Avec « Retour à Killybegs », aux éditions Grasset, Sorj Chalandon décroche, au premier tour, le grand prix du roman de l’Académie française, et est également finaliste pour le Goncourt et l’Interallié. Un livre qui est le roman d’une histoire vécue et extraordinaire.
Pour la littérature, Sorj Chalandon est l’auteur de « Le petit Bonzi » (2005), de « Une promesse » (Prix Médicis 2006), de « Mon traître » (2007), de « La légende de nos pères » (2009) et enfin de ce « Retour à Killybegs » que j’espère promis à un beau succès de librairie.
Pour le journalisme, Sorj Chalandon fait, depuis trois ans, partie de l’équipe du Canard Enchaîné, dans le service de Louis-Marie Horeau. Mais le nom de Sorj Chalandon reste aujourd’hui encore indissociable du quotidien Libération.
Comme beaucoup du « Libé » du début des années 70, il n’arrive pas d’une école de journalisme. « Il est entré à Libération dès les premières semaines » écrit Jean Guisnel dans sa biographie du journal « D’abord pour y créer une formidable petite bande dessinée, « Derrière les murs de l’asile », univers qu’il connaissait bien pour avoir été infirmier psychiatrique ».
J’étais déjà en rupture de gauchisme, et lui, déjà passionné par l’Irlande.
Avec cette expérience, il ne devait pas être aussi dépaysé que je l’étais. La rédaction du « Libé » de ces années là ressemblait parfois à un asile de fous, sortant où s’apprêtant à intégrer un hôpital psychiatrique. Le « Petit Bonzi » s’y fit d’abord une place à « la fabrication », c’est-à-dire à l’atelier de composition et de photogravure du journal situé au rez-de-chaussée de la « rue de Lorraine » à Paris. Un chaudron d’où sortirent de belles plumes : Michel Chemin, Alain Dugrand, Anne Valley, Sorj Chalandon…
Sorj, qui n’est pas très grand par la taille, était également plutôt fluet. Je le revois engoncé dans une parka, un bonnet sur la tête enfoncé jusqu’aux oreilles. Silhouette discrète, caractère modeste. J’étais déjà en rupture de gauchisme, et lui, déjà passionné par l’Irlande. Un pays dont le climat ne m’attirait pas. Et puis cette guerre civile dont il nous rabattait les oreilles à longueur de conférence de rédaction, ne me concernait pas. Je n’étais pas le seul. Le conflit anglo-irlandais se résumait pour la majorité à une histoire de catholiques et de protestants, dans une époque où nous étions tous farouchement anticléricaux. Nous nous trompions, mais nous n’étions pas à une erreur près. Résultat, malgré une évidente sympathie mutuelle, nous ne nous rencontrâmes point. Je quittais « Libé » au moment où Sorj devint « le » spécialiste de l’Irlande.
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Témoignage
« Un reportage avec Sorj comme guide au cœur du chaudron en activité des quartiers catholiques de Londonderry à Belfast un week-end de Pâques. Des entretiens avec des figures catholiques, des rendez-vous clandestins avec l’IRA et le Sinn Fein. Des soirées dans les pubs enchantés de l’émotion irlandaise. Des jours et des nuits qui composent un merveilleux souvenir professionnel et amical. J’aime le talent de Sorj et sa passion de comprendre les hommes comme en témoigne son roman. » Serge July par Sms 28/10/2011
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Sorj Chalandon devait plus tard aller vers d’autres sujets, vers d’autres conflits dont celui qui embrasa Beyrouth. Alain Ménargues (Radio France), François Luizet (Le Figaro) et Sorj Chalandon furent les premiers journalistes à pénétrer, le samedi 18 septembre 1982, dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila où se déroulait le massacre qu’a retenu l’Histoire. Sorj en restera marqué et livrera, pour la première fois, un témoignage bouleversant en pour le film « Sans blessures apparentes, enquête chez les damnés de la guerre » de Jean-Paul Mari et Franck Dhelens.
Sorj devint une signature, une belle signature dont j’avais plaisir à lire les reportages et qui, plus tard en 1988, reçut un prix Albert Londres bien mérité pour ses reportages sur les conflits en Irlande du Nord et sur sa « couverture » du procès de Klaus Barbie. Et puis, un jour de juin 2006, comme Sorj me le raconta en septembre dernier : « Serge July est parti de Libération… Alors, je suis sorti aussi. »
Quarante ans après…
Quand, il y a quelques mois, sortit le premier numéro de la revue6mois, j’appris que l’homme qui en avait eu l’idée était écarté de la rédaction en chef. Pour vérifier les dires de l’éjecté, je téléphonais aux auteurs figurant dans le sommaire pour savoir qui leur avait commandé les articles de ce numéro.
