Sur les 91 salariés de la célèbre agence de photojournalisme fondée par Göksin Sipahioglu, 34 dont 14 photographes seront licenciés si, comme prévu après l’accord du comité d’entreprise, Sipa est cédée dans les premiers jours de juillet à l’agence DAPD.
Lundi 27 juin 2011, le comité d’entreprise de Sipa Press a accepté, après d’âpres négociations, le principe de la « vente » de Sipa Press « aux allemands ». Les futurs acheteurs tenaient absolument à obtenir un accord du personnel les mettant à l’abri d’un mouvement d’humeur.
Si les négociateurs de DAPD sont restés très fermes sur le nombre de photographes conservés, huit – pas un de plus – ils auraient lâché du leste sur le futur « Plan de sauvegarde de l’emploi » (sic). Selon nos informations, le comité d’entreprise aurait obtenu des avantages non conventionnels pour les licenciés (mois supplémentaires pour le personnel non journaliste, facilités d’achat de matériel pour les photographes, formations et aides à la création d’entreprise)… Des conditions qui rappellent quelque peu celles obtenues en 2001 à Corbis-Sygma quand Corbis Corporation a « externalisé » les photographes.
On ignore évidemment tout du sort des innombrables photographes correspondants, ou pigistes occasionnels. Par ailleurs, aucune précision ne filtre sur l’avenir des millions de clichés d’archives de l’agence dont une partie seulement est propriété de la société. Lors de sa courte visite à l’agence, Martin Vorderwülbecke, l’un des deux patrons de DAPD, n’a pas dit un mot là-dessus. Il s’est contenté d’expliquer en français au personnel qu’il comptait développer comme en Allemagne un service textes et photos, avant de laisser un collaborateur autrichien négocier avec l’appui d’un cabinet d’avocats parisien.
Quel est le plan de DAPD pour Sipa ? Mystère. Que vont devenir les archives ? Mystère.
« Vous avez effectivement cherché à me joindre à plusieurs reprises et je n’ai pas donné suite…/… » nous écrit par courriel, mercredi 29 juin, Béatrice Garrette. « En tant que Directrice Générale de Sipa Press, j’ai un devoir de réserve. Je ne dois pas communiquer à l’extérieur de l’entreprise des informations ou des opinions sur le processus qui est en cours et qui doit se passer avec le plus de sérénité et de calme possible, cela dans l’intérêt prioritaire des 91 salariés de l’agence. »
Difficile pourtant de parler de calme, de sérénité… Une simple visite boulevard Murat au siège parisien de Sipa press permet de voir des visages tendus, des regards fuyants et d’être l’objet d’incitation à une certaine discrétion… Car ce lundi, en même temps que le comité d’entreprise donnait son accord – sous réserve – à la cession à DAPD, il organisait un vote du personnel.
A la question « Faites-vous confiance à la Directrice générale de Sipa Press, Béatrice Garrette, dans sa capacité à mener la politique stratégique, managériale et éditoriale de l’agence ? » la réponse fut cinglante : 76,11% des suffrages exprimés furent négatifs, avec – qui plus est – une participation de 70 votants sur 89 inscrits pour 91 salariés !
Le lecteur comprendra aisément qu’en dehors de ces considérations diplomatiques, et de sa désapprobation pour notre titre annonçant l’ouverture de négociations : « La mort de Sipa Press ? », Béatrice Garrette préféra répondre aux questions d’une amie de ses années d’étudiante.
Qui veut perdre des millions ?
« 2010 a littéralement été une année noire pour les agences traditionnelles de photojournalisme », a-t-elle déclaré à Anne Feitz du quotidien <em<Les Echos. Pourtant, les difficultés de Sipa Press ne datent pas de l’an passé. En 2009, le chiffre d’affaires avait déjà reculé de 9% par rapport à 2008 avec une baisse marquée sur la presse magazine française (- 11% en 2009, – 15% en 2008). Les ventes à la presse étrangère ne vont guère mieux (- 19 % en 2008 par exemple) avec notamment des reculs importants sur les marchés anglais et italien. Le marché allemand reste lui un point fort de Sipa press. Un point non négligeable pour DAPD.
Dans le rapport de gestion de l’exercice 2009 de Sipa press, on peut lire que le résultat de l’exploitation de l’agence est de -2,3 M€ et de -1,5 M€ en 2008. Il serait de -2,5 M€ en 2010. Notons au passage, qu’en 2009, la société Sud Communication a déclaré un abandon de créances pour la modique somme de 2,9 M€ … Le premier ?
Impossible de savoir combien Pierre Fabre a déboursé pour acheter et renflouer année après année l’agence, mais le total peut se compter en dizaine de millions d’euros ! Et ce n’est pas Pierre-Yves Revol, le président de Sud Communication, qui nous le dira, il est sans cesse en réunion.
On le comprend, il est en train de chercher à vendre d’autres titres dans lesquels Sud Communication a des actions. Alors il est sans nul doute pressé de céder cette agence-danseuse à Martin Vorderwülbecke et à son compère Peter Loew.
Ces derniers ont créé DAPD il y a tout juste un an en agglomérant la Deutscher Depeschendienst (DDP) et Associated Press Allemagne. Selon notre confrère, Christian Meier de Meedia.de, les deux financiers sont contents de leur affaire. Ils se sont fixés quatre buts pour DAPD : croissance, innovation, qualité et prix. L’innovation concernerait la production vidéo, quant à la croissance elle est liée aux prix, et dans ce domaine DAPD a déclaré une véritable guerre aux autres agences. De leur aveu même, ils veulent baisser les prix de vente de 25%. Mais selon leurs clients, ils « cassent le marché » et n’hésiteraient pas à faire un dumping jusqu’à -40% !
C’est ainsi que DAPD a regagné la confiance du groupe Axel Springer et conquit le puissant groupe WAZ. «Nous vendons à 85% de la presse quotidienne en Allemagne », a déclaré à Meedia.de, Gordon Dreyer le rédacteur en chef de DAPD ajoutant qu’ils allaient continuer leur agressive croissance.
A la lecture de la presse allemande, le portrait qui se dessine de Martin Vorderwülbecke et de Peter Loew n’est guère flatteur : arrogance, agressivité, étalage de leur puissance… Pour le premier anniversaire de DAPD, les deux compères viennent de s’offrir la collaboration de Otto Schily, ancien avocat de la Fraction armée rouge (RAF), ancien porte-parole des Verts au Bundestag devenu ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Gerhard Schröder où il s’est montré partisan d’une politique répressive, à l’opposé de ses anciennes convictions. Il a quitté la politique en 2009, et le voilà lobbyiste pour DAPD…
Quel rôle ces beaux messieurs vont-ils faire jouer à l’agence Sipa Press ? Certainement aucun, qui de près ou de loin, rappellera le brillant passé d’une agence fondée en 1973 par un jeune photojournaliste turc, ambitieux et commercialement agressif, lui aussi, mais avant tout un exceptionnel homme de presse.
Avec la fin de l’argentique a sonné l’heure des hommes d’argent.
Michel Puech
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Dernière révision le 26 janvier 2024 à 5:16 pm GMT+0100 par Michel Puech
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