Présenté le 12 février 2014 à Tunis, en avant-première, aux Rencontres des réalisateurs de films tunisiens, War Reporter d’Amine Boukhris est un documentaire exceptionnel sur la « couverture » des « Printemps arabes » par les photojournalistes et cameramen. Un document historique que nous avons vu en avant-première.
Dur. Très dur. Insoutenable.
Violent. War reporter mérite ces qualificatifs. Nathalie Donnadieu, la compagne de Lucas Dolega, ce jeune photographe tué d’un tir de grenade lacrymogène le jour du soulèvement du peuple tunisien contre la dictature, m’avait alerté. Elle était choquée.
Qui ne le serait pas ? La mort en direct, est le pain quasi quotidien des reporters qui se rendent sur les conflits. Ils photographient et filment chaque jour la mort des autres. Mais la mort des « nôtres », la mort des journalistes restent un tabou.
On veut bien parler et montrer, éventuellement, « nos » blessés, « nos » otages, mais « nos » morts : non ! Un mot un soir au journal télévisé. Une émission spéciale exceptionnelle pour la mort de Gilles Jacquier d’Envoyé spécial (France Télévision)….
« Nous ne sommes pas là pour parler de nous. » Certes, mais les romans et les films de fiction ne manquent pas. Ils montrent souvent une vision « hollywoodienne » du métier de reporter. Ils entretiennent le mythe du reporter, invincible « beau gosse » que les cicatrices ne font jamais souffrir.
Même les documentaires, où les récits et témoignages vécus, écrits honnêtement, produits sérieusement par des individus qui ont été, ou sont sur le terrain, n’échappent pas totalement à une certaine esthétisation du discours sur « le métier ». Moi-même, ici même…
La violence de War reporter, c’est de nous faire vivre la condition du reporter sur le terrain quand il court, quand il a peur, quand il est blessé. Et quand il meurt !
Les minutes durant lesquelles Lucas Dolega est déjà en train d’agoniser dans la voiture qui le conduit à l’hôpital ce 14 janvier 2011 sont insupportables pour tout spectateur qui, comme moi, n’a pas connu Lucas Dolega. Que dire pour ses parents, sa compagne, sa famille, ses amis ?
Mais, pourquoi les médias pourraient-ils montrer la mort des autres et pas celle des journalistes, des « nôtres » ?
Face à Hollywood, il y a Tunis, Homs etc. Il y a tant d’autres lieux où sont tombés les reporters. Les jeunes gens, en mal de baroud, apprentis reporters ne doivent pas être bercés d’illusions. Ils doivent voir la réalité. Ce film doit être projeté dans tous les festivals et les écoles de journalisme. Et, évidemment, il doit être montré au grand public, à la télévision.
« Je ne sais pas si j’avais envie de voir ce film…
Je ne sais pas si j’aurai dû le voir»
Mise à part la violence des images, je parle de celles « de sang », comme de celles où le cameraman court en laissant tourner, le fait marquant du documentaire d’Amine Boukhris, ce sont les hommes qui parlent : des reporters arabes en majorité.
« Les printemps arabes c’est le Vietnam de notre profession » me dit un grand reporter chevronné qui connait bien le Maghreb et le Moyen-Orient. « J’ai beaucoup apprécié que ce doc donne la parole aux OS de ce métier, aux « locaux », la parole à des arabes, à ceux qui sont là tout le temps et qui font ce métier chez eux.»
« C’est la première fois que l’on montre le métier crûment. C’est ça qu’on se prend en pleine gueule avec ce film ! En général, même quand on a des images, les rédactions nous censurent s’il s’agit des nôtres. Dans ce film, les reporters qui parlent, ce sont des gens simples qui rentrent chez eux le soir. Ils ne vont pas décompresser ! C’est chez eux que ça se passe ! Ils ne rentrent pas à Paris, ni à New York. »
« Je ne sais pas si j’avais envie de voir ce film… Je ne sais pas si j’aurai dû le voir» conclut l’homme visiblement éprouvé par le visionnage. « C’est la première fois qu’on me montre vraiment des collègues qui meurent. Et là, tu te poses la question pourquoi pas moi ? Et quand ça va m’arriver ? »
Il faut donc remercier les courageux reporters, photographes ou cameramen, Nassim Boumzar, Ahmed Bahaddou, Eyad Hamad, Nicolas Garriga d’être entré dans le projet d’Amine Bouhkris et de lui avoir ouvert leur coeur.
Leurs témoignages sont époustouflants de vérité. Ils crèvent l’écran. Il faut remercier également les familles et les amis de Lucas Dolega et de Rémi Ochlik d’avoir compris l’intérêt que ce film exista. Amine Bouhkris a conçu le film avec Lucas et Rémi qui ouvrent et ferment dramatiquement War reporter.
« Ce film est un documentaire « sur » et « avec » les reporters car ils ont aussi été mes cameramen pendant le tournage » a-t-il déclaré au site JOL. Et cela se voit, s’entend, se ressent. « Ce film montre le périlleux métier qu’ils exercent : filmer et photographier la vérité au péril de leur vie.» Il montre le métier de reporter de guerre au plus près, au plus vrai. « Il faut aller chercher les images à la source » dit l’un d’entre eux. Ils l’ont fait.
« La guerre est pire que les drogues » la phrase est de Rémi Ochlik. Elle figure en exergue du film War Reporter.
Avant de réaliser ce film, Mohamed Amine Boukhris, 28 ans, a travaillé comme cameraman-stringer avec les télévisions APTN et Al Arabiya. Il doit venir présenter le film à Paris. Quand ? Rien n’est fait, mais il faut que cela se fasse car ce documentaire (en arabe, en anglais et en français) doit faire le tour de la planète d’Albert Londres.
Michel Puech
Pratique
War Reporter
Documentaire de 74 minutes
Réalisateur : Mohamed Amine Bouhkris – Producteur : Nejib Ayed
Rives Productions, 96, rue Radhia Hadded 1000 Tunis (Tunisie)
Mailto: rivesproductions@gnet.tn – Phone:+216 71 33 52 58
Liens
Dernière révision le 26 mars 2024 à 5:16 pm GMT+0100 par
- Marius Bar
Les chantiers navals de « La Mecque » - 20 décembre 2024 - PSnewZ
De la liquidation de Panoramic,
à la création d’une nouvelle agence photo - 13 décembre 2024 - Affaire Bernard Faucon
La fin de l’omerta dans le milieu de la photo ? - 6 décembre 2024