L’agence de presse Sygma, qui occupa avec Gamma et Sipa, entre les années soixante-dix et la fin du XXe siècle, la première place dans le monde du photojournalisme a été mise en liquidation ce mardi 25 mai 2010 à 14h15.
29 salariés vont donc recevoir leurs lettres de licenciement, et le sort de plusieurs millions de clichés est entre les mains de Maître Gorrias nommé liquidateur judiciaire.
Il n’y avait pas foule ce jeudi matin à 9h30 dans la salle des pas perdus du tribunal de commerce de Paris contrairement à ce qui s’était passé en juillet dernier pour le dépôt de bilan de Gamma (Eyedea Presse). Le ramdam de l’été dernier a visiblement servi de leçon à Corbis qui a annoncé son dépôt de bilan à la veille du week-end de Pentecôte.
Devant le président Cardi en salle du conseil : Stefan Biberfield gérant de la société et son conseil Maître Le Roquais, Sébastien Dupuy rédacteur-en-chef et Sylvain Bouillon responsable commercial, représentants du Comité d’entreprise. Une demi-heure de débat non public. A la sortie, le gérant et son avocat ne sont guère bavards. Et l’après-midi, pour l’énoncé du jugement public, il n’y aura personne pour l’entendre, hormis votre serviteur.
« Dans sa grande intelligence » comme disent les avocats, le tribunal a nommé Maître Gorrias liquidateur judiciaire. Il connait les problèmes des agences de photographes puisqu’il est déjà à l’œuvre avec le Groupe Eyedea (Gamma, Keystone, Rapho etc.). Toutefois, la situation ne se présente pas dans les même termes avec le fonds photographique Sygma-Corbis. Pour les agences du Groupe Eyedea, en attendant que les photographes eussent fait valoir leurs droits, les fonds sont en location gérance au profit de François Lochon qui s’est engagé devant le tribunal à restituer tout leur matériel aux photographes qui en feront la demande, même ceux qui n’ont intenté aucune action. Et c’est ce qui est en cours rue d’Enghien, en même temps qu’un déménagement vers Denfert-Rochereau, l’ancien siège de Gamma.
Pour Corbis-Sygma, les fonds photographiques sont estimés « à la louche » entre 5 et 10 millions de clichés. Ils concernent entre 8 000 et 10 000 photographes « contributeurs » selon les termes de Stephan Biberfield. Selon ce dernier « 876 photographes ont un contrat avec Corbis Corporation », la maison mère basée à Seattle, aux Etats-Unis. Ils sont payés directement depuis les USA. « Une dizaine, dont Dominique Aubert, ont des contrats avec Corbis-Sygma », dont les droits d’auteurs sont payés depuis Paris.
Les autres n’ont, semble-t-il aucun contrat. Rien d’étonnant, car pendant de nombreuses années les photographes déposaient leur travail sans signer quoi que ce soit. Du fait de la liquidation de la société Corbis-Sygma, la créance d’un million et demi d’euros du photographe Dominique Aubert (Voir billet précédent) ne sera pas payée; de même les procès engagés par d’autres photographes vont se trouver nuls et non avenus, au grand soulagement de l’état-major de Corbis.
Mais quid des milliers d’autres photographes et des millions d’autres photos ?
Un spécialiste nous répond : « Et bien, comme dans l’affaire Eyedea, les photographes vont devoir faire valoir leurs créances auprès de Maitre Gorrias. A l’issue du délai légal de quatre mois, les photos se trouveront libre de droit… Enfin, disons qu’elles pourront être cédées à un acheteur, qui aura la propriété des supports physiques. Les photographes qui se manifesteraient ultérieurement n’auront plus que le choix, soit d’en interdire l’usage, soit de conclure un contrat de diffusion avec le(s) nouveau(x) propriétaire(s). »
En dehors des « 876 photographes qui ont un contrat avec Corbis Corporation » et des photographes sans contrat, les archives de Corbis-Sygma comportent également les fonds d’anciennes agences comme APIS, Tempsport, Saba, Outline, Kipa et Stockmar… Maître Gorrias va devoir trancher pour savoir que faire de toutes ces images stockées à Garnay, une petite commune à 45 minutes de Paris, dans les locaux de la société Locarchives.
Ce mardi 25 mai au soir, la « triste nouvelle » circulait dans le monde du photojournalisme. « C’est la seconde mort de Sygma » confiait par téléphone Eliane Laffont qui fut la cheville ouvrière du développement des agences photo françaises aux USA. « Dans ma carrière professionnelle, ce dont je suis le plus fière, c’est la réussite de Sygma… Apprendre cette seconde mort me rend nostalgique de la merveilleuse époque que nous avons connue. »
Le fondateur de l’agence Hubert Henrotte est injoignable, mais les curieux pourront se référer à son livre dont le titre résume ce que fut l’ambition de Sygma et des agences françaises : « Le monde dans les yeux » (Ed.Hachette Littérature 2005)
A suivre
Michel Puech
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Dernière révision le 3 mars 2024 à 7:18 pm GMT+0100 par Michel Puech
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