
Il y a cinquante ans, Hubert Van Es prit sa célèbre photo d’un hélicoptère sur un toit pendant que des Américains et des civils vietnamiens grimpaient désespérément à une échelle pour s’échapper de Saigon. Le lendemain, le 30 avril, après une semaine de combats intenses, les chars nord-vietnamiens entrèrent dans Saigon.
La photo emblématique de Hubert Van Es de United Press International (UPI) est devenue une métaphore du retrait désespéré des États-Unis après des années d’avoir mené une guerre controversée qui a coûté la vie à des milliers de soldats américains et à plusieurs millions de Vietnamiens, du Nord et du Sud. Pour les Américains, la guerre du Viêt Nam a commencé en 1965, lorsque le président Johnson a engagé un soutien militaire massif au Sud-Viêt Nam suivant l’adoption par le Congrès américain de la résolution du golfe du Tonkin.
Grandir dans les années 1960, comme se fut mon cas, signifiait vivre une époque exaltant au milieu :des turbulences et des transformations. Non seulement qu’il y a eu la guerre au Viêt Nam, mais aussi le mouvement pour les droits civiques des noirs et l’agitation politique généralisée. Le publique américain était abreuvé quotidiennement par ces informations à la télé. Pour moi, c’était les images publiées chaque semaine dans Time, Newsweek, Life et une pléthore de quotidiens à travers le pays qui étaient plus immédiates et plus percutantes. Une révolution culturelle était en cours : les jeunes remettaient en question les valeurs de la génération précédente avec des slogans tels que « Ne faites confiance à personne de plus de 30 ans », rejetant le conformisme en faveur de la liberté, de l’expérimentation et de la rébellion. La révolution sexuelle et la montée en puissance du mouvement de libération des femmes ont encore bouleversé les normes sociales. Cette décennie a été marquée par de profondes divisions entre les générations, les races et les idéologies.
C’était ma génération !
C’est aussi une époque marquée par un incroyable élan de créativité et de changement qui se répercute encore aujourd’hui. Il y avait la musique : Dylan, Joan Baez, Crosby, Stills, Nash & Young, les Doors, Jefferson Airplane, Led Zeppelin, Jimi Hendrix, Aretha Franklin et Woodstock, le festival de musique qui les a tous réunis.
Nous avons été inspirés par des écrivains tels qu’Allen Ginsberg (Howl), Jack Kerouac (Sur la route), Ken Kesey (Vol au-dessus d’un nid de coucou), Hunter S. Thompson, le pionnier du « Gonzo journalisme », dont le travail a capturé l’esprit de rébellion, la consommation de drogues et la désillusion politique qui ont défini l’époque, Timothy Leary qui a préconisé l’utilisation du LSD et a écrit L’expérience psychédélique avec Richard Alpert, alias Ram Das (Be here now) ; Hermann Hesse (Steppenwolf).
Et puis il y avait les photographies de Charles Moore, Danny Lyon, Bruce Davidson, Spider Martin qui couvraient le mouvement des droits civiques dans le sud des Etats-Unis. Au Viêt Nam, Malcolm Browne a pris la photo du « Burning Monk », Nick Ut celle de la « fille au napalm », Eddie Adams celle de l’exécution d’un Viêt-Cong à Saigon, Larry Burrows celle de « Reaching Out » ou « Yankee Papa 13 » et Don McCullin celle d’un soldat, traumatisé, regardant dans le vide. La photo de Marc Riboud « la jeune fille au fleur » et la photo de John Filo de l’assassinat de quatre étudiants par la Garde nationale lors d’une manifestation anti-guerre à Kent State (1970). Et tant d’autres…
Au moment de la chute de Saigon en 1975, j’avais déjà entamé mon propre voyage photographique, largement inspiré par les images emblématiques de cette période turbulente et créative de l’histoire américaine. Je voulais faire comme ceux qui m’ont précédé. Je voulais dénoncer l’injustice et vivre des moments historiques. La chute de Saigon n’a pas seulement marqué la fin de l’aventure militaire américaine en Asie du Sud-Est, elle a également marqué la fin symbolique d’une décennie de troubles et de crise d’identité. En 1975, l’Amérique était à la dérive dans une crise de confiance. J’étais déjà en Europe, je regardais vers d’autres horizons.
Au cours de ma carrière professionnelle (1980-2017), j’ai couvert des conflits, des catastrophes humaines et quelques moments historiques, mais j’ai toujours regretté d’avoir été trop jeune pour couvrir la guerre du Viêt Nam et peut-être encore plus pour moi aujourd’hui, la lutte pour les droits civiques en Amérique. Qui sait ? Ces prochaines années de Trump II m’offriront peut-être l’occasion de faire ma propre image iconique.
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