Page 256, débutait un article qui avait d’autant plus retenu mon attention qu’un confrère, Yves-Michel Riols de L’Expansion-L’Express, trouvait « plus convenu : la photobiographie de Gerry Adams, l’ancien dirigeant des terroristes de l’IRA, reflet de l’étrange fascination française pour la martyrologie irlandaise »… Le genre de réflexion vraiment convenue qui m’agace, qu’il s’agisse de l’IRA ou d’autres « luttes armées ». Je téléphonais à Sorj Chalandon. Son accueil fut amical et sa réponse simple : « Je n’ai pas de collaboration en dehors du Canard Enchaîné, mais je ne pouvais pas refuser ce papier à Alain Frilet, car c’est grâce à lui et à son frère Patrick que je suis allé en Irlande… »
Apprendre à pisser
« Je connais Sorj depuis que j’ai 16 ans» me dit Alain Frilet, ancien rédacteur-en-chef de « 6mois », de l’agence Gamma et d’autres lieux photojournalistiques. « Au début des années 70, j’avais étudié l’anglais et l’histoire. En 1976, j’en avais marre des discussions politiques parisiennes de ces années là. J’ai cherché un poste d’enseignant à Belfast et, tout en préparant mes cours, je faisais des correspondances texte et photo pour l’agence Sipa press et Libération. Sorj est naturellement venu me voir à Belfast à la fin de l’année 76 si je me souviens bien. Je lui ai présenté mes amis. Nous avons fréquenté les même pubs et appris à pisser ensemble. »
« La première fois que j’ai vu mon traître, il m’a appris à pisser. C’était à Belfast, au Thomas Ashe, un club réservé aux anciens prisonniers républicains. » écrit un Sorj Chalandon qui se décrit sous le pseudonyme d’Antoine, dans « Mon traître » (2007). Ce traître là, il lui donne un nom, Tyrone Meehan.
« J’ai rencontré Antoine au Thomas Ashe, en avril 1977. Il a prétendu que je lui avais appris à pisser ce soir-là, mais je n’en n’ai aucun souvenir», écrit Sorj Chalandon dans « Retour à Killybegs » (2011). En deux phrases, on aura compris que ce « dernier livre sur l’Irlande » est comme un miroir du premier. L’un est écrit du point de vue d’un « petit français » ami d’un militant de l’IRA, l’autre du point de vue du traître.
Dire que l’histoire mérite bien deux livres est peu dire. La réalité dépasse la fiction. En fait, Sorj Chalandon rencontre dès ses premiers séjours à Dublin, Denis Donaldson. Les deux hommes sont de la même génération. Denis est né en 1950 à Belfast, Sorj en 1952, mais à Tunis.
« D’abord, je l’ai pris pour un américain, de ceux qui tremblent de toutes leurs racines irlandaises…/… De ceux qui aiment tout de l’Irlande, de sa boue à sa pluie, de sa pauvreté à sa tristesse. De ceux qui veulent se rendre utiles, qui demandent un fusil, mais qui hésitent quand même à nous donner leur passeport avant de le déclarer perdu au consulat américain», fait dire Sorj à son traître.
« Et puis j’ai regardé ses lèvres, leur mobilité extrême, cette façon particulière qu’ont les français de mâcher largement leurs mots. Il parlait bouche ouverte, comme les gens sans secret. »
Sorj Chalandon, journaliste à Libération est donc devenu ami avec Denis Donaldson, membre de l’IRA provisoire et du Sinn Fein. Ils vont se côtoyer pendant plus de vingt ans, au gré des reportages de Sorj à Belfast, puis des visites de Denis Donaldson à Paris. Sorj connaît – croit tout connaître – de Denis : sa femme, ses amis, ses goûts, ses chansons… Ils s’hébergent mutuellement, l’un à Belfast et l’autre à Paris. C’est une belle amitié, une très belle et chaleureuse amitié qui symbolise magnifiquement l’amour – le mot n’est pas trop fort – que Sorj Chalandon porte à l’Irlande.
Mais, le 17 décembre 2005, dans une conférence de presse au siège du Sinn Fein, Denis Donaldson révèle sa collaboration avec les services spéciaux du MI5 et la Special Branch de la police de l’Irlande du Nord. Le militant, le soldat est un traître, un vrai. Le choc est énorme pour sa famille et ses amis de l’IRA et du Sinn Fein. Mais c’est également un traumatisme sans nom pour l’ami et le journaliste qu’est Sorj Chalandon.
Il en fera deux ans plus tard un premier livre « Mon traître » écrit du point de vue d’un Antoine « petit français » amoureux de l’Irlande. Mais la blessure est toujours là. Il lui faut écrire un autre livre. « Retour à Killybegs » est écrit du point de vue de « Denis… euh non de Tyrone Meehann »… Vendredi 16 septembre 2011, 203 bis avenue Daumesnil, à côté de la place du même nom, à la librairie « Atout livre », c’est la première signature de « Retour à Killybegs ». L’émotion de Sorj est toujours là, bien présente, malgré ses deux ouvrages.
Deux livres, qui au delà de l’histoire extraordinaire qu’il a vécue et nous conte, sont aussi des cris d’amour pour les irlandais et l’Irlande. De quoi donner envie d’aller goûter la Guinness à Belfast.
Et « Retour à Killybegs » est une œuvre, qui porte à la réflexion sur l’homme, sur les autres et sur soi, comme le dit un mur de Belfast cité par Sorj : « Savez-vous ce que disent les arbres lorsque la hache entre dans la forêt ? Regardez ! Le manche est l’un des nôtres ! »
Michel Puech
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