63% des français ne pensent pas que les journalistes soient indépendants du pouvoir politique, écrit « La Croix » ce mardi 8 février 2011. La veille, une poignée de photojournalistes débattait des risques du métier à l’occasion de l’exposition Henri Huet à la Maison européenne de la photographie. Grandeurs et décadences.
Il n’y a qu’un seul jour dans l’année où toutes les revues de presse hexagonales citent le grand quotidien catholique français « La Croix ». Il faut bien le dire, ce n’est pas tous les jours dimanche pour « La Croix » ! Mais ce mardi 8 février, le quotidien dégaine son « TNS Sofres- La Croix », annuel « marronnier »* de la profession.
« Je t’aime moi non plus » titre le quotidien qui ajoute « les français sont demandeurs d’informations mais doutent de la qualité des journalistes. »
En 1987, quand l’excellent quotidien a ouvert cette enquête, « les français » (ndlr : vous ?) étaient 62% à avoir un « très ou assez grand » intérêt pour l’information. Vous, nous, « les français » sont 69% aujourd’hui. Alléluia !
« L’opinion sur le traitement par les médias de quelques grands évènement de 2010 » met en valeur, selon le quotidien « Le trop plein pour les stars du football » et montre l’immense frustration des lecteurs pour des articles sur le déficit et la dette publique du pays !!!
Comme on voudrait y croire ! Comme on voudrait louer l’intelligence des lecteurs-auditeurs-téléspectateurs-surfeurs des autres médias ! Car il est entendu que « les nôtres » de lecteurs, à Mediapart, et en particulier « les miens » de lecteurs sont super intelligents. La preuve ? Vous êtes encore là ! Et, comme dirait l’autre « de plus en plus nombreux, me dit-on. »
Hélas, si l’on écoute les sondeurs, Arte est la reine des chaines de télévision et « La princesse de Clèves » le livre de chevet de tous les français….
Pourquoi je vous parle de ce sondage ?
Déjà pour faire un peu de publicité à cet excellent quotidien, qui pour être catholique, est l’une des publications les plus sérieuses de ce pays. Trop méconnu, « La Croix » n’est pas ce bulletin paroissial « chiant » que trop de gens croient. C’est un journal intelligent, fait par des gens tolérants. Il mérite les 130 centimes d’euros que vous allez donner aujourd’hui à votre kiosquier pour satisfaire votre curiosité et lire, par exemple, les excellentes critiques photographiques qu’il publie.
Je lisais donc « La Croix » en allant à la Maison européenne de la photographie (MEP) où quelques centaines de personnes faisaient la queue pour le vernissage de plusieurs expositions. Des expositions d’artistes – pour ceux qui aiment la photo d’art – et une exposition consacrée au photoreporter d’Associated Press : Henri Huet.
Dans la cave de la MEP, je retrouvais la brochette de briscards, anciens du Vietnam, rencontrée la veille au Centre d’accueil de la presse étrangère (CAPE) au Grand Palais.
Deux jours de plongée dans l’époque mythique du photojournalisme, celle de la guerre du Vietnam. Cette époque où les reporters photographes pouvaient aller partout sur tous les fronts sans contrainte. Henri Huet, comme Larry Burrows, comme Christian Simonpietri, comme tant d’autres sautaient des hélicoptères aux jeeps, « shootant » les soldats américains blessés, les morts et « les viets » torturés. S’il y a eu, un jour, « un âge d’or du photojournalisme » c’est sûrement cette époque qui en mérite le titre et pas celle des années 80/90 où le fric des photos de « people » a pourri la profession avec la complicité de toute la chaîne éditoriale, des patrons de magazines à ceux d’agences de presse.
Henri Huet, français né en Indochine comme son ami Christian Simonpietri de l’agence Gamma-Sygma, travaillait pour l’agence américaine Associated Press (AP). Avant d’être assassiné par un tir sur l’hélicoptère qui le transportait, il a réalisé une foule de clichés inoubliables qui ont fait les unes de toute la presse mondiale et en particulier de « Life », bible du photojournalisme.
En organisant un débat sur le thème « De Henri Huet à Lucas Dolega : le métier de photojournaliste en zone de conflit », Horst Faas, ancien directeur des opérations photographiques d’Associated Press au Vietnam, et Hélène Gédouin, co-auteurs de « Henri Huet : J’étais photographe de guerre au Vietnam», répondaient « aux français » du sondage TNS-Sofres-La Croix.
Ils offrent aux regards « des français » l’album photo d’un journaliste intègre, totalement insensible aux pressions des pouvoirs politiques et militaires, totalement insensible aux pressions de l’argent. Et ajoutons le, totalement insensible au nationalisme, contrairement à ce qui se passera pour la « Golf War ». Horst Faast racontait lundi comment le Président Lyndon Johnson s’étonnait qu’il y eut si peu d’américains au bureau de Saigon d’Associated press… « Nous étions une bande de copains, de toutes les nations, animés par une seule passion : photographier l’actualité. Henri Huet ne se disait pas photographe de guerre, mais photographe d’actualités (news photographer). Peu importait la couleur de nos passeports, ce qui comptait, c’était les visas qui nous permettaient d’aller ici ou là au gré des évènements ».
Malgré certaines thèses récentes, la presse a joué un grand rôle dans la prise de conscience par l’opinion mondiale des horreurs de la guerre du Vietnam. Quel lecteur de plus de cinquante ans n’a pas en tête la photographie de Khim Phuc, cette jeune enfant vietnamienne qui court nue et brûlée par le napalm d’un bombardement américain ? Nick Ut, son auteur, prix Pulitzer 1973 est là ce lundi, pour ce débat au Grand Palais. Il est là aussi, mardi, à la MEP pour le vernissage d’Huet où l’on peut voir ce fantastique portrait de GI’s en « Une » de ce billet.
Ces photographies sont des icônes du XXème siècle, à elles seules, pour leur impact dans nos consciences, elles justifient tous les risques que prennent les photographes d’actualité. Elle donne toute sa valeur au sacrifice d’un Henri Huet en Asie, d’un Lucas Dolega à Tunis, sans parler des centaines d’autres. 79 journalistes inscrits sur la stèle 2009 du Mémorial de Bayeux.
Et, elles expliquent également qu’aujourd’hui, en dépit des immenses difficultés financières, quelques grosses dizaines, voire centaines, de jeunes gens se battent tous les jours à Tunis, au Caire, à Port-au-Prince et ailleurs pour « shooter » la détresse humaine.
A une cinquantaine d’années de distance, Henri Huet et Lucas Dolega se donnent la main. Ils sont morts pour nous. Nous, nous ne pouvons faire qu’une chose : ouvrir notre porte-monnaie, donner quelques pièces au kiosquier pour « La Croix », un petit billet pour l’album David Burnett de Reporters sans frontières, et/ou sortir notre carte bancaire pour, par exemple, s’abonner à Mediapart.
Bonne lecture
Michel Puech
Première édition le 10 février 2011 in Club Mediapart
Lire également
Henri Huet, hommage par Michel Puech in « La Lettre de la photographie »
Henri Huet par Alain Mingam in « La lettre de la photographie »
Henri Huet « J’étais photographe de guerre au Vietnam » Textes de Horst Faas et Hélène Gédouin. Editions du Chêne
Exposition jusqu’au 10 avril 2011
Maison européenne de la photographie
5/7 rue de Fourcy 75004 Paris Tél. : 01 44 78 75 00
www.mep-fr.orgDernière révision le 28 décembre 2023 à 11:26 am GMT+0100 par Michel Puech
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