel et contextuel de linstant. Tout est question d’intention. Si l’intention est de témoigner avec le plus d’exactitude possible, l’utilisation d’outils de modification de l’exposition, le recadrage, la mise en évidence et même la suppression d’objets sont tout à fait acceptables. Le fait qu’il y ait un câble hideux en haut à droite de l’image n’enlève rien à l’information contenue dans le reste de l’image. Lorsque nous témoignons oralement d’un événement, nous ne le décrivons jamais de la même manière et nous ajoutons ou supprimons constamment des informations. Peu importe, car le cœur du témoignage, l’information qu’il transmet, reste le même. Et avant les appareils photo, c’est ainsi que nous avons construit de grandes civilisations.

Qu’est-ce qui est réel ?

À l’ère de l’IA, où nous pouvons désormais produire n’importe quelle image avec la qualité d’une image « réelle », il est d’autant plus important de reconnaître et de définir la différence. Quelle est donc la différence si les deux sont réalistes ? L’une est obtenue en capturant des objets réels qui reçoivent la lumière, à un endroit et à un moment donnés. L’autre est une réplique, une construction de cet événement, sans aucune relation physique ou matérielle avec lui. La différence fondamentale est à la fois temporelle et physique. L’une est prise au même moment et au même endroit que l’événement représenté. C’est la partie « réalité ». L’autre n’a aucun rapport avec l’événement, avant, après, même pendant, il n’est toujours pas parfaitement synchronisé avec cette fraction de seconde. Une photographie n’est pas seulement inscrite dans le temps et l’espace, elle est le résultat d’un témoignage. Même automatisée, elle naît d’un moment qui s’est réellement produit. L’image de l’IA est inventée, elle n’est pas vécue. Ainsi, le photojournalisme, au lieu de jouer le rôle de documentation scientifique, ce qui n’a jamais été le cas, devrait mettre en évidence et développer son caractère unique : le témoignage. Et autoriser toutes les manipulations de l’image (du choix de l’appareil photo à l’objectif, en passant par les réglages, le positionnement, les outils de post-production et le montage), pour autant qu’elles contribuent à l’intention.

La volonté d’informer

Les images générées par l’IA qui visent à représenter des événements réels peuvent servir le journalisme, tout comme les croquis, les infographies ou les reconstitutions l’ont fait par le passé, tant qu’elles sont présentées de manière transparente et motivées par une intention sincère d’informer et non de tromper. Ce n’est pas le support qui détermine la véracité, mais la motivation qui le sous-tend. La transparence, par le biais d’un étiquetage, de métadonnées ou d’indices visuels, est essentielle pour préserver la confiance. Ce qui ne doit pas être autorisé, le limite à ne pas franchir, c’est l’intention d’informer de manière trompeuse. C’est ce que nous jugeons dans l’image d’un photojournaliste : sa fidélité à la vérité. Et comment jugeons-nous de cela ? Où sont les limites, les frontières ? Nous jugeons en définissant la provenance, comment l’image a été faite, par qui et pourquoi, et en réintroduisant l’élément humain. De la même manière que, dans un procès, nous savons qui est le témoin (policier, voisin, amant, etc.) et comment cela influe sur son témoignage, il en va de même pour les photographies. Deux conditions sont donc nécessaires pour juger correctement une image photojournalistique : sa provenance et une liste transparente de ce qui a été fait à l’image depuis sa prise de vue jusqu’à sa présentation à un jury. Parce que la confiance est une relation, une relation humaine, et que la compréhension de l’intention en est le fondement. Le photojournalisme n’a jamais consisté à figer la réalité, mais à choisir où se placer et pourquoi. À une époque où les images peuvent être créées à partir de rien et où la perfection est facilement simulée, ce qui distingue encore une photographie, c’est ce qui la sous-tend : l’intention, le contexte, la responsabilité. Non pas non modifiée, mais transparente. Pas neutre, mais humaine. Fortement humaine.

Première publication en anglais

Paul Melcher
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